chapitre 2 - miroir, mon beau miroir ?
Cela faisait maintenant trois minutes qu'Alice fixait une horloge. Celle-ci n'avait rien d'incroyable, il s'agissait simplement d'une façon de passer le temps. Alice n'avait même pas pris la peine, durant ces trois longues minutes, de lire l'heure. C'est pourquoi peut-être que deux et non pas trois minutes étaient passées, peut être même que une heure était passée et qu'elle ne s'en était pas rendue compte ? L'obscurité qu'elle observait par delà la fenêtre de l’hôpital lui permettait amplement de comprendre qu'on était en pleine nuit.
En effet, Alice se trouvait dans un hôpital. Pourquoi donc ?
En voyant ses jambes et ses bras entièrement couverts de bandages ainsi que la perfusion à son poignet, la jeune fille avait vite fait de déduire qu'elle avait été hospitalisée en urgence après sa tentative désespérée de sauver l'animal sur la route.
Comment allait-il d’ailleurs ? Elle veillerait à poser la question au médecin le lendemain matin. Elle serait déçue d'apprendre qu'il n'avait pas survécu, après tout le mal qu'elle s'était donné.
Mais s'en inquiéter maintenant ne servirait à rien. Elle décida donc de se rendormir. Alors que ses paupières se fermaient doucement et qu'elle était prête à sombrer dans un sommeil réparateur, la jeune fille entendit un bruit.
Un clochette.
Elle tourna la tête, essayant de repérer l'origine du son.
Rien.
Peut-être était-ce son imagination ?
La clochette retentit à nouveau.
En face d'elle se trouvait une forme blanche, duveteuse.
Le chat ? pensa-t-elle.
Non, ce n'était pas un chat.
Elle ne l'avait pas remarqué à cause de l'obscurité de la pièce mais l'animal blanc qui reposait sur son drap était un lapin.
Il la fixait de ses petits yeux rouges.
« Qu'est-ce que tu me veux ? » demande-t-elle, sans attendre de réponse.
L'animal ne répondit pas, of course. A la place, il se mit à sautiller en direction de la salle de bains. Alice le suivit, faisant de son mieux pour se déplacer avec sa perfusion. Elle était avide de connaître la raison pour laquelle un lapin se trouvait dans sa chambre d’hôpital. Ou au moins, si c'était un rêve, elle pourrait l'utiliser comme distraction.
La lumière était éteinte. La jeune fille l'alluma avant de repérer le lapin, assis sur le lavabo, comme si de rien n'était, et fixant le miroir accroché en face de lui.
Mais étrangement le reflet dans la glace n'était pas celui du lapin.
C'était celui d'un homme. Tout de noir vêtu, coiffé d'un chapeau décoloré truffé de rubans et de motifs sans aucun lien les uns avec les autres, comme s'ils avaient été assemblés par un nouveau-né. Il portait un monocle brisé à l’œil droit. Une cicatrice s'étirait le long de sa joue gauche et ses yeux vert émeraude la dévisageaient d'un air tendre et vicieux à la fois. Il avait l'air complètement fou.
Un sourire moqueur s'étira sur ses lèvres qui se mirent à remuer.
Pourtant, aucun son ne sortit de sa bouche.
A la place, une buée s'était formée sur le miroir et sur cette buée s'étaient inscrits à la main quelques mots. Si simples, pourtant si destructeurs.
« Veux-tu retrouver ta sœur ? »
A cet instant, sans qu'elle ne puisse se contrôler, la jeune fille vint frapper la glace de la main.
Elle n'avait pas assez de force pour briser le miroir, mais son poing suffit à créer une fissure.
La main dégoulinante de sang, elle écrivit en lettres majuscules, à même le miroir fêlé, avec les doigts encore tremblants, une réponse irréversible, sans appel.
« Oui »
Puis elle ajouta.
« Quoi qu'il en coûte... »
Puis, encore éssouflée, essayant de garder son calme, elle ouvrit le robinet et se mit à nettoyer sa main ensanglantée.
Alice allait devoir rester alitée pendant deux mois.
C'était du moins ce qu'avait décrété le médecin après avoir examiné une nouvelle fois la jeune fille le lendemain matin. Il avait levé le sourcil en voyant sa main gonflée mais n'avait pas fait de commentaire à ce propos.
Il s'était contenté d'un regard insistant que la jeune fille avait soutenu sans fléchir. Elle fulminait déjà à l'idée de passer son temps allongée sur un lit à attendre que le temps passe. De plus, elle était mortellement curieuse de savoir comment l'homme, celui qu'elle avait vu la nuit dernière, allait lui permettre de retrouver sa sœur.
Elle était sûre de ne pas avoir rêvé, sa main boursouflée en était la preuve. La jeune fille décida d'être patiente pour le moment. Qui sait, peut-être lui donnerait-il un signe plus évident de son existence ?
Sa mère était venue la visiter. Elle avait passé une bonne demie-heure à lui crier dessus. A répéter qu'elle était une parfaite inconsciente d'avoir agi de la sorte.
Alice ne niait pas que les reproches de sa mère étaient justifiés, mais elle ne parvenait pas à regretter ce qu'elle avait fait.
« Et le chat ? » demanda-t-elle. « Comment va-t-il ? »
Ce fut la phrase de trop. Sa mère se leva et partit sans dire un mot, laissant la jeune fille seule dans sa chambre d’hôpital.
« Enfin seule » soupira-t-elle.
Afin de tromper l'ennui, elle décida d'inspecter le sac d'affaires qu'avait laissé sa mère. Il n'y avait rien d’intéressant, juste l'essentiel. Mais au moment où elle allait le refermer, elle remarqua quelque chose.
Il y avait une petite fiole coincée entre deux piles de vêtements. Elle s'en empara et se mit à inspecter le liquide rouge qu'elle contenait. Sur la fiole était collée une bandelette blanche sur laquelle était inscrit « Si tu veux connaître la vérité ».
« Si tu veux connaître la vérité … bois ça ? » murmura-t-elle sur un ton dubitatif. Elle ne faisait pas confiance à cet homme, ni à ce que contenait cette fiole. Ce n'était sûrement pas sa mère qui l'avait mise là après tout.
La jeune fille prit une grande inspiration. Si elle voulait faire avancer les choses, elle n'avait pas d'autre choix que de prendre ce risque. Célia en valait bien la peine.
En une gorgée, elle avala le contenu.
Ne ressentant aucun changement, Alice se demanda s'il s'agissait d'un blague de sa mère. Puis, peu à peu, ses sens tombèrent en léthargie et, quelques instants plus tard, elle perdit complètement connaissance.
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