Ce qu’on cherchera à oublier…

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J’étais désormais entre quatre murs froids et livides. J’avais perdu près de vingt kg, j’étais méconnaissable. Allongée sur un lit trop dur au sein de la prison de Versailles je me ressassais les derniers souvenirs que j’avais : Robin écroulé dans son sang étalé sur le tapis de son salon, le dernier regard amoureux de Fanantenana qui me criait de rester encore un peu de temps avec lui, le visage triste de Miraz qui se décida à s’abandonner totalement à la relation qu’elle entretenait avec son soi-disant petit-ami, Gaëtan. Ecrire son nom était une véritable torture pour mes doigts. Et bien sûr, la dernière pour la fin et non pas des moindres : Noélie disparaissant, le dernier souffle de vie de Robin l’avait entraîné avec lui dans le néant.

Peut-être aurais-je dû tout simplement pardonner à Robin ? Il savait que tout ça me restait encore en travers de la gorge et c’est pourquoi il avait tenté de m’étouffer encore et encore… Pardonner plus souvent et totalement… Voilà déjà un vœu de la liste que je n’avais pas réalisé… Et finalement, je n’avais fait mon deuil de rien, je n’avais pas non plus réussi à respecter mes sentiments et émotions. Je les avais à nouveau fait taire en annihilant une dernière fois Noélie. Noélie était la seule de nous à éprouver les choses directement. Je me contentais toujours de réagir à ses appels et rappels. J’étais une machine répondant aux stimulis.

Mais, en déversant la mort, j’avais donné la vie. En créant le chaos sur mon passage j’avais fait renaître l’espoir. Asha était un cadeau du ciel. Elle avait permis de réunir Fara et Fanantenanta, d’offrir une meilleure vie à ce dernier, de me donner le courage d’affronter ce qui me faisait tant souffrir et m’a donné une autre chance contrairement à ce que ma situation laisse penser. Je savais qu’à travers elle, je pourrais sublimer mon être. Elle porte mon sang, mes gênes, une part de mon âme, elle a la pugnacité de sa mère, la pureté de son père. Elle est la version parfaite de ce que j’aurais tant voulu être. Elle ne porte pas en elle, mes faiblesses, mes souvenirs, mes fêlures et mes blocages. C’est un être sain qui ne demande qu’à être modelé pour le bonheur. Je savais que Fanantenana et Fara l’aiderait à devenir une femme merveilleuse, loin de mes blessures qui l’auraient remplie d’effroi.

J’avais accouché, oui. D’une petite fille au doux prénom d’Asha qui signifie l’espoir, la perspective, quelque chose de grand et beau comme ses yeux. J’avais réussi à contacter Fanantenana grâce à Miraz qui venait me visiter.

« Manao Ahoana Fanantenana,

Juste pour te dire que je t’aimerais toujours. Tu ne le sais pas car j’ai à nouveau disparu de ta vie par lâcheté. Crois bien que je suis désolée de m’être montré aussi vile et abjecte avec toi, tu n’as jamais mérité cela.

Je n’étais pas digne d’entrer dans ta vie et le destin m’a rattrapé. Tu auras essayé de le déjouer mais nous ne pouvons rien contre les lois de l’univers, je crois.

De ce jeu de hasard nous avons créé l’amour infini. Voici l’échographie d’Asha. C’est ta fille Fanantenana. Je suis enceinte de six mois maintenant. Tu peux faire comme si tout cela ne représentait rien, comme si je te mentais encore une fois, mais ça ne change rien à la vérité. Ne crois pas que c’est une énième tentative pour te récupérer. Je ne te ferais pas l’affront d’essayer de récupérer ton amour. Oublie-le, oublie-moi à tout jamais.

J’espère que tu pourras ainsi venir grâce à elle…Réaliser votre rêve à toi et Fara.

Mais prends soin d’elle, je t’en prie Fanantenana… Fais-le, non pas en mon souvenir, je sais combien je t’ai fait du mal, fais-le pour elle, pour qu’elle ait une meilleure vie que celle que j’aurais à lui donner.

