Ce qui m’a détruit…
_C’est impressionnant ce que vous me racontez-là. Pourquoi avoir fait tout ça ?
_Je ne saurais vous dire… Je ne suis même pas sûre que tout ça ait vraiment eu lieu.
_Comme si vous n’aviez fait que rêver à ce qui aurait pu se passer ?
_C’est ça, pourtant mon corps me rappelle constamment tout le mal que je lui ai fait.
_Vous somatisez ?
_Je n’arrive plus à manger. Ce n’est pas que j’ai du mal, c’est juste que je n’arrive plus à me souvenir de ce que je suis censée faire pour rester en vie… Soupirais-je,
_Vous avez du mal à respirer, vous êtes angoissée là ? Vous sentez une crise venir ?
_Non, je suis constamment comme ça. Mes poumons peinent à se remplir, ils sont bloqués. J’ai des palpitations aussi. Mon cœur peine à battre lui aussi.
_C’est drôle, c’est comme si votre corps vous donnait tous les indices de votre mort prochaine.
_Il aimerait mourir je pense pour être en paix. Mais je n’ai pas envie de disparaître maintenant.
_C’est très important de ne pas baisser les bras. Vous êtes déjà remonté plusieurs fois de ce que j’ai cru comprendre.
_Je ne me laisse pas abattre facilement. Je connais bien Noélie, je connais ses points faibles. A force de me battre contre elle, elle s’affaiblira et je reprendrais le dessus. Comme toujours.
_Noélie ?
_Ma colocataire mortifère… Ma dépression…
_Vous parlez d’elle comme si c’était une vraie personne ? Elle griffonnait une feuille de papier en l’écoutant,
_Oui, je la vois comme une personne qui cherche à vous nuire constamment. Un ennemi intime. Pourtant, c’est étrange mais j’ai l’impression qu’elle voulait juste me protéger…
_Vous savez, on a parfois des automatismes défensifs que l’on croit salvateurs car ils nous donnent des raisons de ne pas prendre de risques qui nous semblent démesurés mais souvent ils nous empêchent tout simplement d’avancer.
_Je ne suis pas d’accord. Ce ne sont pas MES automatismes, ce sont ceux qu’on a voulu m’imposer. Toutes les personnes que j’ai pu rencontrer, on soit cherché à me limiter comme mes parents, soit cherché à me faire peur comme… Robin…
_Vous n’aviez jamais parlé de lui auparavant, vous voulez m’en dire plus ?
_Je crois que ça pourrait vous aider à comprendre.
_Ce qui est important, c’est que ça vous aide à avancer.
Avancer pour réduire la distance qui me tient éloigné de la guérison ?
_Quand j’avais… quinze ou seize ans… je me suis rapprochée d’un ami de mes parents. Il avait trentaine d’années. Trente-six pour être exacte, comme Fanantenana le jour de notre rencontre... J’avais une grande confiance en lui. Il m’a agressée mais je ne suis pas certaine d’avoir été vraiment contre ça.
_Il vous a fait croire qu’il vous aimait et vous avez cru l’aimer ?
_Peut-être…
_Vous pensiez que c’était une situation qui coulait de source, inévitable sur le moment. Ça ne veut pas dire que vous étiez totalement en accord avec ce qu’il s’est passé. Et peut-être que la peur vous a paralysée. Ça arrive très souvent. Vous n’avez pas à vous en vouloir. C’est lui qui vous a fait du mal en ne tenant pas compte de vos sentiments réels.
_Je le sais. Mais je ne l’intègre pas. C’est comme si toute ma vie j’avais cherché à reproduire une situation que je ne maîtrisais plus. Pour l’analyser, la comprendre et la faire cesser, sans voir que je ne faisais que me perdre un peu plus.
_C’est un peu contre-productif dans le sens où ça ne pouvait que réactiver vos souvenirs mais ça s’entend.
_C’est un peu l’histoire sans fin. Un cercle infini que j’alimente.
_Que pourriez-vous faire pour briser celui-ci ?
_Eh bien déjà, partir loin ne sert à rien, faire comme si de rien n’était non plus. Je suis ouverte à toutes les propositions.
