Comment j’ai trouvé la paix…

10 minutes de lecture

À moi de vous raconter un bout de mon histoire. À mes dix-huit ans, comme promis, j’ouvris l’enveloppe. Je lus la lettre et eus le choc de ma vie.

Ainsi, elle était en vie ?! Ainsi, elle m’aimait… Ainsi, je pourrais enfin connaître la vérité ! Miraz avait pris soin de noter son adresse sur l’enveloppe. C’était à l’autre bout de la ville. Je ne me fis pas prier et accourus à sa rencontre.

J’ai traversé la ville pour toi, maman.

« Bonjour Miraz, c’est moi…

_Asha ! S’exclama-t-elle ravie,

_Je n’étais pas sûre que tu puisses venir ici un jour… Je sais que ta mère a promis qu’elle ne reviendrait plus dans ta vie mais…

_Je veux entrer dans la sienne. Je veux savoir d’où je viens. Je veux savoir pourquoi elle a disparue. Je veux savoir pourquoi mon père est triste depuis toujours. Pourquoi tante Fara est en colère constamment. Je crois que c’est le destin qui t’a mis sur ma route Miraz. Je ne vois pas d’autres explications. »

Elle me fit entrer. Elle vivait dans une grande maison avec un chaton très mignon. Je me baissai pour le caresser. Il était doux et très joueur. Miraz me regarda avec attendrissement.

« J’ai l’impression de voir ta mère… Elle pouvait passer de nombreuses heures à s’occuper de ses chats… Lorsqu’elle était encore ici.

_Ma mère a vécu ici ?!

_Oui, on était colocataires à l’époque. Tu veux que je te montre sa chambre ? Je n’y ai pas touché malgré les demandes insistantes de mon conjoint… »

Je la suivis à l’étage. Elle ouvrit la porte du lieu sacré des souvenirs de ma mère et me laissa entrer la première. Je fus frappée par ce côté désordonné que j’avais hérité d’elle et qui agaçait tant ma tante. Je m’assis sur son lit à baldaquin. J’avais l’impression de ressentir les émotions qui pouvaient la traverser lorsqu’elle se retrouvait dans ce petit havre de paix qu’elle s’était construite. Sa chambre ressemblait à celle d’une princesse qui aurait toujours refusé de grandir. Je la trouvais déjà très attachante. Je vis les cartes postales autour et sur la porte. J’en décrochais une pour lire son contenu. Une amie à elle était partie en vacances en Chine et lui parlait de tout ce qu’elle avait vu. Ainsi, je connaissais enfin l’un de ses souvenirs. Je passai mes doigts sur les meubles pour sentir sa présence. J’arrêtai mon regard sur le bureau. Une pile de feuilles débordait de celui-ci. Je l’effleurai :

« Prends-les. Elle a écrit tout ça pour ton père à la base… Mais un peu pour elle aussi et comme tu es un savant mélange des deux, c’est un peu pour toi aussi. Dedans, elle explique comment tout ceci est arrivé, pourquoi c’était… Inéluctable presque… Elle m’a demandé de rajouter mes souvenirs également. Je n’ai pas pu recueillir ceux des autres malheureusement. » Lâcha Miraz, mélancolique.

C’était le plus beau cadeau que l’on pouvait me faire. J’eus les larmes aux yeux en lisant la première phrase : Sur un malentendu… On aurait pu s’aimer.

Je feuilletai les pages et lus quelques mots ici et là. Je ne saurais dire si elle était triste ou pleine d’espoir. Elle oscillait entre les deux à chaque chapitre.

« Peut-être pourrais-je apporter ma pierre à l’édifice également ! J’ai des choses à raconter aussi…

_Je pense qu’elle en serait ravie. Va la rejoindre. Tu as beaucoup de questions auxquelles elle doit enfin répondre… »

J’entrepris les démarches pour aller voir ma mère en prison. Ma demande fut acceptée, bien sûr. Et le jour de la rencontre arriva. J’étais tremblante et moite. J’avais mis mes plus beaux habits, son collier que mon père m’avait donné pour mes quinze ans. Je voulais qu’elle voie que malgré son absence j’étais devenue quelqu’un de bien, quelqu’un de qui elle pouvait être fière. Je n’en voulais pas plus d’elle.

Elle, dans sa cellule, reçue la nouvelle de ma visite comme un coup de marteau sur le coin de la tête, elle l’assomma. Elle m’avoua plus tard qu’elle était décidée à ne pas me rencontrer en raison du serment qu’elle s’était fait à elle-même mais sa compagne de cellule avait su la faire réagir :

« Raph, tu me fatigues… Tu refuses d’affronter ton destin, c’est pour ça qu’il n’arrête pas de te courir après depuis toujours… T’attends quoi ? Qu’il te rattrape encore une fois et pouvoir encore te plaindre longuement de sa cruauté comme tu aimes le faire ? Je vais devoir endurer ça combien de temps ? J’ai pris dix ans ferme, je ne vais pas supporter ça bien longtemps, je te préviens ! ». Ses paroles réveillèrent son cœur, chamboulèrent sa raison. Elle ne s’était pas empêchée de vivre, elle s’était empêchée d’affronter son destin à cause du combat inlassable contre Noélie. Mais maintenant qu’elle n’était plus là, elle n’avait plus de raison d’avoir peur. Noélie l’avait aveuglé et elle ne s’était rendu compte de rien. Elle voyait une réalité déformée depuis tout ce temps, rien ne lui convenait, mais à aucun moment elle n’avait cherché à nettoyer ses yeux de ces aspérités qui l’empêchaient de voir sa vie comme elle était.

