10-La Chanson du Vent  1/2

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Terre de Feu – Argentine

Le « Telienka » fend les eaux du canal Beagle. Il a passé l’île des cormorans, fait un stop face à celle des lions de mer et trace à présent sa route vers le phare des Éclaireurs, l’un des phares du bout du monde. Papa, Maman et Alphonse sont au chaud à l’intérieur de la cabine, mais moi je suis montée sur le pont. J’ai dû insister, mes parents ont toujours peur que je tombe, ou que je prenne froid... Ils ont une fâcheuse tendance à me prendre pour un bébé, parfois ! Moi, ce que j’aime, c’est respirer les embruns, assister au ballet des mouettes au-dessus du bateau et sentir le souffle du vent sur mon visage.

J’ai fait une étude des lieux pour trouver la meilleure place et pas de doute, c’est à la proue que je suis le mieux. J’ai l’immensité du canal pour horizon et je peux me prendre pour un navigateur d’autrefois, ce Francis Drake dont Papa m’a raconté l’histoire et qui a découvert le cap Horn tout proche. Je veille à rester à bonne distance du bord bien sûr, pour ne pas affoler mes parents. Là, j’ouvre les bras et je m’efforce de garder mon équilibre en luttant contre les puissantes rafales qui tentent de me coucher au sol.

— Tu es bien téméraire, petite fille, pour t’exposer ainsi à ma force et à mon courroux !

La voix m’a tirée de ma rêverie. Je ne sais pas d’où elle est sortie, j’ai l’impression que l’on vient de me murmurer à l’oreille. Je me retourne, regarde tout autour de moi : je ne vois personne sur le pont, à l’exception d’un couple d’amoureux enfouis sous des capuches jaunes et collés à la rambarde.

— C’est bien à toi que je m’adresse, jeune enfant ! Ne me cherche pas, je suis là, partout... Il n’y a rien d’autre que moi, d’ailleurs...

Je me demande si je dois avoir peur. Je scrute encore les alentours : peut-être est-ce le goéland qui s’est posé au-dessus de ma tête ? À moins que le capitaine du bateau n’ait décidé de me jouer un tour et que cette voix ne provienne d’un haut-parleur que je ne peux pas voir ?

Je suis celui qu’on ne voit pas
Qui court et file entre les doigts

Un courant chaud passe sur mon visage et ébouriffe mes cheveux, contrastant subitement avec l’air glacial qui, depuis le départ, me coupe la respiration. Je lève les yeux : le goéland s’est envolé et la voix est beaucoup trop claire pour sortir d’un haut-parleur.

Mon chant ressemble à un soupir
Mais je ne rêve que de séduire

Je plonge la main dans ma poche, y cherche mon objet magique et le serre très fort entre mes doigts. Ce n’est pas que j’ai peur, non, mais tout de même, je me sens toujours plus forte sous la protection de mon porte-bonheur ! Et sans doute va-t-il m’aider...

Je berce, je caresse, je cajole
Un enfant cultivé sait qu’on m’appelle...

— Gisèle !

Papa est monté sur le pont et me fait signe de le rejoindre. Il affiche un grand sourire. Je relâche la pression sur mon kaléidoscope et je cours vers lui. Il passe sa main dans ma chevelure hirsute et me demande si je veux utiliser les jumelles pour regarder les oiseaux. Ah, mon Papa ! Il est toujours là quand j’ai besoin de lui ! Je colle les verres à mes yeux et je cherche autour de moi une trace de l’origine de la voix : rien. D’ailleurs, elle ne me parle plus depuis que Papa est près de moi... Je me tourne vers la silhouette protectrice de mon père, prête à lui raconter ce qui vient de m’arriver, mais l’étrange impression qu’il ne va pas me croire m’arrête juste à temps.

— Regarde ce point là-bas, et dis-moi si ce n’est pas le phare que j’aperçois.

Je fixe les lunettes dans la direction qu’il me désigne et j’ai l’immense joie de distinguer un petit édifice rouge et blanc, en équilibre sur un îlot rocheux.

— Oui, je crois bien que c’est lui ! Tu veux voir ?

À son tour, Papa observe avec attention le repère qui se rapproche puis, posant sa main sur mon épaule, il me glisse, avec un clin d’œil :

— Il fait froid, allons retrouver Alf et Maman à l’intérieur. Nous ressortirons très vite, dès que nous arriverons à la hauteur du phare.

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A suivre...

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