_Je ne peux que vous conseillez de continuer à vous analyser pour l’instant. On sent bien que vous avez compris comment en sortir mais quelque chose en vous refuse de bouger. Pourquoi ?
En fait, je ne fuyais pas, je courrais partout pour ne pas voir que j’étais désespérément inerte…
_A quoi pensez-vous ? Me demanda-t-elle,
_Que je devrais me bouger un peu plus. Je me suis toujours laissé faire. Je me suis laissé trop souvent diriger et piétiner. Je n’ai jamais rien fait parce que je voulais le faire mais uniquement parce que ça me semblait être la seule issue possible. Ça l’était puisque je laissais toujours les situations empirées au point de ne plus pouvoir choisir quoi faire.
_Vous êtes décidée à choisir en amont désormais ?
_Il ne reste plus que ça à faire… »
Je considérais la psychiatre avec intérêt. Elle n’avait rien dit mais à coup de question elle m’avait mené à une réponse. Je ne sais pas si c’est enfin la réponse que j’attendais, mais c’en était une neuve. Elle m’apprit que j’étais à quarante-huit sur l’échelle de Hamilton. Je ne savais pas ce que cela signifiait, je savais juste que c’était apparemment, assez grave pour être traité. Elle me prescrivit de la miansérine pour le sommeil et du bromazépam pour les crises d’angoisse. J’hésitai à les prendre. Je n’avais plus envie de forcer mon corps à faire des choses qu’il ne souhaitait pas même si elles étaient vitales. J’allais tout de même retirer ces drogues à la pharmacie au cas où :
« Vous avez l’habitude de prendre ces médicaments ? Me questionna la pharmacienne,
_Oh oui, ne vous en faites pas… C’est plus ou moins l’histoire de ma vie… Répondis-je mollement. »
Elle parut surprise mais ne posa pas plus de questions. Je repartis et rentrai chez moi. En chemin je me fis la réflexion que Noélie ne me parlait plus. Elle semblait s’être perdue sur le chemin du retour. J’en étais assez ravie je dois dire.
Une fois rentrée, je jetai le sac contenant les médicaments dans un coin et m’occupai des chats. Leurs gamelles pleines et leurs litières propres je m’assis sur le fauteuil et allumai la télévision lorsque la sonnerie du téléphone retentit. Je ne décrochai pas, le répondeur se mit en marche :
« Bonjour Noélie, oui, c’est encore moi. Je t’avais dit que je t’attendrais. Ça fait deux semaines déjà que tu es rentré. Je le sais. Je t’ai vu. Tu es chez toi là d’ailleurs. Je t’ai vu rentré de ton rendez-vous chez le psy. Tu as encore besoin d’aide pour m’oublier ? Haha ! Je savais que tu étais encore obsédé par mon souvenir. Je viendrais bientôt te rendre visite. »
Je fulminai intérieurement. Comment osait-il revenir encore et toujours ? Je ne serais donc jamais tranquille ? Et vint le moment où je n’en pouvais plus, et vint le moment où je prie une décision radicale.
Il voulait venir m’effrayer encore ? Et si c’était moi qui venais à lui ? Si c’est moi qui lui ferait peur ?
J’appelai mes parents :
« Raphaëlle ?! Où étais-tu passée ?! S’exclama ma mère soulagée,
_J’étais en vacances à Madagascer… Quelques temps…
_Vraiment ? Mais tu…
_J’aurais besoin de l’adresse de Robin. Tu l’as encore ? La coupai-je,
_Euh oui bien sûr, je dois avoir ça… Tu comptes reprendre contact avec lui ? Tu sais comme il a souffert de voir que tu avais décidé de couper les ponts avec lui. Il n’a jamais compris pourquoi et nous non plus d’ailleurs. C’est bien que tu le revois, il t’a beaucoup aidé.
J’émis un soupir d’agacement.
_L’adresse s’il te plaît, » lui intimais-je sur un ton sec.
Ses coordonnées en poche. Il ne me restait plus qu’à le retrouver. Il était encore à Bourges.
Bon sang, il passe son temps à faire des allers-retours pour me retrouver ? Il est complètement malade !
Je réservai le train d’onze heures cinquante-trois le 25 janvier en partance de la gare de Paris-Austerlitz direction Bourges. Je n’avais plus rien à perdre et surtout pas du temps.
