Rien
Juin 2004
Ma mère – je vais enfin la nommer : elle s'appelle Carole - ne me parle presque jamais. Cependant, elle bavarde plus avec moi pendant les vacances. Avec ses poules pondeuses, lapins, dindons, pintades ou oies, (même deux chèvres naines) et ses porcs, elle ne sait évidemment pas ce que « partir en vacances » veut dire. Elle s'occupe aussi de 4 ou 5 limousines, des vaches qui paissent l'été dans deux hectares restant de l'ancienne ferme, vendue quand mon père n'a plus été capable de s'en occuper.
Mon père non plus n'est jamais parti. Je crois que les deux plus grands voyages qu'ils ont faits sont Paris (pour le salon de l'agriculture) et Les Sables d'Olonne. Entre ses vacances et les arrêts maladies, mon père picole en été encore plus que d'habitude. Comme il n'a plus de permis et n'est pas très vaillant en Mobylettes, ses copains viennent le voir et ils assiègent la maison dès 11 heures pour le pastis. Que ce soit Octave, ma mère ou moi, cela nous énerve au plus haut point. Ils parlent très fort, rigolent niaisement, se contorsionnent, crachent, fument même à l'intérieur, puis finissent par bien s'engueuler. Même si mon père les abandonne pour aller cuver dans sa chambre, ils restent dans la cuisine et continuent à se servir. Quand la bouteille de pastis est finie, Robert, celui qui a pistonné mon père pour son nouveau travail, monte parfois le réveiller pour lui demander de sortir les dernières bières, la bouteille de vin...
C'est infernal. Il est arrivé parfois qu'Octave soit intervenu un peu brutalement pour les faire sortir, mais uniquement si Robert est absent. Sinon, ils trainent, trainent... Parfois jusqu'à 2 heures de l'après-midi.
Mes vacances sont comme chaque année : il ne s'y passe rien. Ma plus grande occupation est de nourrir les volailles, d'observer ma mère tuer une poule pour le repas – c'est horrible, elle lui coupe la langue avec des ciseaux ! - , ou de partir solitaire, pendant de longues heures, sur les chemins. Est-ce parce qu'avant de connaître Bernadette, j'aimais ça ? N'avoir à discuter avec personne ? Ou parce qu'avec chez moi, j'ai l'habitude qu'on ne se parle que très peu ? J'adore la solitude. Quand je me balade sur les chemins, je me raconte des tas d'histoires merveilleuses. L'autre jour, j'ai fait une incroyable découverte. Alors que je me promenais dans un endroit que je ne connaissais pas (mes pas m'emportent toujours plus loin), j'ai fait une sacrée trouvaille : les abords du chemin était empierrés avec des morceaux de vieilles pierres tombales ! Comment cela est-il possible ? J'ai alors échafaudé un tas d'histoires de crimes, d'assassinats et de revenants toutes plus improbables les unes que les autres... Jusqu'à avoir peur de mes propres fables.
Mais cette année là, nous bavardons bien plus et cela me ravit. C'est comme si, du haut de mes 10 ans, Maman s'intéressait à moi. Elle me parle de choses qu'elle n'évoquait jamais auparavant, par exemple, la famille : elle ne se plaint jamais de mon père. Parfois elle dit en parlant de lui : "Il faut bien l'aimer". Mais dans quel sens prendre cette phrase ? Veut-elle dire "il faut l'aimer parfaitement" ou "il faut l'aimer quand même" avec un ton de découragement ? D'ailleurs, dans sa façon d'en parler, je vois qu'elle ne l'aime plus. L'a t-elle aimé un jour ?
« Si ton grand-père n'était pas là, je me demande ce que nous deviendrions ! » dit-elle aussi souvent. Quand elle fait allusion à lui, elle en parle avec une grande déférence : elle le craint. Peu à peu, je comprends que la ferme appartenait au père de mon père, et qu'après sa vente, c'est lui qui a l'argent.
Mon frère Cyril est le grand absent de toute ma vie. Lui est parti dès ses dix-huit ans à l'autre bout de la France. Il ne supportait plus mon père et on ne le voit plus, même pas à Noël. Il se contente de téléphoner à ma mère. Ils sont restés proches et ce matin là, alors qu'un lapin vient de rendre son dernier souffle, elle m'en parle. « Ce n'est pas parce qu'il n'est pas là qu'il faut lui en vouloir », me dit-elle. « C'est un gentil. Bien sûr, cela me gêne que vous ne soyez pas plus complices.... Evidemment, la différence d'âge.... ». Depuis quelques temps, j'ose demander à ma mère pourquoi il y a cette différence justement. « Ne croit surtout pas qu'on ne te voulait pas ! Au contraire, il y a même eu des petits anges avant toi... » Par « petits anges », je sais qu'il s'agit de bébés morts qui auraient dû naître avant moi.
« Hé hé, tu lui dois aussi quelque chose à Cyril » continue t-elle en riant. « Avec mes fausses couches (j'ignore le sens exact de ce mot mais je comprens à moitié qu'il a un rapport avec les bébés morts) , j'ai été très triste pendant des mois. Et aussi, il y avait ton père, les terres qui périclitaient. Puis cette belle surprise que je sois enceinte de toi. » Il y a encore quelques mois, je ne comprenais pas non plus ce mot : « enceinte ». j'entendais : « en sainte » comme une histoire de chrétien. C'est Bernadette qui me l'a expliqué, car l'an dernier, sa mère a donné naissance à son dernier petit frère.