Protège-la de moi. Et je te promets de ne jamais tenter d’entrer dans vos vies mais de vous fuir, toujours. »

Il n’avait jamais répondu. J’ai envoyé le même message aux deux profils différents de Fara : Fa Fy et Fara Rabekoto. Elle m’avait répondu sur celui de Fa Fy par une succession de points d’exclamation. Je n’avais rien dit de plus.

Je me suis longtemps sentie rongée de l’intérieur en pensant que cet enfant pouvait être celui de Robin. Mon corps avait rejeté l’idée même de pouvoir donner la vie d’un être que je n’aimerais qu’à moitié. Lorsque j’avais envoyé ce message, je n’étais encore sûre de rien, mais personne n’était au courant de ce que m’avait fait Robin. Moi-même je l’avais oublié un moment. Noélie est revenue des enfers pour me jeter aux visages les terribles souvenirs. Il était impossible pour mon corps de me cacher la vérité plus longtemps.

J’ai beaucoup pleuré, Miraz m’a longuement soutenue comme une mère. J’avais décidé, après la mort de Robin, de couper les ponts avec mon passé : mes anciens amis de Bourges qui m’avaient vu grandir, mes frères et sœurs dont je n’ai jamais parlés car je ne les connaissais pas pour ainsi dire et enfin, mes parents. J’espérais secrètement que tout ce monde m’oublie. Qu’ils croient que je n’étais qu’un mauvais rêve. Une idée vague et fugace qui vous traverse l’esprit sans s’arrêter un instant.

Envahie par la culpabilité je ne me sustentais plus et l’inanition n’était pas loin. A force, j’avais mis la vie de ma fille en danger, elle avait bien failli ne jamais voir le monde. Elle était si petite à sa naissance… Si fragile... Mais déjà plus forte que moi. Elle s’était battue pour vivre, alors je savais qu’elle avait cette persévérance de vie à toute épreuve. Elle avait pris du poids plus vite que je ne continuais à en perdre.

Quand je la vis, je ressentis une peur plus grande encore. La peur de ne pas savoir que faire d’elle ni pour elle. Je ne m’étais jamais imaginé avoir quelqu’un à m’occuper. J’avais toujours cherché à rendre l’autre dépendant de mon amour dans mes relations et ce n’était pas ce que je voulais pour elle. Je la voulais heureuse, je la voulais sereine. Je n’avais que dégoût, rancune et haine à lui offrir. Elle méritait mieux. Malgré tout, je fus soulagée de voir qu’elle ressemblait, trait pour trait à son père. Elle avait ses cheveux bruns crépus, son visage rond, ses yeux noirs, son nez retroussé mais un peu empâté mais elle n’avait pas encore sa peau caramel qui allait sans doute se colorer avec le temps.

Elle n’avait rien pris de moi physiquement. J’espérais qu’elle n’ait pris que mon cœur que je ne sentais plus, celui qui aimait toujours trop, celui que me faisait vibrer d’une intense joie quand je me rappelais mon espoir infini en la vie, celui qui m’avait fait rencontrer son père, celui qui m’avait appris à m’éprendre de lui, à vivre plutôt qu’à exister. Ce cœur qui avait guidé silencieusement ma raison de son intuition. Ce cœur que je n’ai suivi qu’aveuglément qu’une fois et qui m’avait fait tout perdre. Ce cœur que je connaissais si peu, que je n’ai pas su protéger de Noélie et qui s’était perdu.

Je voulais qu’elle sache se servir de ce cœur qui l’attendrait en embuscade et serait capable de l’emmener au large de toute logique grâce aux vagues inexorables des émotions. Je voulais qu’elle apprenne à le faire danser grâce à la valse sublime des sentiments qu’il lui était possible d’éprouver.

Je lui écrivis alors une lettre (oui, encore une…) car j’avais promis sur sa vie que jamais je ne viendrais glacer son monde de ma présence morbide. Je ne pourrais donc jamais lui dire.

Je me levai tristement de mon lit. Pris mon carnet, celui sur lequel j’avais relaté toute cette histoire, en déchira une feuille et commençai à écrire avec fièvre :

« Ma chère Asha,

Tu ne me connais pas et sans doute ne me connaîtras-tu jamais.

Je suis celle qui t’a mise au monde. Je ne suis pas celle qui t’élèvera, qui te comblera de son amour, celle qui t’apprendra tout ce que tu dois savoir, celle qui te guidera ou qui te réconfortera.