Et une peur de traverser pour te retrouver…
Le 25 au matin, je me levai de bonne heure pour aller à la gare qui était assez éloignée de mon lieu d’habitation. J’arrivai à Bourges à quatorze heures quinze à peu près. Je pris un bus pour finir le trajet. Une dame que je croyais ne jamais avoir vu me dévisageait. Elle s’approcha de moi :
« Raphaëlle ? Raphaëlle Joly ?! S’exclama-t-elle, tout le bus se tourna vers nous,
_Euh, oui c’est bien ça… Répondis-je gênée,
_J’ai bien failli ne pas te reconnaître ! Tu as bien changé !
_Sans vouloir vous offenser, je ne vous reconnais toujours pas !
_C’est moi, Louise ! Ta marraine… »
Je restai un moment l’expression figée. C’était donc cette femme qui illuminait de vagues souvenirs d’enfance. Je me souvenais les cadeaux, les embrassades, les mots toujours gentils versés çà-et-là au gré de ses visites.
_Louise ! Mais bien sûr. Excuse-moi, ça fait si longtemps qu’on ne s’est pas vu. Je suis désolée de ne pas t’avoir reconnues…
_Ce n’est rien ! Comme tu dis, ça fait des années que nous ne nous sommes pas vus. J’étais beaucoup présentes lorsque tu étais enfant mais après Charles est tombé malade comme tu le sais… J’ai dû m’occuper de lui, ça m’a pris tout mon temps. Et les années passant, nous voilà réunies à nouveau.
_Comment va Charles d’ailleurs ? J’imagine que c’est toujours assez compliqué…
_A vrai dire, ça va beaucoup mieux !
_Ah tant mieux !
_Oui, il est mort il y a un mois !
_Euh… Attends, quoi ?!
_Il n’en pouvait plus de la vie. Tu sais ce genre de maladie c’est vraiment terrible. Il se voyait perdre sa force de jour en jour c’était insoutenable. Il est mieux là où il est. Avant de mourir, il m’a dit qu’il n’en pouvait plus de la vie et qu’il sentait que c’était sa dernière heure. Il m’a fait promettre d’être heureuse car il partait pour un voyage qui le délivrerait. M’avoua-t-elle amère,
_Je t’ai toujours admirée pour la force et l’abnégation dont tu avais su faire preuve. Il a eu beaucoup de chance de t’avoir, tu sais ?
_Merci Raphaëlle, ça me fait du bien d’entendre ça… Tu vas passer quelques jours chez tes parents ? On pourrait peut-être se revoir ?
_Oui, avec plaisir, donne-moi ton numéro ! ».
Je l’enregistrai rapidement dans mon téléphone et descendis car j’étais enfin arrivé. En arrivant devant la porte de Robin je me rappelai les dernières paroles de Louise :
Il sentait que c’était sa dernière heure, (…) il partait pour un voyage qui le délivrerait.
Durant le dernier voyage j’avais perdu Noélie. Qui allait disparaître de nous deux Robin ?
Et un effroyable précipice à passer pour te retrouver enfin…
J’allais frapper, je fermais les yeux pour me couper quelques secondes de la réalité quand mon téléphone sonna. J’eus peur que ce ne soit Robin qui, ayant un coup d’avance, m’ait vu arrivé.
Je sortis mon téléphone et vis qu’il s’agissait de ma mère :
« Allô ? Répondis-je,
_Raphaëlle ? C’est maman, Louise m’a dit que tu étais à Bourges ?!
C’est une rapide…
_Oui, je passe tout à l’heure. Ça devait être une surprise. Je dois passer chercher quelque chose avant. » Inventais-je pour raccrocher rapidement.
Je repris une énième et difficile inspiration. Ma gorge était nouée, ma cage thoracique bloquée, mes idées s’entremêlaient et mon cœur battait la chamade. Je frappai à sa porte, une fois, deux fois. J’entendis du bruit de l’autre côté de la porte, comme quelqu’un qui cherchait ses clés. La porte s’ouvrit et j’eus l’impression que le temps et mon cœur s’arrêtèrent en même temps :
« Raphaëlle ! S’écria-t-il sonné,
_Je suis venue te voir une dernière fois Robin. Je peux entrer ?