Carole continue : « J'étais si contente ! Mais Cyril, lui, ne l'était pas... Il était déjà très jaloux et avait très peur de ce qui allait arriver à ta naissance. Il ne dormait plus, ne faisait plus rien à l'école. Il a commencé à se mettre en colère pour un rien. Il m'a fait pleurer plus d'une fois, a même voulu me frapper sur le ventre... Avec les fausses couches, j'ai cru que ça portait malheur de savoir le sexe de son bébé. Mais un jour que Cyril était insupportbale, ton père lui dit pour le calmer : "Cyril, je te donne un pouvoir magique : tu vas dire si tu veux un petit frère ou une petite sœur. E si tu es plus gentil avec Maman, le Bon Dieu t'exaucera peut-être..." Ton père avait bu, comme d'habitude ; il ne se rendait pas compte de ce qu'il disait. Qu'a t-il pu se passer dans la tête de Cyril, à 12 ans, avec cette prédiction ? »
Je quémande, la supplie, je piétine le sol de colère, j'en pleure... Mais ma mère ne veut pas me dire ce que Cyril avait choisi : fille ou garçon. « C'est mal de prédire. Ça fait des mauvais sorts. Je te le dirai peut-être plus tard, à ta majorité ? » Le visage de ma mère se ferme. Inutile d'insister, sinon je vais perdre cette complicité toute nouvelle que j'ai avec elle.
Ce soir, je n'arrive pas à dormir. Tout ce que m'a raconté ma mère tourmente, me ronge la tête. 10h, 11h... J'ai chaud. Je tourne et me retourne dans mon lit. Il est moite. Je transpire. J'en veux terriblement à Carole de ne pas m'avoir dit ce qui me concerne. Je suis dans une colère noire qui ne redescend pas. Je voudrais presque qu'elle meure. Puis je m'en veux : et si ma prédiction arrivait ? J'en tremble. Qu'a pu dire Cyril ? Pour respirer, j'ouvre la fenêtre de ma chambre. C'est alors que j'entends les murmures qui s'échappent de la fenêtre du dessus.
Une idée folle me vient : je vais punir ma mère, me dis-je. Je vais savoir ce qui se passe là haut avec Octave. Si c'est mal, comme je le supppose, j'irai le crier à tout le monde ! Cette fois-ci, j'ose monter jusqu'en haut de l'escalier, la porte de la chambre d'Octave est restée entrebâillée. A croire qu'ils avaient fait exprès.
Octave est assis sur son lit, pantalon baissé, qui pend sur ses chevilles. Ses jambes sont grandes ouvertes. Entre ses cuisses, je vois une masse noire. Des poils. Une forêt de poils. « Allez, viens ! ordonne t-il à Carole. Je finis par distinguer peu à peu (je suis assez loin d'eux quand même) : De la masse de poils surgit une belette d'homme énorme et deux coucougnettes. Jamais ne n'aurais pensé qu'on puisse avoir ainsi autant de cheveux en bas, quand on est vieux. J'ai même un haut le coeur à l'idée que ça m'arrive un jour. Octave prend la tête de ma mère pour qu'elle fassse une chose horrible : elle met la grosse belette d'Octave dans sa bouche puis fait comme on lèche une sucette. Il gémit. Il presse la tête de Carole contre ses cuisses. Elle a l'air d'étouffer. Cela dure un bon moment. Octave halète. J'ai soudain peur qu'il ait un malaise car il est vieux. Mais il sourit un peu niais, puis il lève les yeux au ciel comme s'il priait un Dieu au plafond.
Alors il dit « Allez, on y va ».
Arrive l'incroyable : ma mère ôte sa blouse qui sent le poulailler, puis son soutien-gorge, puis sa culotte. Pour la première fois de ma vie, je vois ma maman toute nue. Elle aussi a une touffe de poils monstrueuse qui lui cache sa belette, à elle. Elle s'allonge sur le lit. « Fais vite. », dit-elle. Je vois ses cuisses, sa touffe de poils qui laissse voir sa belette. Tout ce spectacle me plonge dans un sentiment d'irréalité et de honte. Et ces murmures ! Je comprends maintenant. « crache, mouille toi » demande Octave. je veux te voir trempée ! Ma mère crache de la salive sur ses jambes, sur ses poils, se mouille. Il met ses doigts.Il lui met les doigts dans la belette !? Hmmmm, hummm. Ça lui plait ! Carole fait de petits cris. Enfin, l'impensable arrive : il se met sur elle. Je ne distingue pas bien, mais je devine qu'il lui entre sa belette dans la sienne. Car ça s'emboite. Comme ça. D'un coup ! Puis il remue les fesses sur elle. « Mets ton doigt » réclame t-il. Obéis, ma belle salope". Et elle lui met un doigt dans le derrière. Et il dit que ça lui fait du bien. Il dit même... qu'il l'aime.
J'ai fait quelque chose d'absolument défendu. J'ai sans doute maintenant le plus gros des péchés. Je redescends dans ma chambre sur la pointe des pieds. Je suis dans un état encore bien plus énervé que tout à l'heure. C'est comme si j'avais le coeur en feu. Peut-être que si je pouvais raconter tout cela à Bernadette, elle m'aiderait à me calmer ? Le sommeil ne vient pas : toute cette journée a été épouvantable. J'ai voulu punir ma mère, j'ai vu tout ce qui est défendu. Quelque chose d'atroce va m'arriver. Fille ou garçon ?
Annotations
Versions