Je suis juste celle qui gardera ton souvenir intact à l’abri dans ce qu’il reste de son cœur.

Je suis juste celle qui ne t’oubliera jamais.

Je suis juste celle qui t’a vu naître les larmes aux yeux. Qui a tant souffert pour te voir prendre vie. Je suis celle qui s’est abandonné pour te sauver de moi.

T’éloigner de moi fut la plus belle chose que je fis Asha. J’aurais été une mère défaillante, perturbante, étouffante et clivante.

Je t’aurais fait du mal, j’aurais éteint ton être.

Je ne voulais pas de ça pour toi.

Je voulais te le dire pour que tu saches pourquoi on ne s’est pas connu, pourquoi j’ai disparu de ton univers avant que mon souvenir ne s’imprègne en toi.

J’ai aimé ton père comme jamais je n’ai aimé un homme de toute ma vie. J’ai bien failli détruire la sienne d’ailleurs. Je m’en veux tellement. Il s’est arrêté de vivre un instant pour moi. Il voulait suspendre ses rêves au mien. J’ai eu peur de l’entraîner dans ma chute. Je l’ai fui lâchement.

J’ai gravi des sommets, traversé des océans, marché le long de routes sinueuses pour me chercher. Au bout du chemin, je n’ai trouvé que mon reflet cruel et révélateur. Je n’étais donc rien de plus que l’image de moi-même.

J’ai vécu des choses qu’il vaut mieux taire, fait des choses ineffables et je paie pour cela désormais.

Tu ne méritais pas de supporter cela avec moi, à cause de moi.

Cependant, je voulais te laisser la chance de me rencontrer. Je ne peux pas décider de ce que tu veux faire. Je peux juste m’empêcher de te faire du mal.

Alors, voici la seule chose que je peux te dire de moi, la seule chose qui ne soit pas entachée par mes actes monstrueux, mon nom : Raphaëlle Joly.

Un bien joli nom pour un être aussi méphistophélique que moi. Raphaëlle signifie : « Dieu seul peut guérir ». C’est vrai, Lui seul parviendrait à effacer tout ce qu’il s’est passé, à retirer de mon être ces infernales colère et haine qui me rongent. C’est peut-être vers lui que j’aurais dû me tourner plutôt que mon cœur.

Ne commets jamais l’erreur de n’écouter que ton cœur ou ta raison. Les deux vont de pairs. Tu ne peux pas aimer plus que de raison comme tu ne peux pas raisonner froidement sans te faire du mal. Apprends à connaître ton cœur pour savoir comment le raisonner et le rassurer.

Je ne m’étendrais pas plus longtemps Asha. J’ai déjà beaucoup trop parlé. Si tu veux en savoir plus sur moi tu peux demander à Miraz. Elle sait tout de mon histoire. C’est un peu la gardienne de mes souvenirs.

Je t’aime.

Raphaëlle. »

Miraz me visitait en général une fois par mois. Au début, elle venait chaque semaine. L’espacement de ses visites ne provoquait rien chez moi. Il était clair qu’elle en avait déjà trop fait pour moi et elle ne me devait rien. Le jour de sa dernière visite, je lui remis la lettre et l’exhortai à ne jamais revenir, à m’oublier elle aussi, à faire sa vie loin de moi :

« Tu es toujours ma meilleure amie Raphaëlle… Pleura-t-elle,

_Tu te fais du mal à venir me voir.

_Je ne peux pas t’abandonner ! Personne à part moi ne vient te voir, même pas tes parents. Je te vois mourir de jour en jour ici…

_Je ne veux pas t’infliger plus de douleur. Ce n’est que la conséquence de mes actes. Pour ce qui est de mes parents… J’ai coupé les ponts avec eux après avoir tué Robin.

_Pourquoi ?

_Je ne voulais pas qu’il sache que leur fille est une criminelle, qu’elle a laissé son désespoir gagné la guerre après tant de victoires sur les batailles qu’elle avait mené jusque-là.

