Chapitre 5

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TROIS MOIS PLUS TARD

 La salle de bal du château résonnait de rires polis et de discussions animées, presque entièrement recouverts par les notes de musique, jouées par les plus grands musiciens du royaume. L’immense salle avait été magnifiquement décorée dans les tons de bleu et beige. Mera quant à elle essayait de s’éclipser discrètement pour rejoindre Adraïd, mais tout le monde semblait absolument vouloir la retenir.

Félicitation pour votre grossesse Madame, j’ai prié pour vous pour que ce soit un garçon !

 L’aristocrate qui venait de saluer Mera était à peu près la quinzième personne à lui dire la même chose. Et elle lui répondit la même chose qu’aux quinze autres personnes.

Merci beaucoup, je penserai à vous quand je connaitrais le sexe de mon bébé.

 Une phrase qui n’avait aucune valeur dans sa bouche, mais que sa gouvernante lui avait fortement conseillé de dire. « Vous devez absolument faire semblant d’être la femme la plus heureuse au monde, et ne parlez surtout pas d’une fille ! Les gens veulent un fils pour votre union, faites leur plaisir et dites-leur que c’est aussi votre plus grand souhait » disait elle en la préparant. Mais à force de répéter à tout le monde qu’elle était comblée et qu’elle avait hâte d’être mère commençait à lui peser. Dans un autre contexte, peut-être qu’avec Adraïd elle aurait bien voulue fonder une famille, mais le fait que ça lui soit imposé, change tout. Elle n’était même pas sûre de savoir comment agir avec son futur enfant.

 Quand enfin elle réussit à fuir les invités, elle put rejoindre sa compagne dans une petite buanderie toute étroite. A l’instant même où elle referma la porte derrière elle, Adraïd fondit sur elle et l’embrassa avec une sorte de désespoir. Sans un mot, elles profitèrent de ces instants pour s’embrasser tendrement, limitant leurs gestes.

Tu m’as manqué mon ange, lui murmura Adraïd contre son cou.

 Cela ne faisait que trois jours qu’elles ne s’étaient pas vu, mais lors de sa visite, Adraïd était accompagné de son père et sa jeune sœur. Elles n’avaient pas pu avoir de moment d’intimité.

Tu sais Ad, confia Mera en caressant son ventre légèrement arrondi, je crois que je n’arriverai pas à être une bonne mère pour cet enfant.

Ne dis pas de bêtises. Tu es une personne formidable et…

Non écoute moi, l’interrompit Mera. Cet enfant a déjà une vie calculée. Madame de Rimabelle a déjà contacté plusieurs comtes et vicomtes afin de préparer son futur mariage. Elle a déjà planifié l’entièreté de la vie de mon enfant, en passant par son prénom, jusqu’à choisir ses cours et son emploi du temps. Je ne sais même pas si je pourrai passer du temps avec lui… ou elle.

 Un silence accueillit cette déclaration. Adraïd contempla le visage triste de sa compagne, ne sachant que dire.

Octave a beau être très gentil et compréhensif, ma vie est très dur depuis mon mariage… je ne sais pas si je vais tenir encore lon…

 La porte s’ouvrit à la volée, claquant contre le mur, et Adraïd se cacha derrière Mera. Octave, d’un air inquiet, soupira de soulagement en les voyant.

Tout le monde te cherche Mera, c’est l’heure des cadeaux et tout le monde se demande où peut être passée ma femme.

L’heure des cadeaux ? S’étonna-t-elle. Mais nous avons déjà une table remplie de cadeaux, il en reste encore ?

 Il salua brièvement Adraid de la tête quand elle sortit de l’ombre et répondit.

Il reste seulement ceux de nos parents et de la famille royale, ce ne sera pas long. J’ai même entendu dire par une femme de chambre qu’il y avait un dragonneau de la part de ma famille.

 Mera grimaça de dégoût et râla.

