Chapitre 9 – Les guerriers de Beloth 

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Il est tard. Nous venons de rentrer d'une journée éreintante. Comme tous les soirs, après une soupe avec un trognon de pain et un bain glacé dans l'eau de Partenuir, je me couche sur une paillasse, l'esprit alourdi par la fatigue. Le sommeil m'engloutit rapidement, mes rêves peuplés des images d'entraînements incessants. Les journées et les nuits se mélangent depuis notre arrivée ici, une lente succession d'efforts, de douleurs et de sacrifices. Chaque journée commence par la prière du matin, suivie de courses à s’épuiser, de repas frugaux à peine suffisants, puis de défis physiques acharnés. Trois fois par jour, nous nous réunissons pour prier à Beloth, en récitant des versets qui, petit à petit, deviennent des mantras, nourrissant notre volonté et notre résistance.

Nos muscles sont douloureux, nos cœurs battent à tout rompre, et certains ne peuvent plus suivre, submergés par la fatigue ou blessés. Mais ceux qui restent, qui ont survécu à la douleur, connaissent la force de la détermination. Chaque défi franchi semble plus léger que le précédent. Nos corps s’habituent, les muscles se durcissent et le cœur devient plus calme, prêt à affronter les épreuves. Mais une nouvelle phase d’entraînement approche, celle qui nous prépare à affronter nos ennemis : les combats à mains nues, le maniement des armes, la lutte dans des conditions extrêmes. De plus, il semble qu’une ultime épreuve attend certains d’entre nous, celle où l’art du verbe devient aussi crucial que la force physique, une épreuve réservée à ceux qui possèdent le talent, mais tout cela reste flou.

Sur les cent qui ont entamé ce périple, il ne reste plus qu’une soixantaine. Quarante ont abandonné, incapables de suivre le rythme, ou ont succombé, la vie leur échappant à cause de blessures ou de défaillances du cœur. Mais malgré la perte, des liens forts se sont tissés entre nous. Deux compagnons de route sont devenus mes frères d’armes : Dael et Queriande. Ensemble, nous partageons les rires, les peines et la détermination. Dael, grand et élancé, possède une agilité surprenante. Malgré sa silhouette frêle, il est rapide comme le vent et semble ne jamais s’essouffler. Quant à Queriande, il incarne la puissance brute. Si sa silhouette massive semble au départ un handicap, il a su surmonter toutes les épreuves avec une force inégalée. Il est notre rocher, notre soutien indéfectible.

Soudain, un bruit sourd me tire du sommeil. Je tombe lourdement du lit, le choc me réveille brutalement. La chute est d’autant plus rude que mon corps est encore engourdi par le sommeil.

  • Réveillez-vous, les endormis !

Une voix forte résonne dans la chambre.

  • Vous avez dix minutes pour rejoindre l’arène d’entraînement !

Il me faut quelques secondes pour me remettre sur pieds. Je croise le regard de Dael et de Queriande. Ils échangent un sourire complice et, avant que je ne puisse réagir, une blague de Queriande jaillit :

  • Si j’ai pas encore le temps de dormir, je vais finir par devenir aussi frêle que Dael !

Dael, avec un sourire malicieux, réplique en riant :

  • Et moi, je vais finir par être aussi gros que toi… dans mes rêves.

Quelques rires s’échappent, mais nous n’avons pas le temps de traîner. D’un mouvement rapide, nous nous habillons : un pantalon en toile solide, une chemise en lin, et une paire de scandales. Un coup d’eau froide sur le visage pour réveiller les dernières bribes de sommeil, puis nous nous précipitons hors de la salle. L’air est frais, mais l’excitation est palpable. L’arène d’entraînement est à quelques pas, et il flotte dans l’air une sensation nouvelle, un mélange d'appréhension et de fierté. Ce matin, nous assons enfin à l’étape cruciale de notre apprentissage : devenir de vrais combattants.

Arrivés dans l’arène, l’ambiance est électrique. D’un côté, des disciples s’échauffent déjà, certains pratiquent des esquives à mains nues, d’autres s’entraînent à l’utilisation des armes blanches. Le maître d’armes, un guerrier ancien au regard perçant, nous scrute, son expression implacable ne laissant place à aucune faiblesse. Il nous ordonne de nous aligner, et l’entraînement commence. Les combats à mains nues sont violents, mais l’apprentissage est rigoureux. Les premiers échanges sont chaotiques, mais bientôt, mes bras suivent le rythme des coups et des esquives. À côté de moi, Dael virevolte avec une fluidité impressionnante, tandis que Quariande, plus lent, mais redoutable, encaisse les coups avec une résilience à toute épreuve.

Au bout de plusieurs minutes, épuisés mais exaltés, nous faisons une pause. Le silence de l’arène est brisé par Quariande, qui, essoufflé, lance à Dael :

  • Je te parie que je te mettrais au sol en deux secondes si on se battait.

Dael, essuyant la sueur de son front, réplique en riant :

  • C’est ça, mon grand, si tu arrives à m’attraper, je t’offre un banquet de viande !

Nous éclatons de rire, oubliant un instant la douleur et la fatigue. L’entraînement reprend de plus belle, et je sais, au fond de moi, que ce n’est que le début. Chaque goutte de sueur, chaque coup, chaque combat, nous rapproche un peu plus du véritable objectif : devenir des guerriers dignes de Beloth.

Aujourd'hui, l’arène est plus qu’un lieu d’entraînement. C’est le premier pas vers notre transformation.