_Tout le monde est au courant maintenant et tu te retrouves seule… Je ne peux pas t’abandonner…

_J’ai toujours été seule, Noélie m’a toujours tenus éloigné de tout le monde. Je donnais l’impression d’avoir lié de réelles amitiés, d’avoir trouvé le parfait amour. Rien de tout ceci n’était vrai. Ce n’était qu’un songe auquel je croyais car j’ai toujours refusé à mon cœur de parler. Tout ce que j’ai construit n’était que des royaumes factices ou Noélie régnait en maître. Et maintenant tous mes châteaux de cartes se sont écroulés. Je ne suis plus que la reine déchue de ma geôle de la prison de Versailles. Ce que la vie peut-être ironique !

_Pourquoi cherches-tu à te faire du mal ? Je t’aime moi, il y a une véritable amitié entre nous. Tu m’as toujours écouté, conseillé, je suis allé te chercher à l’autre bout du monde !

_Oui, en effet, je n’ai toujours fait que t’écouter pour te juger et me rassurer et toi tu m’as sauvé. »

Miraz se stoppa net et me jaugea du regard. Ce que je lui disais était horrible à entendre. Elle ne pouvait croire que j’avais toujours joué un rôle, surtout avec elle. Elle avait cru connaître Raphaëlle Joly mais il n’en était rien.

Je lui remis la lettre pour Asha, me retirai et ne la revis plus jamais. Je ne sais ce qu’elle est devenue, je ne sais si Fanantenana a finalement réussi à venir en France, je ne sais pas non plus si Asha a reçu ma lettre un jour. Mais j’étais enfin en paix. J’avais trouvé le courage de m’avouer tout ce que j’étais. Je pouvais maintenant oublier.

Oh non, crois-moi, nous n’oublierons jamais ça… Fulmina Noélie au fond de sa cage.

Oublier, Fanantenana s’y employait aussi. Que dire, pour ne pas vous démoraliser davantage ? Toutes les histoires ne finissent pas bien. Mais rien n’est vraiment tout noir.

Il avait bien vu le message Raphaëlle. Il était partagé entre un sentiment de surprise et la colère qu’elle ne lui ait rien dit avant. Il aurait voulu lui dire mais ce n’était plus la peine désormais. Dans un dernier geste d’amour, elle allait l’aider à venir en France. Il entreprit les démarches pour reconnaître Asha. Il fit une demande de visa pour regroupement familial et arriva, après tant d’années, à rejoindre sa sœur. Elle fondit en larmes en le voyant arriver dans sa vie enfin.

Raphaëlle fit tout ce qu’elle put pour qu’Asha les rejoigne rapidement. Ils étaient enfin tous les trois. Une nouvelle vie commença.

Fanantenana mit du temps à percevoir une allocation pour personne en situation de handicap. Fara travaillait pour deux en attendant. Elle faisai énormément de ménage et se reposait peu. C’était difficile mais ils étaient heureux malgré tout. Ils cherchèrent à se convaincre que toute cette histoire était derrière eux désormais.

Fara, voulait que leur vie se reconstruise. Elle avait d’ailleurs toujours refusé de prendre la lettre de Raphaëlle que Miraz avait tenté plus d’une fois de leur donner. Néanmoins, elle aura, beau eu essayé de faire entrer une nouvelle femme dans la vie de son frère, il restait catégoriquement décidé à prendre sa retraite sentimentale. Il avait déjà bien trop souffert. Il se contentait de supporter le reste des jours de sa vie. Fara en devenait folle par moment. Elle, avait réussi à passer à autre chose. Lui paraissait dans l’inertie la plus totale, les rouages de ses sentiments semblaient rouillés.

Du côté de Miraz, c’était aussi mi-figue mi-raisin. Elle était resté avec Gaëtan, ils vivaient même ensemble maintenant dans la maison qu’elle partageait avec Raphaëlle naguère. Elle avait enfin décroché un CDI. Elle faisait le ménage et s’occupait des enfants dans une école primaire au centre de la ville. Elle coulait des jours paisibles ponctués par l’agacement de devoir supporter l’homme avec qui elle finirait ses jours sans le vouloir.