Quelle horreur, je déteste les animaux. Tu le garderas pour toi ce dragon, moi j’en veux pas.

 Octave soupira et s’adressa à Adraïd en riant :

Comment une aussi belle femme peut autant détester les animaux, hein ?

Oh sous son enveloppe corporelle elle cache un vrai démon ! Renchérit cette dernière.

 En quittant la buanderie, ils veillèrent à ce qu’Adraïd sorte cinq minutes avant, et quand ils rejoignirent la grande salle, Edelyne fronça les sourcils en voyant sa belle-fille. Arrivés à sa hauteur, elle souffla :

Pour une fête en votre honneur, vous auriez pu être un peu plus présente, Mera.

 En réponse, elle se contenta de sourire poliment. Tout le monde était réuni autour d’une immense estrade où se tenaient le Suprême Philique et les parents d’Octave et de Mera. Philique avait revêtu un costume du même bleu que le costume d’Octave, orné d’une longue cape argentée sertie de diamants. Il fit un signe à des valets, et quatre hommes apportèrent un objet massif, recouvert d’un drap argenté. Quand il fut déposé sur l’estrade, les valets retirèrent avec précaution le drap, afin de révéler le présent des jeunes mariés. Des murmures intrigués parcoururent la foule.

 Devant Mera, reposait un berceau d’une splendeur époustouflante. Sa structure semblait sculptée d’oriam, un bois ancien provenant d’un arbre du même nom, que seul le Suprême possédait. Des veinures dorées parcouraient en longueur les courbes du berceau. Philique réclama le silence et sa voix résonna dans la salle de bal.

Voici le Berceau d’Oriam, que j’ai fait sculpté spécialement pour votre enfant tant attendu. Grâce au bois d’oriam, votre enfant ne connaîtra pas la maladie et la faiblesse. Ce berceau grandira en même temps que votre fils, depuis son premier souffle, jusqu’à son dernier. Plus il passera de nuits dans ce berceau, plus il acquerra force et puissance.

 Il marqua une pause, se délestant des réactions subjuguées de son peuple, et ajouta :

Quiconque y repose est bénit par mes ancêtres. En vous l’offrant aujourd’hui, je vous assure que l’avenir de votre fils sera des plus radieux.

 Mera et Octave s’inclinèrent respectueusement devant leur souverain et Octave le remercia :

Au nom de ma femme et moi, je vous remercie humblement de ce précieux cadeau, nous en ferons bon usage, et notre fils vous sera éternellement reconnaissant pour la puissance que vous lui inculquez par ce présent.

 Mera resta figée, ne sachant quoi dire. Elle sentit la lourdeur de ce symbole se rajouter à ses épaules pesantes. Ce berceau n’était pas un cadeau, il était une prison dorée.

 Quand ils se redressèrent, Mera tenta d’afficher une sourire ravi et adressa un hochement de tête au Suprême. Ce fut au tour des parents de Mera de leur offrir leur cadeau. Le père de Mera, un homme qui répondait au nom de Stepren, fit venir une petite malle. Quand il l’ouvrit, on découvrit à l’intérieur plusieurs petites choses, et Mera sentit son cœur se nouer, sachant déjà à quoi servirait tout ça.

Pour votre cadeau, annonça Stepren d’une voix puissante, nous vous offrons un ensemble qui aidera Mera à accoucher d’un garçon. Des fioles d’infusions de chéris à boire chaque matin, un collier noir de perçon à porter à hauteur de bas ventre, un sachet de sable bleu à glisser sous le matelas, une bougie d’…

Merci beaucoup père, nous sommes honorés d’avoir autant de cadeaux, grâce à vous, nous aurons un fils je l’espère.

