Mi est où ?

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Je suis rentré à une heure du matin, après ma maraude. La nuit était belle bien qu'il fasse un peu frais. Marie-Thérèse s'était réveillée et elle m'a accueilli avec une joie quasi frénétique :

-  Tu es là mon petit amour, mon joujou à moi, mon chou de gouttière, mon poulet ! Sans toi, je ne pouvais pas dormir !

-  Mi ! lui ai-je répondu, mi-affectueux, mi réprobateur.

Je sors tous les soirs, c'est ainsi. Vestiges de mon passé un peu lourd. Ce n'est pas négociable et elle le sait. Elle m'a précédé jusqu'à sa chambre et je me suis langoureusement étendu sur le lit, contre elle, ma joue contre sa joue, mon cœur battant à l'unisson du sien, réglant ma respiration sur la sienne, dans la chaleur de son corps. Je me suis endormi là comme toutes les nuits ou presque, jusqu'à ce que j'entende une clef dans la serrure et qu'elle éclate de rire, comme tous les matins  :

- Ciel ! Mon mari !

Je m'étais déjà éclipsé par la porte-fenêtre entrebâillée, avec un pincement au cœur, en l'imaginant serrer L'AUTRE dans ses bras... Mais ce n'était pas négociable non plus : elle ne voulait pas divorcer.


Marie-Thérèse est « l’amour de ma vie » comme on dit dans les romans. Son époux l'appelle Marie-Thé mais pour moi c'est Mi, tout simplement ; elle est bonne comme le pain. Je lui dois d'être sorti de la rue (où j'étais réduit à faire les poubelles pour me nourrir et à être chassé comme un chien... Je souffre rien que d'y penser, ne me demandez pas d'en parler davantage...). Bref, j'étais assis au bord d'un trottoir, désemparé, le ventre vide, et les yeux humides, seul au monde. Il était midi, les gens sortaient du boulot, mais elle a été la seule à m'accorder un regard en passant près de moi. J'ai aimé l'ourlet de sa jupe qui se balançait au rythme de ses pas, et aussi ses chaussures à semelles de crêpe parfaitement silencieuses. Alors je l'ai suivie. Elle est entrée par la porte du garage, et moi derrière elle. Je sais : vous allez me dire que j'ai eu un sacré culot, mais c'est comme ça : je suis un fonceur. D'autres auraient crié, elle, elle m'a souri et elle a refermé la porte derrière moi tout doucement. En cinq minutes et deux caresses, nous nous étions tout dit, tout. Nous avons partagé une omelette. Elle était désolée, elle n'avait que cela.

-  Ça va mieux ?

J'ai acquiescé, en fermant les yeux de plaisir. Et quand elle est repartie au boulot, moi je suis resté. Il faut dire que je m'étais endormi dans le fauteuil, devant la télévision. Je l'ai à peine entendue fermer la porte. Plus tard j'ai visité la maison, à pas feutrés. Au sous sol, tout un tas de meubles étaient entreposés en désordre ; j'en ai fait l'inventaire : buffets anciens,tables posées les unes sur les autres... Derrière une vieille armoire, il y avait une pile de lits de camp : une famille nombreuse à accueillir pour les vacances peut-être ? C'est là que je me suis réfugié quand vers seize heures, il s'est produit un grand fracas : portes qu'on claque, borborygmes de canalisations, chasse d'eau que l'on tire, vaisselle qui s'entrechoque... Évidemment j'ai tout de suite su que ce n'était pas ELLE. De ma cachette, je l'ai aperçu LUI pour la première fois : plutôt petit, gros et chauve, ordinaire. Un homme. Il n'est pas resté longtemps.


Vers 18 h, elle m'a retrouvé, somnolent, sur mon lit de camp : c'était confortable, et la couverture était moelleuse, bien que rose. Elle m'a dit que si je voulais, je pouvais rester, qu'elle était prête à m'héberger sans me faire payer de loyer si cela me convenait.

-  Alors oui ou non ?

-  Moui ! Sans hésiter !

Je me suis jeté à son cou... et voilà. Je l'ai vite séduite, elle est si seule ! Nous ne parlons pas beaucoup elle et moi ; nous n'en avons guère besoin. Nos yeux se disent tout. Je suis heureux. Il n'y a de bémol que l' AUTRE.... mais il n'est pas souvent là et il ne vient jamais dans ma chambre. Il ne descend au sous-sol que pour alimenter la chaudière, et je l'évite absolument.

Ce matin-là, je m'étais donc éclipsé depuis une heure ou deux par la porte-fenêtre quand j'ai senti une odeur nauséabonde dans le jardin. Une odeur qui prenait à la gorge, une odeur...de fumée ! Et effectivement, de la fumée s'échappait sous la porte d'entrée. Mon sang n'a fait qu'un tour :

-  Mi !

Je me suis précipité évidemment, et je l'ai secouée : en criant. Comme elle ne se réveillait pas, j'ai crié encore plus fort et l'autre s'est réveillé en sursaut, affolé, et s'est mis à crier avec moi pour la réveiller. Mais elle ne se réveillait pas, alors il l'a saisie dans ses bras et l'a portée dehors, moi sur ses talons. Les pompiers sont venus, et un instant plus tard, j'étais seul sur le trottoir.

Il m'a semblé attendre très longtemps. La nuit est tombée. La maison semblait intacte mais j'avais dans le cœur comme une grosse pierre qui m'empêchait de respirer. Dans la rue les voitures allaient, venaient, se croisaient, klaxonnaient. Je n'ai pas reconnu celle qui s'est arrêtée juste devant moi, mais les mocassins de l'homme qui en est sorti m'étaient familiers ! Il a réglé le taxi, et, la clef à la main, s'est dirigé vers la porte de la maison, devant laquelle je me suis campé, autoritaire :

-  Mi est où ?

- Tiens, tu es là toi !

Le mari de Mi m'a saisi sous les aisselles et porté à hauteur de son visage, mais je me suis débattu :  - Mi est où ?

- C'est fou, ça ! On dirait que tu me parles ! Ne t'inquiète pas, va, tout va bien ! Allez, on rentre, ! Elle sera heureuse de te voir, tu sais !

J'ai passé toute la nuit à l'attendre en surveillant la rue par la fenêtre de la cuisine. Quand Mi est rentrée le lendemain matin, j'ai été tellement soulagé que j'ai avalé d'un coup toute la pâtée qu'on m'avait servie. Le soir même dès 21 heures, je ronronnais dans son oreille, entre elle et son mari, dans notre lit. Elle m'a demandé :

- Qui est le gentil chat qui nous a tous sauvés ?

-  Moi !

Mais je n'oublie pas pour autant que l'Autre a joué un rôle d'importance, alors, quand à son tour il me demande en riant :

-  Tu m'aimes un peu moi aussi ? Dis, le chat ?

Je réponds toujours :

- Mouais !

Et je frotte ma tête contre la sienne, parce qu'entre amoureux, on se comprend. (Ça ne m'empêche pas de le suivre tous les soirs quand il va alimenter la chaudière, pour vérifier qu'il en a bien fermé la porte).

Il en profite pour me glisser quelques croquettes en cachette : c'est notre secret.

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