_Oui, avec plaisir… » Susurra-t-il.
Il m’invita à me mettre à l’aise et m’asseoir, je refusai et, les mains dans les poches de mon trench, je le défiai du regard :
« Il faut qu’on mette les choses au clair Robin ! Ordonnai-je,
_Tu as raison. Il y a des points que j’aimerais éclaircir moi aussi. Je suis content que tu sois venue. Tu penses encore à moi ?
_Comment t’oublier alors que tu ne cesses de parasiter mon espace vital de tes appels, lettres et de ta présence pesante ?
_Alors, tu souffres aussi ?
_Non, je suis plutôt… Comment dire… agacée. Te voir ramper vers moi me fait tellement pitié et de peine. Je ne te déteste plus. Je crois que je ne t’ai jamais détesté finalement. Si j’ai accepté de devenir ton amie, c’est parce que j’avais vu à quel point tu étais seul, à quel point tu souffrais. J’ai un bon cœur pour mon malheur. J’ai voulu t’aider mais tu refuses de changer, de voir que le problème ce n’est que toi. Regarde ta vie. Tu es toujours là dans la même ville, la même routine, à attendre une femme qui ne t’aime pas et ne t’a jamais aimé. Pourquoi ?
_Je sais que tu m’aimes, tu ne serais pas là sinon !
_Oh mon Dieu, tu cherches partout des indices qui peuvent t’indiquer que ton aliénation te donne raison ? Si je suis là c’est pour te permettre de passer à autre chose. On ne s’est jamais expliqué, je ne t’ai jamais donné l’occasion de t’exprimer non plus. J’ai toujours supposé tes sentiments, tes conjectures, tes raisonnements. Alors, dis-moi, que ressens-tu ? Et que veux-tu ?
_Je t’aime à en mourir !
_Je ne t’aime pas.
_Je te veux à moi pour toujours !
_Je te le refuse.
_Je veux te voir souffrir !
_Je souffrais lorsque tu faisais encore partie de ma vie. Maintenant, je continuerais sans toi. Accepte-le. Non pas par choix, je sais que ce serait trop difficile pour toi. Accepte-le parce qu’il ne peut en être autrement. » Concluais-je sévèrement.
Il paraissait bouillir de l’intérieur. Dans un dernier excès de folie, il se jeta sur moi. Sa folie lui donnait une force que je ne pouvais contrer. Il s’en prit à mon corps, mon intégrité. Je restai immobile à attendre qu’il eut fini. Encore une fois…
Je ne laisserais plus personne me faire de mal…
Son souffle sur mon cou me répugnait, ses lèvres sur mes seins me révulsaient.
Je ne le laisserais plus me faire de mal…
J’attrapai un cadre qui était posé sur la table juste à côté de nous et lui frappai le crâne. Il fut déboussolé assez longtemps pour que trouve le temps de le repousser et de m’enfuir à la cuisine. Je cherchais dans les placards de quoi me défendre, pris un couteau et la cachai dans mon dos. Il arriva, du sang coulait le long de sa nuque. Il me regardait avec dégoût et se faisait encore plus menaçant. Il fondit sur moi et j’enfonçai le couteau dans son ventre et le tournai pour être sûre que la plaie reste ouverte. Je ressortis le couteau et recommençai encore une fois. Il glissa le long de mon corps dans un gémissement. Son sang tachait ce qu’il restait de mes vêtements. Il rampa jusqu’au salon et s’approcha du téléphone :
« Ils sauront tous ce que tu m’as fait Raphaëlle, j’ai réussi à gâcher ta pauvre vie… »
Je l’arrêtai en écrasant sa main avec mon pied.
« Laisse-moi le plaisir de te voir agoniser avant Robin… » Lâchais-je cruellement.
Toute étincelle de vie semblait quitter son corps. Je veillai sur ce qu’il lui restait de vie pendant plusieurs heures. Je ne saurai dire combien. Dans son dernier souffle je sentis comme une force sortir de moi, il me semblait que les dernières ruines de Noélie disparaissaient avec lui. Je me dirigeai ensuite vers son dressing, pris une chemise et un pantalon et m’en revêtit. Je jetais mes vêtements pleins de sang dans sa poubelle et m’en allai comme si de rien n’était.