Je la vis arriver de loin, je me levai à deux sanglots de pleurer réellement. Elle s’arrêta en me voyant et ne put taire ses pleurs plus longtemps. Elle se jeta sur moi, nous avions cette chance de pouvoir nous rencontrer sans glace. De ne pas avoir cette barrière froide nous séparer et instiller de la distance. Le temps avait été notre mesure de distance. Je la serrai fort dans mes bras, fort pour toutes les fois où j’avais dû me réconforter de son absence, de toutes les fois où j’avais dû me rassurer de son amour, toutes les fois où j’avais dû faire semblant de l’oublier.

Nous restâmes un long moment dans les bras l’une de l’autre et quand l’émotion se calma, nous nous assîmes face à face. Je lui souris, elle me rendit un sourire creusé mais plus beau encore. Elle était belle d’avoir retrouvé son cœur. Elle irradiait de l’espoir qui la pénétrait. Je me voyais dans son regard, ses gestes, sa façon de parler, ses longs monologues philosophiques lorsque je l’écoutais parler.

Elle me demanda de lui raconter qui j’étais et ce que j’étais en train de devenir :

« Je suis en train de devenir ta fille, Raphaëlle Joly… En quelque sorte je renais une deuxième fois, dans cette prison encore, en Asha Joly. Tu m’as terriblement manqué en 18 ans.

_Je suis désolée de t’avoir laissée. Tu ne méritais pas tout ça. Tu es encore plus belle, plus intelligente et plus merveilleuse que tout ce que j’ai pu imaginer de toi. Tu es la réponse à mes questions. Je t’en prie, raconte-moi ta vie, parle-moi de tout ce que j’ai raté, que je me construise des souvenirs éternels. Elle disait cela tout en regardant avec attendrissement et ravissement le collier qui pendait à mon cou.

_Eh bien, j’étais une enfant sage et tranquille… Je ne parlais pas beaucoup, mais j’écoutais énormément, je suis toujours comme ça d’ailleurs… J’étais une adolescente un peu tourmentée comme toutes les autres, je suppose. J’alternais entre bonnes et mauvaises notes, entre la bonne élève et la cancre. Ça dépendait vraiment de mon humeur du moment, haha. Je t’ai souvent imaginé venir me disputer à cause de ça. Je ne sais pas pourquoi mais ça avait un côté rassurant. Comme si je me persuadais qu’une force invisible veillait sur moi.

_Tu peux être sûre que je t’aurais privé de sortie pour ça…

_Tu me fais rire, tu vois c’est ce qui m’a le plus manqué ! Pouvoir rire et pleurer avec toi !

_ça m’a manqué aussi ! Mais dis-moi, tu as appris à nager et à faire du vélo quand ? Tu as ton permis ? Et ton bac ? C’est cette année ? Et ton premier baiser ? Tu veux faire quoi plus tard ? Tu aimes danser ? Jouer de la musique ? Ecrire ? Lire ? Plus important encore, tu aimes Voltaire ?

_Alors, j’ai appris à nager à huit ans, du vélo à neuf, je passe bientôt mon bac et le permis. Ça va être un peu dur cette année à gérer mais j’y crois ! Plus tard, j’aimerais être assistante sociale, papa m’a inscrite sur Paris pour l’année prochaine. Je serais obligée de faire les trajets tous les jours pendant deux ans. On n’a pas beaucoup de sous, papa est en invalidité et tata fait des ménages donc même avec une bourse vivre à Paris ou aux alentours est exclu ! Sinon, oui j’aime beaucoup danser, et écrire. J’ai d’ailleurs... Rajouter des chapitres à ton livre…

_Tu l’as lu ?

_Oui… J’ai compris pourquoi tu as fait tout ça. Tu ne m’as pas abandonnée non, tu as voulu me préserver de Noélie. Elle est toujours en toi à te tourmenter ?

_Non, elle a disparue…

_Tu sais que j’ai longtemps cru que tu étais au château de Versailles emprisonnés par Noélie la méchante sorcière ?

_Mais pourquoi ?

_Miraz m’a raconté cette histoire lorsque j’avais 7 ans. J’y ai cru très longtemps… Maman, je ne veux plus que tu t’éloignes de moi, de nous. Personne ne t’a oublié ! Fara me parle encore d’une amie très chère qui l’avait beaucoup aidé à trouver du travail et une situation, papa m’a avoué récemment qu’il s’agissait de toi. Ton secret se délitait au fil des ans, on ne peut pas mentir longtemps. La distance ne protège pas. Elle fait juste plus de mal. Papa non plus ne t’a jamais oublié. Je l’entends souvent soupirer sur ce qu’est devenu sa vie et qu’il n’aurait jamais dû venir ici mais il me disait souvent qu’il espérait revoir quelqu’un qu’il n’a pas vu depuis que je suis née. J’ai supposé qu’il s’agissait de toi.

