Chapitre 1
A Deditac, la tradition d’un mariage de nobles voulait que la fiancée passe la nuit d’avant le mariage à broder le drap nuptial des initial des deux futurs mariés. Chaque femme issue de famille bourgeoise avaient été élevées dans l’aprentissage de la broderie pour préparer cette fameuse nuit tant attendue.
Pourtant, Mera de Janver, qui serait mariée d’ici quelques heures, avait passé une nuit bien différente que celle que le protocole dictait. Une douce lueur matinale éclairait un immense lit trônant au milieu de la chambre. Sur une table de chevet, un petit tas de draps immaculés attendait patiemment qu’on le brode. L’attirail de broderie trainait dans un coin d’une armoire, prenant la poussière depuis des années. La jeune marquise de Janver n’avait jamais eu l’intention de respecter la tradition, ses plans pour la nuit étaient tout autre.
Sous la couette, deux paires de jambes s’entremêlaient. Un léger ronflement troublait le silence du matin. Alors que Mera enfouissait sa tête dans le cou de l’autre demoiselle en soupirant d’aise, la porte s’ouvra en grand sur une femme âgée.
- Allez debout mademoiselle Mera, Nous avons trois heures pour faire de vous une jolie jeune…
Un cri aigue interrompit l’annonce de la gouvernante. Une des deux jeunes femmes de chambre qui l’accompagnaient venait de voir la deuxième forme humaine dans le lit. Aussitôt, Mera et sa compagne se levèrent en sursaut, manquant de tomber du lit.
- Par Dedit, vous savez bien qu’il faut toquer avant d’entrer dans ma chambre ! s’offusqua Mera en lançant un regard noir à la gouvernante.
Celle-ci répliqua, une main sur le cœur et peinant à trouver ses mots :
- Mais enfin… qu’est-ce que c’est que… Mademoiselle Adraïd, que faites vous ici ?
Avant que celle-ci puisse répondre, Mera ricana :
- Et bien elle est venue passer la nuit avec moi, histoire qu’on fasse une dernière fois l’amour avant que je ne sois mariée. Vous voulez des détails ?
Une des femmes de chambre, la plus jeune, perdit connaissance dans les bras de l’autre tandis que la gouvernante avança vers le lit.
- On ne vous a pas élevé pour que vous parliez avec une telle insolence, mademoiselle ! Vous êtes dans une situation très délicate, j’espère que vous en avez conscience ! Deux femmes qui partagent un même lit, de manière aussi intime… vous risquez toutes les deux la pendaison et le déshonneur de votre famille !
Mera se leva alors de son lit, sans se soucier du fait qu’elle soit entièrement nue, et s’avança vers la gouvernante. Des épines sortirent de ses articulations, menaçantes, et d’une voix ferme elle lui dit :
- Nous savons ce que nous risquons. Et c’est pour cela que vous ne direz rien à personne. Vous m’avez élevé comme une mère, vous êtes mon amie depuis des années, et si vous ne voulez pas me perdre, moi et votre métier, vous feriez mieux de prendre la bonne décision.
Sans dire un mot, la gouvernante soutint son regard, puis finit par capituler.
- Entendu, vous pourrez compter sur notre discrétion.
Ce n’était ni la peur ni la soumission qui l’habitait, mais la loyauté. La loyauté de protéger cette jeune femme, qu’elle voyait encore comme une fillette capricieuse qu’elle avait élevé et éduqué depuis sa première respiration.
- Sachez mademoiselle que ce sera la dernière fois que je vous protégerai de la sorte. Votre secret est bien trop lourd, et je ne souhaite pas perdre ma carrière par votre faute. Je vous conseille fortement, ajoute-t-elle en dévisageant Adraïd, de cesser ces relations intimes. Pratiquer le… l’homosexualité, alors que vous serez mariée dans quelques heures est un crime très grave, et j’espère que vous serez raisonnable.
Mera esquissa un sourire en coin et rétracta ses épines, ne laissant qu’une fine cicatrice.
- Ne vous en faites pas pour nous.
Alors que la femme de chambre reprenait petit à petit ses esprits, Mera aperçu la malle que les femmes de chambre transportaient avant d’entrer.
- Laissez-moi me préparer avec Adraïd, demanda-t-elle en se radoucissant. C’est… la dernière fois que nous pouvons profiter d’un moment d’intimité, alors avant que nous cessions toute… activité, je vous demande de nous laisser nous préparer seules.
La vieille femme fit mine d’approcher puis s’arrêta. Elle hocha la tête en soupirant.
- Très bien, je vous l’accorde. Cependant, Lily viendra vous coiffer dans une heure et demie, continua-t-elle en jetant un regard à la femme de chambre encore étourdie. Vous avez intérêt à être lavée et habillée.
Cette dernière jeta un regard inquiet, presque apeuré, à Adraïd qui s’était couverte du drap, et promit en s’adressant à Mera :
- Votre secret sera bien gardé, Amanda et moi serons muettes comme des tombes, vous pouvez compter sur nous.
Ladite Amanda rougit et opina de la tête, fuyant le corps dénudé de la marquise. La gouvernante se retourna alors, tourna les talons, et sortir sans un mot de plus, suivie des deux femmes de chambre.
Alors que la porte se refermait doucement, le silence retomba dans la pièce. Adraïd laissa le drap la dévêtir et se laissa glisser sur les coussins.