J’allais chercher un gâteau pour mes parents. Je choisissais une tropézienne. C’était simple mais efficace. Il était dix-neuf heures lorsque je sonnai chez mes parents. Ils me sautèrent au cou en me voyant. J’entrai et fut surprise de voir Louise :
« Désolée, je ne savais pas que tu voulais leur faire une surprise ! J’espère ne pas l’avoir gâchée ! Me fit celle-ci gênée,
_Non, ne t’en fais pas. Ce n’était pas une grosse surprise non plus. Je suis contente que tu sois là. On pourra rattraper un peu tout ce temps perdu !
_Raphaëlle, tu as vu comment tu es habillé, on dirait un homme ! S’exclama ma mère,
_C’est drôle, Robin a le même genre de pantalon ! Renchérit mon père,
_Tu as pu le voir d’ailleurs ? Continua ma mère,
_Oui je l’ai vu tout à l’heure. Il va … Bien.
_Tu es passé le voir ? S’enquit Louise intriguée,
_Oui, ils étaient un peu en froid tous les deux alors que Robin a toujours été très présent pour Raphaëlle. On n’a jamais su ce qu’il s’était passé …
_Trop présent tu veux dire… Sa façon d’être toujours après elle était plutôt étrange… Voire gênante ! » Répliqua Louise.
Je la considérai avec circonspection. Ainsi, je n’étais pas la seule à trouver son attitude déplacée. Enfin, j’avais l’impression qu’on reconnaissait mes sentiments comme légitimes. Je fus parcouru par une onde de réconfort dont elle ne soupçonna jamais l’existence.
Nous dinâmes ensemble, comme au bon vieux temps. Nos voix s’entremêlaient en des rires qui explosaient ici et là. J’étais si heureuse de sentir revenir de bons souvenirs. Je n’avais pas donc pas vécu que des choses éprouvantes. La vie était parfois douce et j’avais trop tendance à l’oublier et me cachais souvent derrière une attitude positive feinte. Ce soir-là, j’étais heureuse et je ne m’en cachais pas.
J’étais heureuse de voir mes parents sourire, de voir Louise rire et de savoir que jamais plus on ne me ferait du mal.
En pleine nuit, je me réveillai, d’intenses douleurs m’irradiaient le corps. Je fus prise de spasmes culpabilisateurs. J’avais ôté la vie d’un homme, extrêmement mauvais certes, mais rien ne m’autorisait à prendre sa vie. Je n’en dormis pas du reste de la nuit.
Je me levai, les yeux et le visage décomposés par mon infamie. Je passai devant mes parents qui me saluèrent mais à qui je ne répondais.
J’allais me rendre à la police. On aurait retrouvé ma trace à un moment donné. Mes empreintes, mes vêtements tachés de sang dans sa poubelle, les traces de mon corps sur le sien, les dizaines de lettres qu’il m’avait envoyées, ses appels… Tout me reliait à sa mort.
J’expliquai cela aux policiers, la mort dans l’âme, les yeux dans le vague. D’une voix caverneuse et monotone. J’avais à peine la force d’articuler. Je partis en crise de panique à la fin.
J’avais l’impression qu’on m’écrasait, qu’on cherchait à me tuer. J’entendais des voix qui m’accusaient sans cesse. J’hurlais de douleur et tombais à terre. On me conduisit à l’hôpital.
En feuilletant les quelques pages de mon passé, il fut décidé une obligation de soins à mon encontre. On m’enferma dans un hôpital sans âme. J’entendais chaque nuit la détresse et l’angoisse d’être enfermé ici, seul, avec la maladie. Il n’était plus possible de lui échapper.
Je reçus de la visite. Miraz avait eu la noblesse particulière de venir me voir.
« Tu te décomposes au fur et à mesure Raphaëlle… Pourquoi tu as fait ça ?
_Je voulais les faire taire…
_Qui ? Robin ?
_Les voix dans ma tête… ».
Elle serra mes mains dans les siennes. Je ressentis cette chaleur et ce réconfort que je n’avais pas ressenti depuis longtemps.