_Il ne s’est pas remarié ?

_Non, j’aimerais beaucoup que vous repreniez contact, je crois que vous avez pas mal de choses à éclaircir tous les deux…

_Je ne veux pas l’approcher encore une fois. Je lui ai fait déjà beaucoup trop de mal.

_On m’a dit un jour que la distance était l’inverse de l’amour… Je comprends ton histoire, je ne t’en veux pas mais tu dois apprendre à aimer à te laisser approcher. Laisse-moi t’apprendre, comme ton absence m’a appris à me battre toujours.

_Je ne sais pas si…

_Arrête un peu de te trouver des excuses ! Tu es une adulte maintenant !

Devenir adulte… Un bien grand défi…

_Je ferai de mon mieux pour me faire pardonner.

_Tu es perclus de remords mais tu n’étais pas totalement toi-même. Si je ne t’en veux pas, tu n’es pas plus en droit de t’en vouloir.

_Je me rends compte en te voyant que j’ai au moins donné au monde un être solaire et plein d’espoir et c’est tout ce qui me comble. »

Je sentais qu’elle se retrouvait en moi. Ce devoir irrépressible que je m’imposais d’aider les autres, de leur apporter du baume au cœur, de l’apaisement, ce côté versatile qui découlait de mes émotions paradoxales, cette façon entière d’aimer. Car oui, même si je ne la connaissais pas, je l’aimais. J’aimais l’idée que je m’étais faite d’elle, j’aimais ce que je voyais d’elle, j’aimais lui ressembler.

C’était comme si je m’étais enfin trouvé, après dix-huit ans.

Je la regardai et j’avais l’impression de me voir au même âge. Pleine d’espoir, toujours positive malgré les difficultés de la vie. Traversée par des questionnements qui ne s’arrêtaient jamais. Curieuse, déterminée et combattive. Elle s’est battue contre la distance. Je m’étais toujours battue contre Noélie. J’étais peut-être en train de gagner vraiment. J’avais enfin l’impression de toucher au but. J’avais retrouvé celle que j’étais à travers Asha. Je la trouvais resplendissante alors qu’en quarante-six ans je m’étais employée à la haïr, la trouver laide, futile, inintéressante, stupide, FRAGILE. Je me rendais compte que ce qu’il me manquait c’était de m’aimer, me rapprocher de celle que j’ai toujours été et me réconcilier avec elle. Je compris cela en un regard et une voix que je n’avais jamais vus ni entendus jusqu’à maintenant mais que je connaissais depuis toujours. Je me cachais derrière des mensonges pour justifier mon dégoût de moi-même. Ce n’était pas moi que je haïssais c’était mes souvenirs et seulement eux.

J’avais trouvé la paix enfin. Il ne suffisait plus qu’à m’en approcher doucement pour ne pas qu’elle s’envole dans le tourbillon de mes peurs.

Je voulais l’aimer comme elle le méritait. Mais pour aimer autrui, ne faut-il pas d’abord briser les barrières qu’on s’érige contre soi-même ?

« Asha, c’est moi qui t’ait donné ton prénom, tu sais ce qu’il signifie ? Espoir… Tu fus mon dernier espoir.

_Tu es le mien aussi… Fanantenana veut aussi dire espoir non ?

_Il fut longtemps le mien, c’est la providence qui nous a réunis et la chance qui l’a sauvé de moi je crois. Ta présence et ton amour m’apportent la paix dont j’avais besoin. Tu m’as fait comprendre tout ce qu’un roman entier ne suffirait pas à expliquer. Rien ne t’obligeait, toi, à rompre cette distance pour qu’on puisse s’aimer et par gratitude je ne peux que m’efforcer de réparer tout ce que Noélie a démolit. »

Seule, enfin en compagnie de Frida qui partageait sa cellule, elle reprit sa liste pour la modifier et ajouter des annotations :

-Respecter ses sentiments et émotions ; Facile !

-Devenir adulte ; Un jeu d’enfant !

-Chercher et accepter l’aide des autres ; Je viens de le faire !

-Ne plus penser pour les autres ; C’est mieux ainsi…

-Pardonner plus souvent et totalement ; Enfin !

-Se permettre d’oublier, faire son deuil des personnes, des souvenirs et des sentiments ; On ne peut pas changer le passé.

-Lier sentiments et logique, ne plus chercher à les dissocier ou à les opposer ; Possible…

-Ne laisser personne te faire du mal encore… ; Ne plus te faire du mal surtout !

Le plus important :

-Savoir ce que je veux…

-S’autoriser à se laisser approcher.

-Savoir se faire et faire confiance ;

-Savoir faire des choix ;

-Rester intègre ;

-Toujours changer, se réinventer ;

-Faire de son mieux ;

-Ne pas chercher à juger ;

-Autoriser l’autre à être lui-même et s’autoriser à être soi-même ;

-APPRENDRE A AIMER.

Annotations

Vous aimez lire Thys Bey ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0