La petite Asha grandissait maladroitement. Il semblait que sa personnalité manquait d’un tuteur pour pousser droit. Elle avait conscience de ce manque et demanda tristement un jour à son père avec une grande dose d’innocence :

« Papa, pourquoi je n’ai pas de maman ? »

Elle venait à peine d’avoir 7 ans. Elle regardait avec envie tous les autres enfants se jeter au cou de leur maman lorsqu’elle sortait de l’école. Elle se surprenait à chercher parmi toutes ces têtes bienveillantes un visage familier qui la regarderait avec tellement d’amour qu’elle n’aurait plus jamais peur. Apparemment, elle n’avait pas mérité d’avoir une mère.

_Et moi, je suis quoi ? S’indigna Fara,

_Tu es ma tante. Tous les enfants à mon école ont une maman en plus d’une tata. Pourquoi moi je n’en ai pas ? Elle est où ? ».

Fanantenana la considéra avec gravité et inspira un grand coup. Il avait bien vieilli avec toutes ses péripéties. Ses cheveux étaient grisonnants et son front marqué par des ridules qui semblaient dessiner les courbes de son histoire. Il poursuivit :

« Ta maman… Est… Elle a disparue.

_Comment ça ?! S’écria Asha, elle est partie ? Elle ne m’aimait pas ?

_Oh non, dit-il ému de voir sa fille au bord des larmes, bien sûr qu’elle t’aimait !

_Alors pourquoi elle est partie ? Pourquoi elle m’a laissé ?

_Je vais te raconter ce qu’il s’est passé.

_Fanantenana, tu es sûr ? Objecta Fara,

_Oui, il faut lui dire ! »

Asha regarda son père avec intensité. Elle était sur le point de découvrir pourquoi elle lui manquait tant.

« Nous étions très amoureux avec ta mère. Elle est venue passer quelques …. Mois à Madagascar me voir. Et tu es arrivé dans nos vies comme par miracle. Elle était très contente et moi aussi. Elle devait rester mais elle dû rentrer rapidement en France à cause de son travail.

_Elle faisait quoi comme travail ?

_Elle aidait les gens… Elle a toujours aidé les autres… C’était quelqu’un de bien au fond… Se rappela-t-il avec émotions, elle a donc pris l’avion mais n’est jamais revenue… L’avion s’est écrasé en arrivant sur le continent africain.

_Elle est perdue en Afrique ?! » S’exclama Asha les yeux écarquillés. Il crut voir un instant Raphaëlle dans ses yeux et fut pétrifié par cette vision fantomatique.

« Papa ? Ça va ?

_Oui, oui, tout va bien. Donc l’avion s’est écrasé et… Oui elle s’est perdue en Afrique…

_Elle est morte ! », Conclut Fara sèchement.

Ashsa, sous le coup de l’angoisse de cette nouvelle, se mit à pleurer. Elle ne s’attendait pas à ne jamais pouvoir la rencontrer. Elle l’avait si souvent imaginé. Elle s’était imaginé sa mère la consolait lorsqu’elle était triste, et pour se blottir contre elle à loisir. Elle l’avait aussi souvent imaginé être là à lui faire apprendre ses leçons. Ça ne paraissait rien, mais pour une petite fille de sept ans, cela représentait tout.

Fanantenana adressa un regard noir à sa sœur :

« Tu n’étais pas obligé de lui dire ça…

_Il vaut mieux qu’elle se fasse à l’idée qu’elle ne la reverra jamais.

_C’est ce que je croyais aussi mais je n’avais pas le cœur à tuer tout l’espoir en elle… »

Quelques jours plus tard et non loin de là, Miraz arrivait à l’école pour commencer le ménage. En entrant dans la cour, elle fut bousculée par une petite qui manqua de la faire tomber :

« Eh doucement ! Je ne suis pas encore invisible il me semble… » S’exclama Miraz. La petite se tourna pour lui adresser un regard inquiet de se faire gronder. Miraz crut défaillir lorsqu’elle vit un visage qu’elle avait l’impression de connaître. Elle avait le regard de Raphaëlle et semblait aussi taciturne et réservée qu’elle. Il y avait dans les traits de son visage une peur qu’elle avait déjà vu tant de fois. La petite, voyant qu’elle ne réagissait pas, se précipita dans les bras de celle qui était venue la chercher :

« Fara… C’est donc… Asha…» Chuchota-t-elle en se retournant.