 Encore une fois, des murmures se firent entendre dans la foule. La duchesse venait de couper la parole à son père, et ce dernier ne l’avait pas bien pris. Son visage était fou de rage, il semblait contenir toute sa colère, et on le voyait à son regard transperçant celui de sa fille. Mais Mera ne comptait pas s’excuser de l’avoir publiquement humilié, elle était au bord des larmes. Elle détestait tous ces gens qui considéraient le fœtus dans son ventre comme le futur héritier, comme le fils que tout le monde attendait, comme le garçon dont l’avenir est déjà tout tracé. Et par-dessus tout, elle détestait son père. Son mari remarqua immédiatement son trouble et tressaillit quand il croisa le regard de son beau-père. Il se hâta d’essayer de rattraper l’erreur de sa femme.

Veuillez pardonner ma femme Monsieur, l’émotion et les hormones dues à la grossesse la dépassent… Recevoir tant de beaux présents d’un coup la trouble. Votre présent est un honneur, et je veillerai à ce qu’il soit utilisé comme il se doit.

 Stepren ne répondit rien, mais reprit un visage plus formel. Ce fut au tour du père d’Octave de s’avancer sur l’estrade face au couple.

Pour célébrer votre union, nous avons décidé d’offrir un compagnon à votre fils, qui lui tiendra compagnie et témoignera de sa force et de sa puissance.

Oh pitié non, pas le dragon… marmonna Mera de manière presque imperceptible.

 Octave sourit doucement, mais il savait que c’était peine perdue. Ce serait bel et bien un dragonneau, et en attendant la naissance de l’enfant, le couple sera en charge de l’animal. Quand un valet amena un petit coffre, Octave fut invité à l’ouvrir lui-même. Un petit animal gris clair lui lécha instantanément le visage et la foule fut subjuguée. Des rires amusés parcourent l’assemblée, la petite créature poilue venait de bondir hors du coffre. De la taille d’un grand chiot, il ne ressemblait pas à la terrible bête qu’on aurait pu craindre. Son pelage gris était tellement touffu qu’il dissimulait presque entièrement les deux petites ailes repliées. Ses yeux, d’un jaune soleil, observaient Octave avec une naïveté attendrissante. Il était déjà sous le charme.

Ce dragon, reprit le père d’Octave, est une créature rare. Il n’en existe que trois dans le monde, dont les deux autres sont localisés à Sanuque. Cette espèce n’est pas bien connue des dragonniers, étant donné que les trois seuls spécimens ont été découvert il y a seulement un an. Mais je ne doute pas que cette adorable créature deviendra un immense dragon imposant le respect.

 Octave, le sourire jusqu’aux oreilles, le remercia directement.

Merci beaucoup père, notre fils sera ravi, c’est un présent incroyable. Lui avez-vous donné un nom ?

Ce n’est pas mon rôle, je pensais que Mera pourrait peut-être le baptiser… ?

 Les regards se tournèrent tous alors vers Mera, qui tentait de dissimuler son rictus de dégout. Elle dévisageait le dragon comme s’il était un parasite. Quand elle comprit qu’ils attendaient tous qu’elle donne un nom à la créature, elle annonça :

Euh… je vais l’appeler… Poussière.

 Octave ne cacha pas sa déception, il leva un sourcil interrogateur à Mera, et celle-ci ne put lui répondre, le père d’Octave avait reprit la parole.

C’est un nom pour le moins… particulier, mais il lui sied à merveille !

 Les applaudissements retentirent de nouveau, mais cette fois plus sincères, adoucis par la présence du mignon petit Poussière qui s’était lové dans les bras d’Octave. Le Suprême Philique qui observait la scène d’un œil toujours aussi glacial, fit un signe à l’assemblée.

Et maintenant, que la fête reprenne !

 A ces mots, la musique et les conversations reprirent. Mera, encore crispée, sentit le regard lourd de son père, et celui accusateur de sa mère, peser sur elle. Elle se hâta de quitter l’estrade et chercha du regard sa compagne, sans succès, quand soudain un cri retentit. Un cri d’enfant, qu’elle reconnut immédiatement.

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