5.

6 minutes de lecture

Un renard glapissait dans la nuit à la recherche de sa dulcinée, non loin de la forêt qui bordait Sance. Un cri similaire s’éleva dans le lointain et le petit être roux fila à toute allure dans sa direction, passant devant Kayn sans même le voir. Le jeune homme était assis sur une roche de plusieurs tonnes et profitait de la nature qui l’entourait. Depuis combien de temps n’avait-il pas fait cela ? Il n’aurait pu le dire. S’il avait maints souvenirs d’avoir souvent observé la nature, ils lui paraissaient hors de portée, presque comme des rêves. Écouter le vent siffler entre les branches, voir l’herbe se plier sous ses assauts. Contempler la pluie formant des flaques égales à des lacs pour les espèces les plus petites. Il regrettait d’avoir oublié ces plaisirs simples et l’émerveillement que cela lui procurait.

« Bonsoir Kayn, fit une voix familière derrière lui. »

Un instant, il crut que son imagination lui jouait des tours puis il se retourna brusquement. Une femme le dévisageait tristement, la peau pâle et de longs cheveux blancs qui tombaient le long de son visage doux. Ses yeux avaient la même couleur que ceux de Kayn : ils étaient leur exact portrait.
Si tout d’abord il resta figé, prit de court par cette visite si soudaine, il reprit vite contenance et la fusilla du regard.

« Allons, tu n’es pas content de me voir après tant d’années ? J’imagine que cela fait plus longtemps pour toi que pour moi. »

  • Les humains n’ont pas la même notion du temps que la Mort ou de son frère, c'est vrai. Pourquoi es-tu là, ma très chère sœur ? J’imagine que ce n’est pas pour me libérer de cet enfer.
  • Tu t’y es mis tout seul, j’espérais que tu l’avais enfin compris. Tu as provoqué cette situation, Kayn.
  • Nos avis sur ce point divergent, Thana. Que puis-je faire pour toi ? Tu n’es pas venu me voir après trente ans pour reprendre une vieille querelle, si ?

La femme vint s’asseoir près de lui puis planta son regard dans le sien. Les deux se considérèrent mutuellement : c’était la première fois qu’ils se voyaient sous cette forme.

« Il est plaisant de pouvoir te reconnaître derrière ces yeux, fit Thana avec un regard bienveillant, dommage que tu ais petit à petit perdu tout ce qui faisait de toi la personne la plus chère à mes yeux. »

  • Parce que je suis allé contre ta volonté ?
  • Je ne parle pas de cela. Je parle de l’humain que tu incarnes. Toi qui avais si bon cœur, en te voyant agir comme tu le fais, j’ai l’impression qu’il n’en reste plus rien.
  • Tu me l’as arraché et tu l’as broyé, souviens-toi, lui fit remarquer froidement son frère.
  • Ne sois pas si dramatique, j’ai fait ce que j’avais à faire.
  • Et tu l’as fait contre moi. Tu te fichais bien de mon sort.
  • C’est ce que tu crois ? J’ai veillé sur toi pendant tout ce temps.
  • Alors où étais-tu quand on m’a tiré dessus ? la gronda Kayn dont les yeux s’embrasaient.
  • Pas loin. J’ai pensé que tu devais traverser cette épreuve. Crois-moi quand je dis que jamais je ne t’aurais laissé mourir.

Elle attrapa les mains de son frère dans les siennes et les serra doucement. Elle voulait ainsi lui transmettre tout l’amour qu’elle avait pour lui et qui ne l’avait jamais quitté.

  • Je sais que tu détestes être humain, mais tu dois en passer par là pour comprendre.
  • La leçon que tu voulais me donner n’est sûrement pas celle que j’ai apprise, ma chère sœur. J’exècre leur existence jusqu’au plus profond de moi.

Le visage de Thana s’adoucit ; son sourire agaça Kayn.

  • Et la fille ?
  • Lucie ? Ce n’est qu’une petite idiote.
  • Elle te dérange parce qu’elle continue d’espérer. Et l’espoir, toi tu l’as perdu. La façon dont tu l’as traitée, tu as essayé de le lui faire perdre.

Soudain elle posa délicatement sa main sur sa joue et lui accorda un nouveau sourire.

