Chapitre 1 - monotonie brisée

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Célia avait disparu depuis deux mois. Pour Alice, ces deux mois représentaient une éternité. Le temps s’était arrêté, le monde avait perdu ses couleurs. C’était comme si l’univers tout entier avait décidé de réduire à néant son bonheur. Ne plus revoir le sourire de Célia, ne plus entendre ses stupides idées était une vrai torture. Sa sœur était tout ce qui lui restait au monde, elle était son pilier et son château fort. Sans elle, Alice était instable et à la merci de l'ennemi. Elle n’était plus un château fort mais un château de sable, que la moindre vaguelette pourrait détruire. C’était peut-être pour cela que plus personne ne lui parlait. Ils avaient peur qu’au moindre contact elle se brise. Mais ce qu’ils ne savaient pas, c’est qu’elle était déjà brisée. Elle avait perdu son miroir, sa réflection. Elle avait perdu Célia.

Mais pas pour toujours, Alice se l’était juré. Elle retrouverait Célia, coûte que coûte.

Elle observait le ciel gris depuis la fenêtre de la salle de classe, elle faisait semblant de réfléchir et de temps en temps faisait quelques esquisses sur la marge de son cahier pour tenter de convaincre ses professeurs qu’elle travaillait. Bien sûr, ils savaient très bien qu’elle n’écoutait pas ce qu’ils racontaient, ils faisaient semblant de ne pas remarquer. Ils avaient peur de sa réaction s’ils osaient proférer une remarque.

“C’est mieux comme ça” se disait Alice. Elle avait plus de temps pour réfléchir à un plan d'action.

Quand la cloche sonna, ce fut comme une libération. La jeune fille se précipita hors du lycée pour rentrer chez elle. Enfin, pas exactement, elle faisait toujours attention à faire un certain détour par une petite ruelle. C'était le dernier endroit qui portait un signe de la présence de Célia après sa disparition. On avait retrouvé dans ce cul-de-sac son téléphone avec à l’écran la page “contacts”. Elle avait essayé d’appeler quelqu’un et cela mortifiait Alice de savoir qu’elle aurait pu, peut-être, aider sa sœur ce jour là.

Scrutant les murs à moitié couverts de tags, Alice répétait les pires scénarios dans sa tête, cherchant désespérément un indice. C'était son intention de départ en tout cas. Maintenant, cela se rapprochait plus du mantra, ou de la séance de méditation. Un sorte de thérapie pour ne pas perdre espoir. “Tu trouveras peut être quelque chose aujourd'hui” se répétait-elle hypocritement.

Bien sûr, comme tous les jours, elle finit par rentrer chez elle bredouille. Elle serra les dents, malade de son impuissance.

Sur le chemin du retour, pas de grand magasin, pas de restaurant chic, même pas un McDonald's. Il n'y avait dans ces rues désertes que de petits artisans, faisant de leur mieux pour survivre dans cette ville fantôme. Bien sûr, Alice n'en avait pas grand chose à faire.

Le silence était olympien, pas une voiture ne roulait. On pouvait apercevoir quelques cyclistes pédaler machinalement sur la piste qui leur était réservée.

Une douce brume se leva, l'air se rafraîchit soudain. Cela ne troublait personne : à la mi-septembre, ces changements brusques étaient fréquents. C'est pourquoi Alice continuait de marcher au même rythme. En mettant ses mains dans les poches de sa veste, dans une vaine tentative de se réchauffer, elle heurta son téléphone.

Elle le sortit afin de regarder l'heure : dix-sept heures quatorze. Elle soupira encore, puis rangea l'appareil. Mais juste avant ses yeux eurent le temps de se poser une dernière fois sur son fond d'écran : une simple photo. On pouvait voir deux jeunes filles souriantes : l'une d'entre elles, avec ses longs cheveux noirs et sa peau pâle, était Alice. Elle souriait, visiblement heureuse, ses yeux pétillant et ses joues rosies par l'excitation.

A côté d'elle se trouvait une autre jeune fille, elle avait aussi des cheveux noirs, coupés dans une sorte carré plongeant aux mèches inégales. Ses yeux étaient également bleus. Elle portait une tenue simple, t-shirt blanc et short en jean bleu clair. Elle souriait à Alice qui le lui rendait bien.

Les dents d'Alice se mirent à claquer et elle pressa le pas pour rentrer chez elle. Ses yeux dérivèrent sur les murs des maisons, sur les enseignes des magasins, sur le trottoir et, enfin, sur la route.

Elle y aperçut une étrange forme blanche.

L'animal attira sa curiosité un instant puis elle continua son chemin.

Les oreilles de la jeune fille se mirent à bourdonner. Elle regarda autour d'elle, puis en direction de la route. Elle vit une voiture. Grande. Rouge. Elle fonçait à toute vitesse en direction de l'animal.

Alice était pétrifiée. Devait-elle aller le sauver ? C'était dangereux, elle risquait d’être blessée. Et puis l'animal était peut-être déjà mort. Cela ne servirait à rien de perdre la vie pour si peu.

Cela n'en valait pas la peine.

La photo sur son fond d'écran lui revint à l’instant en mémoire, éphémère, fugace. Elle vit Célia sourire. Célia adorait les animaux. Elle avait supplié d’innombrables fois leur mère de leur acheter un chien, en vain, elle était allergique. Alice se rappelait le visage dépité de sa soeur quand leur mère avait refusé. Elle n’était pourtant pas restée triste très longtemps, cela semblait impossible pour Célia. Son sourire était encore plus présent dans la vie d’Alice que l’oxygène.

Alice regarda à nouveau l'animal. Célia se serait jetée à son secours sans hésiter. Elle n'aurait jamais reculé face au danger. Elle aurait couru sans réfléchir, sans même penser au danger. Elle ne s’en rendait compte que plus tard. Et encore, quand on le lui faisait remarquer, elle haussait les épaules et laissait échapper un simple “oups” qui ne serait sûrement pas le dernier.

Alice esquissa un sourire. Elle ne pouvait pas décevoir sa sœur, elle voulait pouvoir être fière de quelque chose pour son retour. Car bien sûr Célia allait revenir. Il n’y avait pas d’autre issue. C’est pourquoi Alice allait la trouver, la ramener, et tout redeviendrait comme avant.

Avec cette pensée, Alice s'élança en direction de l'animal. Elle ne réfléchissait plus, elle agissait par instinct. Elle était concentrée sur son objectif. Elle ne pouvait pas échouer.

En un instant, elle s'empara de la créature, la protégeant de son corps, mais alors qu'elle tentait d'utiliser tout ce qui lui restait d’énergie pour se propulser sur la chaussée opposée, une douleur cinglante lui traversa la jambe. Elle se sentit décoller du sol. L'instant d'après, son corps entier la faisait souffrir. Elle était égratignée de toute part. Sa tête n’arrêtait pas de tourner. Après qu’elle l’eut effleurée, sa main apparut couverte de sang.

Elle ne pouvait absolument plus bouger. Mais elle avait sauvé l'animal. Et, alors qu'elle sombrait dans l'inconscience, elle ne put s’empêcher de caresser la fourrure de la créature.

Teintant sa blancheur immaculée d'un rouge écarlate.

Discrètement, elle esquissa un sourire satisfait.

« J'ai bien fait, n'est-ce-pas ? Célia »

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