Octave
Raoul est assez en forme pour commencer à boire dès le matin. Mon père ne se cache même pas pour se servir une bière, parfois même un petit blanc. Fruit de son alcoolisme, une bonne partie de la ferme a été vendue. Il a été pistonné pour être magasinier à la coopérative grâce à un de ses copains aussi alcoolo que lui. Raoul est au lit parfois dès l'après-midi les jours de RTT et les week-end. Il cuve. Ma mère ne dit rien : elle s'accommode de cette vie.
Mon grand père, Octave, vit avec nous. Lui ne boit pas, mais il boite, souvenir d'une sale balle de fusil à la guerre. Sa blessure est très vieille. Il dit qu'il en a encore très mal. Ma mère dit que c'est une « douleur aveugle ». Il ne peut pas descendre les escaliers de sa chambre tout seul dit-il. Ma mère doit l'aider, chaque soir et chaque matin. Elle fait sa gentille avec lui.
Je n'appelle aucun membre de ma famille par « papa » ou « grand-père », ni mon frère ainé par son prénom. Pour les appeler, je fais un « dis-donc ? » adressé à l'un ou à l'autre. Tout le monde fait plus ou moins pareil. Quant à mon frère – il s'appelle Cyril -, on ne se parle pas sauf quand il se moque. Je le laisse dire. Résultat, il se fiche encore plus de moi. Il me traite de « poule mouillée ». Mes parents non plus ne me parlent pas.
Mon grand-père méprise et déteste mon père. Il le traite d'incapable, de faignasse, de boit-sans-soif. Quant il s'énerve après lui, ma mère ne dit rien. Mon père non plus d'ailleurs. Il reçoit les bordées d'insultes de son propre père sans broncher, qu'il ait bu ou pas. Sauf qu'avec moi, Octave est très affectueux. Il me plaint d'avoir un père pareil. Parfois ça me fait pleurer. Alors, il me prend sur ses genoux et me chante des comptines : « Pirouette cacahuète » et des choses du même genre. Les mêmes depuis que je suis toute petite, ce qui me gène un peu.
Il remue ses genoux en même temps, ce qui me gène encore plus. Quand il se met à faire cette danse des pieds, il me fait des câlins, me dit que je suis adorable, puis me touche les fesses, les cuisses, l'air de rien. Mais aucune comparaison avec les jeux de Bernadette ! Je n'aime pas voir sa main de vieux aux ongles cassés sur mes jambes. Cela me trouble beaucoup et je n'ai qu'une envie : qu'il me lâche ! Mais souvent, il me tient. Cependant, maintenant, j'évite d'être triste en sa présence et je le fuis.
Alors qu'il a du mal à se déplacer, sa chambre est bizarrement la plus haute de la maison. Je pense qu'il aime être tranquille. Je dors juste à l'étage du dessous, en face de la chambre de mes parents. Et depuis quelques temps, je m'aperçois d'un drôle de manège...
Vers 20h30, mon père dort comme tous les soirs ou presque. Ce soir sur le canapé. Octave regarde ma mère : c'est comme un signal. Ma mère prend mon grand-père par le bras et l'aide à monter. Elle reste toujours longtemps dans sa chambre, parfois jusqu'à oublier de me demander d'aller me coucher. À plusieurs reprises, j'ai entendu ma mère comme pleurer quand elle était avec Octave. Mais je crois que j'entends ces sons qui me paraîssent être des sanglots depuis ma petite enfance. En fait, c'est comme si jusquà ses jours-c plusieurs reprises, j'ai entendu ma mère comme pleurer quand elle était avec Octave. Mais je crois que j'entends ce qui me paraît être des sanglots depuis ma petite enfance. En fait, c'est comme si « je n'avais pas réalisé qu'ils existaient et qu'ils n'étaient pas normaux ». J'ose ce que je n'aurais jamais pu me permettre, il y a quelques semaines encore. Après le début des murmures, je monte quelques marches, mes pieds en chaussettes pour ne pas faire craquer le bois.
Quand j'arrive à peu près à mi-chemin dans l'escalier, ma stupéfaction est totale. Non seulement ma mère gémit, mais je perçois que mon grand-père aussi ! En m'approchant encore, je découvre que ces gémissements ne sont pas des pleurs, ni des cris de douleur, mais plutôt des bruits qui inspirent le plaisir : des « mmhh », parfois des « oohh »... Je ne distingue que ces sons incroyables mais pas les mots chuchottés qu'ils se disent.
Comme si le parquet de l'escalier s'ouvrait sous mes pieds ! Je ne sais plus où je suis. Comment aurais je pu imaginer que des gémissements soient aussi de contentement ? Je voudrais ouvrir la porte mais je n'ose évidemment pas. Je me contente de rester là, à écouter. À réfléchir. Je voudrais mettre des images sur ce que j'entends, mais au début, je n'y arrive pas. Que font-ils ? Dans quelle position sont-ils ? Puis, je commence tout doucement à me figurer, sans trop me l'avouer : se font-ils des choses sur le corps ? Des « guiliguilis» ? S'embrassent-ils ? Se touchent-ils partout ?
Peu à peu, les scènes avec Bernadette me reviennent. Des comparaisons : j'aurais envie de gémir parfois, mais évidement pas si fort, quand elle me touche. Elle aussi fait des « mmhhh », quand nous sommes ensemble.
Au bout de quelques temps, ça s'arrête. Je redescends dans ma chambre aussi silencieusement. Je rêvasse sur mon lit. Je me demande si on fait cela pour l'amour, voire faire des enfants... Et mon père ? Octave aime t-il ma mère ? J'ai soudain une immense terreur : celle d'avoir un autre frère ou une sœur. Je ne réussis pas à dormir de la nuit.
Au petit déjeuner, Octave parle de la ferme avec ma mère comme souvent. Après la vente, elle a conservé quelques terres pour y élever des veaux et quelques vaches. Nous avons aussi quantité d'animaux de basse-cour, des dindons qui m'énervent au possible : ils se mettent tous à glouglouter dès l'aube ! Nous avons aussi un poney : Arsène. Cela fait des années qu'il est là, personne ne l'utilise. Mon père m'a interdit de m'en approcher car il est méchant.
Il y a cette histoire ignoble : pour qu'il soit moins méchant, mes parents ont décidé de le faire castrer. Prétextant que c'était délicieux, mon père à mangé ses coucougnettes ! Il s'est même fait un malin plaisir pour les déguster devant l'animal en aménageant une table dehors ! Octave et ma mère disent que depuis, Arsène est devenu encore plus vilain.
A les voir discuter ce matin, de chose et d'autre, d'actualité – d'ailleurs, ils ne sont pas d'accord en politique – on n'est loin de ce qui s'est passé hier soir. Je me demande si j'ai rêvé. Les hommes et femmes peuvent-ils à ce point avoir deux visages ?
Ce midi, quand il passe donner le courrier, le facteur a l'air complètement abattu. Il discute longuement avec ma mère. De suprise, elle porte les mains à sa bouche. Quelque chose de grave est arrivé. Je m'approche. En écoutant la conversation, j'apprends que le père de Bernadette s'est tué d'un accident de tracteur. Bon débarras ! Bernadette détestait son père. Il la battait.
Quelques semaines plus tard, la tragédie s'abat sur moi.
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