- Tu es complètement inconsciente, elles vont nous dénoncer dès qu’elles verront ton père.
- Non, j’ai confiance en madame Pourpoint. Elle m’aime comme une parente, elle saura faire en sorte que les femmes de chambre gardent leur langue, crois-moi.
Adraïd soupira et sourit. Mera l’imita avant de se diriger vers la partie salle de bain de sa suite. Elle alluma l’eau et commença à verser le lait d’amande et les huiles odorantes dans la baignoire. Quand une délicieuse odeur fruitée s’éleva des brumes de l’eau chaude, Mera admira sa compagne qui était toujours étendu sur le lit.
- Viens, l’interpella-t-elle. L’eau et chaude, on peut encore profiter pendant quelques temps.
Alors que l’eau était presque entièrement remplie, elle invita sa compagne à la rejoindre. L’eau était pile à la bonne température, Mera frissonna de bonheur et de mélancolie.Si seulement elle pouvait savourer cet instant sans crainte des jours suivants. Si seulement elle pouvait aimer Adraïd librement sans devoir se cacher sous des draps trop blancs et des silences trop pesants. Elle glissa une main sous l’eau et entremêla ses doigts à ceux de sa compagne, observant son visage serein.
En se penchant au-dessus de la baignoire, elle leur servit un verre de vin.
- Le meilleur de la région ! Précisa Mera d’un ton enjoué.
Pourtant, elle buvait sans même savourer. Dans quelques heures, elle prononcerait des vœux auxquels elle ne croit pas. Elle unirait son destin à un homme qu’elle ne désire pas, et comme si ce n’était pas suffisant, elle devrait supporter son idiot de mari pendant le restant de ses jours, et lui obéir comme un petit être soumis. Et Adraïd deviendrai un secret à cacher. La couverture de « meilleure amie » ne suffira peut-être plus, et d’après les dires de son père, il y avait beaucoup de domestiques dans sa future demeure. La faire rentrer discrètement pendant la nuit et repartir avant l’aube sera bien trop dur, d’autant plus que le château de son fiancé se trouvait assez loin à cheval du manoir d’Adraïd. Cela lui prendre au moins deux heures de trajet. Quant à l’idée de la faire loger avec elle chez sa belle famille, c’était impossible aussi. Aucune personne sensée n’accepterait d’héberger une femme, sous prétexte qu’elle est l’amie de la duchesse. Duchesse… dans deux heures, elle ne serait plus marquise, elle serait duchesse. La femme du duc Octave de Rimabelle, neveu du dictateur Philique en personne.
- A quoi penses-tu ? demanda doucement Adraïd, remarquant les sourcils de Mera se froncer et son verre déjà vide.
Mera baissa les yeux sur l’eau ondulante, où la peau chocolat de sa compagne ressortait caramel, et hésita un instant avant de répondre :
- J’aurais aimé que tout soit différent. Que tu sois celle que je m’apprête à épouser.
Un silence lourd s’étira entre elles, alourdi par ce destin inchangeable. Mera se resservi, sous le regard appuyé d’Adraïd. Cette dernière ne releva pas, et renchérit :
- Tu te rends compte Mera, les femmes qui vivent à Sapphère ont le droit de se marier entre elles. Chaque femme est libre d’aimer une femme ou un homme. Je trouve ça… paradisiaque.
Elle ferma les yeux en étirant un sourire rêveur, et Mera se fit la remarque que si elle avait continué les cours de peinture, elle aurait voulu peindre Adraïd dans cette posture. Le visage légèrement renversé, un sourire flottant sur ses lèvres, le haut de sa poitrine dissimulé par la mousse du bain dont seule Mera avait le privilège d’en admirer davantage.
- Tu imagines, répéta-t-elle sans ouvrir les yeux. Un royaume où nous aurions pu vivre mariées et heureuses…
Mera détourna le regard, pour cacher les larmes qui perlaient dans ses yeux.
- Je sais où tu veux en venir… et c’est hélas impossible. Nous en avons déjà discuté Ad, les frontières de Deditac sont trop bien gardées, il est impossible de sortir. Et puis nous ne survivrons pas dans les montagnes de Sapphère. Sans compter que la garde de Deditac nous retrouverait beaucoup trop facilement, alors… il vaut mieux arrêter de rêver.
Adraïd ne répondit rien, mais Mera vit une larme rouler sur son visage. Après quelques minutes de silence, Mera tenta de détendre l’atmosphère.
- Tu te rends compte, je vais devoir passer ma vie mariée à Octave, rit-elle doucement. Quel bel enfer, comment est-ce que je vais pouvoir le supporter, lui et son humour immature ? J’aurais préféré épouser un chien que ce nigaud…
Mais la remarque ne fit pas rire Adraïd, au contraire elle se renfrogna.
- Ne dit pas ça comme si ton mariage était insoutenable, tu as la chance de connaître Octave depuis ta naissance, vous êtes meilleurs amis, vous vous entendez bien. Moi je vais devoir épouser un homme qui est de vingt ans mon ainé, et il est tellement… abject. C’est un homme infâme, qui n’hésitera pas à m’utiliser comme bon lui semble. Je ne pourrais jamais être heureuse avec cet obsédé, tandis que toi tu seras mariée à un homme gentil, et respectueux. Tu ne peux pas te plaindre.
Cette dernière remarque clôtura la discussion.
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