Il ne faut pas qu’elle me voie ici… Se dit-elle.

Elle se dirigea rapidement vers la porte d’entrée de l’école finir de nettoyer les classes. En passant l’éponge sur un tableau, elle se décida à aller voir Fara le lendemain soir pour parler. Elle ne pouvait pas rester là sans rien tenter. Elle le ferait pour le souvenir de Raphaëlle.

Le lendemain donc, elle attendit dans la cour que Fara arrive. Elle vit passer Asha en courant une fois de plus, elle avait l’air si soulagée de quitter l’école. Elle sauta dans les bras de sa tante qui lui dit deux trois mots en malgache auxquels Asha ne répondit pas. Elles commencèrent à rentrer doucement à pied. Miraz les suivirent.

Elles arrivèrent devant une grande barre d’immeubles sans se rendre compte une seule seconde qu’elles n’avaient pas fait ce voyage toutes seules. Fara ouvrit la porte du hall de son allée lorsque Miraz sortit de sa cachette :

« Fara… C’est moi… » dit-elle d’une voix affaiblit de sanglots. Fara se retourna et considéra avec horreur cette vision du passé ;

Les lois de l’univers sont indéfectibles, le destin trouve toujours son chemin.

« Que faites-vous là ?! »

Le regard d’Asha passait de l’une à l’autre avec curiosité.

« Je suis venue vous parler de Raphaëlle…

_Laissez-nous tranquille comme elle le fait, elle.

_Ecoutez, je sais que vous avez refusé de prendre cette lettre, mais je sais que c’est important de laisser l’opportunité à Ash…

_Partez ! Vous n’avez rien à faire ici. Nous sommes heureux maintenant, c’est fini tout ça. Laissez-nous tranquille !! » Hurla-t-elle en tirant Asha à l’intérieur du hall.

Miraz et Asha ne se quittèrent pas des yeux jusqu’à que cette dernière disparaisse dans l’ascenseur.

Si Milan avait été là… Il aurait su quoi dire, lui… Pensa-t-elle.

D’ailleurs, vous vous demandez peut-être ce qu’est devenu Milan après s’être fait jeter si près du but ? Eh bien, il est parti, sur un coup de tête. Pas à Madagascar, non, je vous rassure. L’histoire ne se répétera pas ! Il a quitté son travail, il a quitté Chelles. Il ne pouvait rester après tout cela. Lui, par contre, aura réussi à faire son deuil de cette histoire et de Raphaëlle en moins de temps qu’il ne le faut pour l’écrire ! Aux dernières nouvelles mais ce ne sont que des rumeurs, il se serait marié et serait heureux. Ce qui l’a sauvé finalement, c’est de ne pas être aimé de Raphaëlle.

Mais revenons à l’histoire. Asha, quant à elle, demanda à sa tante qui était cette femme qui semblait très bien la connaître. Fara lui fit alors promettre de ne jamais parler de cette rencontre à son père, que cela ne pouvait que lui faire du mal car Miraz était une très mauvaise personne, selon ses dires. Asha, stupéfaite, garda toutes ses paroles en elle comme à son habitude.

Plusieurs jours s’écoulèrent depuis cet événement. Alors que Miraz nettoyait avec nonchalance les tables sur lesquelles les enfants avaient mangées, elle fut interrompue :

« Qui êtes-vous ? » Demanda une petite voix décidée. Cette question lui laissa un sentiment bizarre. Elle sentait qu’une grande histoire allait commencer sur celle-ci. Elle se retourna et fut contente quand elle vit les yeux intrigués d’Asha la dévisager :

« Je suis Miraz. Et toi Asha, c’est ça ? Lui demanda-t-elle enjouée,

_Oui, comment tu sais comment je m’appelle ?

_J’ai déjà entendu ta maîtresse t’appeler, c’est pour ça.

_Comment tu connais ma tata ?

_On s’est connu il y a des années…On s’est un peu perdu de vue.

_Pourquoi elle a peur de toi ?

_On a vécu des choses un peu difficile elle et moi.

_Quelles choses ? »

Miraz ne voulut pas lui en dire plus, de peur qu’elle ne raconte cette discussion à sa tante et qu’elle ne la voit disparaître pour de bon.