Les journées s’enchaînent sous le soleil brûlant, sur le sable chaud de l’arène, rythmées par les coups, les esquives et les entraînements physiques. Nous gagnons en vitesse, en précision, en compréhension des parades et des prises. Petit à petit, nous apprenons à écouter les signaux subtils du corps de nos adversaires, à détecter les intentions derrière leurs gestes, afin de mieux éviter un coup ou, au contraire, d’en placer un décisif. Nos sens se sont affinés. Le combat devient un langage, un échange subtil où chaque mouvement, chaque respiration, peut faire pencher la balance.

Cependant, depuis quelques jours, des événements étranges se produisent. Le premier d’entre eux fut mon combat contre Queriande. Sa force brute est impressionnante, presque surnaturelle. Quand il frappe, ce n'est pas juste un coup, c'est une onde de choc. Plutôt que d’éviter ses attaques, il les encaisse, absorbant la douleur pour mieux la retourner contre toi. Lorsqu’il contre-attaque, sa puissance est telle que tu es projeté à l'autre bout de l’arène. Tous les combattants craignent un face-à-face avec lui, non seulement à cause de sa force, mais aussi parce que, dans ses excès de colère, il perd parfois son contrôle. Deux de nos frères ont déjà dû être envoyés au dispensaire à cause de ses coups incontrôlés. Mais moi, je n'avais pas peur. Il était mon ami, et j'étais convaincu qu’il ne me ferait pas de mal.

Le combat commença. Je savais qu’il serait difficile de le battre. Il était plus fort, plus imposant, mais je n'allais pas me laisser faire. J'esquivais ses coups, cherchant à passer une prise de jambe pour le faire tomber. Une fois au sol, je pourrais appliquer une clé pour l’immobiliser, en utilisant à la fois mes jambes et mes bras. Je tournais autour de lui, cherchant l'opportunité parfaite. Il lança un coup, et je me baissai juste à temps, ramassant du sable dans ma main pour le jeter en plein visage, le temps de l'aveugler. Je saisis alors son bras, enroulant ma jambe gauche autour de ses jambes, puis en utilisant ma force dorsale et l’appui de mon autre jambe pour le basculer. Mais il ne se laissa pas faire. Dans un réflexe de défense, il appuya sur le bas de mon dos, me forçant à expirer brutalement. C’est à ce moment précis qu’un événement incroyable se produisit.

En expirant, un mot jaillit de ma bouche : "Ahounch." Dès que ces sons traversèrent mes lèvres, une énergie incontrôlable s’échappa de moi, envoyant Queriande valser à une dizaine de mètres. Je restai là, figé, totalement incrédule. Le maître d’armes observait la scène avec une attention étrange, et un de ses seconds s’approcha de Queriande pour l’aider à se relever, vérifiant qu’il allait bien. Le silence dans l’arène était lourd, presque religieux. Tous les combattants s’étaient arrêtés, et le calme qui suivit cette explosion de force semblait irréel. Je ne comprenais pas ce qui venait de se passer. Un frisson me parcourut, mais le maître d’armes brisa ce silence en hurlant :

  • Reprenez l’entraînement ! Comme si de rien n’était !

La voix dure et autoritaire ne laissait aucune place à la réflexion. C’était comme si l’incident n’avait jamais eu lieu, comme si nous n’avions pas tous été témoins de quelque chose d’impossible.

Quelques jours plus tard, un autre événement se produisit, cette fois avec Dael. Nous étions dans un combat de boxe. Il était rapide, très rapide, et il me bombardait de coups. J’étais sur la défensive, cherchant à reprendre mon souffle, mes muscles brûlant sous l'effort. Il baissait souvent sa garde, ce qui me donna l’occasion de riposter. Alors qu’il me frappait encore, je me préparai et, d’un coup sec, je lançai un uppercut en expirant fortement. Cette fois, un autre mot s’échappa de ma bouche, "Ouarom." À cet instant précis, une énergie dévastatrice jaillit, mon poing s'enfonçant dans son estomac avec une violence inouïe. Le bruit des côtes brisées me parvint avant même de voir Dael se soulever du sol, propulsé à des mètres dans les airs avant de retomber lourdement sur le sable. Je restai là, figé, abasourdi, incapable de bouger. Mon ami était à terre, haletant, et je n'avais rien vu venir.

Rapidement, un second arriva pour prendre en charge Dael. Je restai là, incapable de réagir, une sensation de vertige m’envahissant. Puis, d’un coup, une gifle retentit sur ma joue. Le maître d’armes se tenait devant moi, ses yeux glacés rivés sur moi.

  • Qu'as-tu fait ? me hurla-t-il.

Sa voix, froide et impitoyable, brisa ma stupeur.

  • Ce n'est pas ainsi que l'on combat. La puissance ne doit jamais prendre le pas sur la maîtrise. Tu as éveillé quelque chose en toi, et ce n'est pas un cadeau. Cette énergie, si tu ne l'apprivoises pas, elle te détruira. Et ceux qui t'entourent.

Je le fixais, encore sous le choc, tandis que son regard perçait le mien avec une intensité inouïe. Un frisson glacé me parcourut de la tête aux pieds. Je ne comprenais pas ce que j'étais en train de devenir.

  • À partir de maintenant, tu t'entraîneras avec tes pairs," annonça-t-il d'une voix grave. "Nous t'apprendrons l'usage du verbe, l'art de combattre et de te défendre par la parole.

Silence

  • Tu rentres dans l'odre des Hobereaux.

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