Cinq mois passèrent, sans encombre malgré la situation. Je m’étais composé une routine, je me levais, déjeunais et discutais avec d’autres résidents. Nous parlions de nos vies et de nos maladies. Je participais même de bon gré à des groupes de paroles. Je n’apprenais rien sur moi, j’apprenais juste que je n’étais pas celle dont la souffrance était la plus écrasante. Il m’était rassurant de placer mon mal sur une échelle de valeur. Je pouvais mieux suivre sa progression.
Je me remettais doucement en état de fonctionnement. J’arrivais même à rire parfois. Le soir, l’angoisse se faisait plus intense. J’avais toujours l’impression qu’on cherchait à me tuer, sans jamais savoir qui pouvait être ce « on ». Je pleurais parfois silencieusement pour conjurer mon mal. Cela faisait six mois que je n’avais pas recontacté Fanantenana et ce n’était pas de là où j’étais que j’allais pouvoir changer cela. Je n’avais aucun moyen de communiquer avec l’extérieur.
Je me perdais en rêveries vaines. Tantôt, j’étais dans l’espace à bord d’un vaisseau spatial à découvrir l’univers, tantôt je retrouvais ma vie normale auprès de ma famille.
« Tu rêves de l’impossible… gémit une femme rampant vers moi. Je la regardai, elle était en guenille et semblait si vieille que la mort devait l’attendre à chaque coin de rue. J’avais l’impression de me voir par autoscopie. De voir celle vers qui j’avançais venir à moi.
« Noélie ? C’est toi ? Demandais-je tranquillement,
_Je vois que tu ne m’as pas oublié !
_Je n’oublie personne apparemment, et ça fait ma force.
_Tu es dans un hôpital psychiatrique et sous calmants…
_Tu es dans un piteux état. Me moquai-je,
_Tu n’as pas encore compris que je suis celle que tu es intérieurement ? Ce n’est pas faute de te l’avoir dit.
_Je suis très moche intérieurement alors… Fis-je sur un ton léger,
_Tu es morte de l’intérieur. Depuis très longtemps déjà mais tu ne te l’avoues que maintenant. Rétorqua-t-elle avec morgue,
_Tu as perdu de ta répartie Noélie. C’est triste.
_Je sais qu’aucun mot n’aura plus d’effet que le choc de me voir revenir de l’enfer où tu m’as laissé tomber.
_Pourquoi es-tu ici ?
_Pour te prévenir… Le destin trouve toujours son chemin Raphaëlle… »
Elle disparue. La voir n’avait rien déclenché en moi : ni peur, ni colère. Je pensais être guérit lorsque je fus pris d’affreux spasmes encore au niveau du ventre. La tête me tournait. Je n’arrivais plus à me lever.
Chercher et accepter l’aide des autres…
Je laissai échapper un cri d’alerte. J’avais besoin qu’on m’aide.
Je me réveillai dans une salle blanche. Un visage interrogateur apparu au-dessus de moi :
« Eh bien, on peut dire que vous vous en sortez bien tous les deux !
_Tous les deux ?! Elle est encore là ?! Sifflai-je,
_Comment ça elle ? »
Je me relevai et ne la vit pas. J’étais soulagé. Le médecin qui se tenait à côté de moi continua avec précaution :
« Madame Joly… Vous êtes… enceinte…
_Mais ce n’est pas possible… Je suis ici depuis cinq mois ! Enfin, à moins que ce soit une intervention divine…
_Vous êtes enceinte de six mois, vous avez semble-t-il fait un déni de grossesse. Nous allons, par conséquent devoir diminuer vos médicaments. J’ai prévenu le psychiatre qui vous suit. Je pense qu’il est important qu’on modifie un peu votre prise en charge », déclara-t-il.
Noélie était revenue pour me prévenir. Mon corps a voulu le faire taire mais au fond je le sentais. Je pris du poids en quelques heures seulement. C’était assez impressionnant à voir.
Je haïssais ce nouveau corps. J’avais si peur de connaître la raison qui m’avait poussé à nier de toutes mes forces l’évidence. J’avais, pendant cinq mois réussi à oublier tout le mal qu’IL m’avait fait.
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