  • Mais tu as su le lui redonner également. Preuve que le frère que je connais est toujours là.
  • Je ne fais que m’amuser, soupira-t-il en se détournant.
  • Tu devrais lui dire qui tu es.
  • Oh, bien sûr ! dit-il en se levant pour jouer la scène sur un ton théâtral. Lucie, comment vas-tu ce matin ? Ah oui, j'ai oublié de te dire : c'est moi le frère de la Mort, celui qui a créé Nihil, qui a anéanti une bonne partie de l'humanité et qui compte bien finir le travail. Oh, rien de personnel, je t'assure !

Il dévisagea froidement sa sœur, les mains sur les hanches, secouant la tête de droit à gauche, dépité.

  • Elle s’en doute probablement, bien qu’elle ne dise rien, bougonna-t-il. De toute façon, je n’ai aucun intérêt à le faire. Ces primates pourraient tenter de me tuer…
  • Je ne les laisserai pas faire, dit Thana avec un sourire entendu.
  • Pourtant cela vous libérerait tous de Nihil.
  • J’aimerais ne pas avoir à en arriver là.

Le ton de sa voix était devenu plus froid, ce qui la fit sonner comme une menace aux oreilles de son frère. Le visage de celui-ci se ferma, tout comme son cœur.

  • Comment peux-tu faire passer de telles créatures avant ton propre frère ? Soit Thana, tu veux faire de moi le méchant de cette histoire, alors je le serai.
  • Il faut que cela cesse, tu ne peux pas continuer à les tuer, le gronda-t-elle en se levant d’un bond. Tu n’as pas le droit ! Tu interfères avec l’ordre des choses.
  • L'ordre des choses ? répéta-t-il, amer. Mais quand c'est eux, ça ne te dérange pas ! J’essaye de sauver cette planète !
  • En supprimant tout une espèce, des milliards de vies ! Au contraire de toi, ils font partie de cette planète, ce qui arrive doit arriver, c'est comme ça.
  • Ce ne sont que de petits grains de sable dans la machine de la vie. Et je suis là pour les retirer, un par un.

Thana le fixa un instant, pensive, les mains sur les hanches et tapant frénétiquement du pied. Elle se mordit la lèvre inférieure puis lui lança :

  • Lucie saura qui tu es, je vais m’arranger pour qu’elle le sache.
  • Qu’est-ce que ça va changer ? rit-il.
  • Nous verrons bien, Kayn. Malgré les apparences, tu tiens à elle.
  • La seule personne à qui je tiens est juste devant mes yeux, lui assura-t-il.
  • Dans ce cas, perdre cette jeune femme t’est complètement égal ?
  • Elle n’est même pas de mon espèce.
  • Tu es humain pourtant, et ce, à tout point de vue, répondit-elle en le regardant de haut en bas. Peut-être devrais-tu le rester ?
  • Je t’interdis de me faire ça, rugit-il de rage.
  • Tu n’as pas le pouvoir de m’interdire quoi que ce soit et tant que tu n’entendras pas raison, ce sera ainsi.

En une fraction de seconde, son corps s’était évaporé comme s’il n’avait jamais été là. Kayn eut beau crier son nom, la menacer, jurer qu’il ne changerait jamais d’avis, Thana ne réapparut pas. Il passa ses nerfs plusieurs minutes sur un arbre à coups de pieds et de poings et finit inévitablement par se faire mal.

« C'est toi... c'est ta faute... comment peux-tu rester sourde à la détresse de cette planète... qui est le monstre ici ? murmura-t-il en regardant le dos de ses mains écorché et sanguinolents. Tu m'as tout pris Thana, tout. Tu es tellement sûre d'avoir raison, hein ? »

Comment aurait-il pu imaginer tomber un jour si bas ? Lui qui auparavant s’occuper de la planète toute entière. Prendre soin de la faune, guérir la flore. L’influence qu’il exerçait sur eux lui manquait. Il se sentait inutile et impuissant, un soldat désarmé sur un champs de bataille. La colère laissa place au désespoir et à la tristesse ; que pouvait-il faire en tant qu’être humain ? Le voyageur qu’il avait été n’était plus qu’un vague souvenir. Sa sœur le laisserai en redevenir un seulement s'il changeait d’avis. C'était hors-de-question ; ce sacrifice, il était prêt à y consentir pour la planète. Il l’avait vu s’épanouir, l’avait aidé à prospérer et refusait de l’abandonner à un sort funeste. Peu importe si cela devait l'anéantir ou même le tuer.

Que pouvait-il faire en tant qu'être humain ?

Non.

Que pouvait faire le voyageur qui vivait toujours en lui ?

Sa décision fût prise.

Annotations

Vous aimez lire Charlie V. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0