« Asha, il vaudrait mieux que tu ne parles pas de moi à ta tante. Ça pourrait lui faire du mal, lui rappeler de mauvais souvenirs…

_Tu lui as fait du mal ?

_Moi ? Non…

_Alors qui ?

_Une amie à moi.

_Qu’est-ce qu’elle lui a fait ?

_Euh… Disons qu’en voulant l’aider elle a failli lui faire tout perdre.

_Pourquoi ?

_Tu poses beaucoup de questions, haha. Je crois que nous en resterons là, c’est bientôt l’heure de retourner en classe. »

Asha la considéra avec sévérité, elle avait le même regard que Raphaëlle lorsqu’elle réfléchissait avec gravité à ses questions existentielles. Miraz eut du mal à cacher son trouble et une larme coula le long de sa joue. Elle s’en alla s’enfermer aux toilettes pour pleurer en serrant la lettre entre ses doigts. Elle évita Asha toute la journée durant. Mais la petite, persévérante, silencieuse et décidée comme sa mère pouvait l’être, retrouva sa trace dans les méandres des couloirs de l’école :

« Pourquoi vous vous cachez ? Demanda-t-elle à Miraz qui sursauta,

_Euh, je ne me cache pas.

_Tu pars quand j’approche de toi. Dis-moi pourquoi ! Ordonna-t-elle avec véhémence,

_On croirait entendre Raph…S’étonna Miraz,

_Quoi ?

_Non, je disais que tu es bien autoritaire pour une petite fille de sept ans. Ce n’est pas l’heure de rentrer chez toi ?

_Pourquoi tu ne réponds pas ? Je te vois, mais tu te caches encore.

_Ta tante t’attends Asha. Va la rejoindre immédiatement, lui intima Miraz.

_Je ne veux pas rentrer avec elle…

_Pourquoi ?

_Elle ne réponds jamais à mes questions, comme toi. Je veux que quelqu’un me dise.

_Te dise quoi ?

_Comment retrouver ma maman. Elle s’est perdue en Afrique quand je suis née.

_Comment ça ?

_Papa m’a dit qu’elle avait dû rentrer en France après ma naissance et son avion est tombé en Afrique. Elle est là-bas mais je ne sais même pas où c’est l’Afrique. Tu crois que je la verrais un jour ? Demanda-t-elle entre deux sanglots.

_Asha… Je ne devrais pas te dire ça mais…

Le destin…

_Ta maman…

…Trouve toujours son chemin.

_N’est pas en Afrique, elle est ici en France. A Versailles… »

Asha ouvrit tous grands ses yeux pleins de larmes. Elle sentit qu’elle venait de toucher du bout du doigt la vérité.

« A Versailles… Elle vit dans un château ? Ma maman est une princesse ? Pourquoi elle ne veut pas venir me voir ?

_Oh oui, une reine même, la reine de l’illusion… Et moi celle des idiotes… Mais ce n’est pas qu’elle ne veut pas te voir, elle ne peut pas.

_Pourquoi ?

_Disons, qu’elle est retenue prisonnière par une méchante sorcière, Noélie…

_Pourquoi ?

_Parce que ta mère vaut beaucoup mieux qu’elle et ça la rend folle…

_Elle reviendra un jour ?

_C’est possible… Ecoute Asha, je vais te donner quelque chose. Promets-moi de ne pas l’ouvrir dix-huitième anniversaire au moins. Si jamais Fara et Fanantenana découvraient que je t’ai donné ça maintenant ils pourraient chercher à te le reprendre.

_ça va m’aider à retrouver maman ?

_Oui, si tu fais tout ce que je te dis, tu peux en être sûr. » Elle sortit une enveloppe, griffonna quelques obscurs mots dessus et lui donna.

« Voilà une lettre qui t’expliquera comment la trouver. Mais si tu l’ouvres trop tôt tu pourrais ne plus jamais avoir l’occasion de la revoir. Tu as bien compris ? ».

Asha fit le serment de ne pas l’ouvrir avant qu’elle n’ait dix-huit ans et partit en courant rejoindre sa tante. Elle sentit quelque chose de nouveau naître en elle : l’espoir.

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