7.
À l’extérieur, le vent peinait à s’infiltrer dans les rues tant les habitations y étaient hautes. La pluie tombait à grosses gouttes puis soudain, un cri rauque et redouté s’éleva.
« Ça va, on est en sécurité, fit Linus qui se voulait rassurant, elle ne peut pas entrer. Mais elle va nous poser problème pour sortir d’ici.
- Une chose à la fois, haleta Kayn dont l’épaule entière était rouge. Nous devons rejoindre les autres au plus vite ! »
Dans son état, Linus commença à craindre que le jeune homme ne puisse les mener jusqu’à eux et encore moins dehors.
« Ne me regardez pas comme ça, je vais bien, le gronda celui-ci. Il faut aller un peu plus au nord, une maisonnette grise près du mur avec une cabane en taule sur le dessus. Elle est gardée elle-aussi, mais vous saurez sans doute comment la prendre d’assaut.
- Mettons-nous en route », ordonna-t-il en prenant la tête du groupe.
Kayn fit quelques pas avant d’être rattrapé par Lucie. Elle s’en voulait d’avoir crié. Sans cela, son agresseur n’aurait pas été alerté et son ami n’aurait pas été blessé. Elle éprouvait une profonde culpabilité et son cœur tambourinait sa poitrine comme un tamtam furieux tant elle était inquiète. Il perdait beaucoup de trop de sang ! Pouvait-il seulement survivre ?
Le jeune homme se stoppa et elle l’imita, le scrutant pour s’assurer qu’il n’avait pas besoin d’aide. Il se tourna vers elle et glissa sa main sous son nombril. Lucie resta figée, se demandant ce qu’il faisait, puis Kayn défie sa ceinture et tira brusquement dessus avant de la lui tendre.
« Fais-moi un garrot » fit-il, le corps en sueur.
Elle se jeta sur la ligne de cuir et s’exécuta, regrettant de ne pas y avoir pensé. Elle sanglota et se mit à renifler.
« Chiale pas, je ne vais pas mourir, la rassura-t-il d’une voix fatiguée.
- Je suis désolée, je pensais que c’était cet homme qui revenait et… j’avais peur… que… encore… »
Kayn comprit ce qu’elle ne parvenait pas à exprimer clairement. À ses yeux, ce qu’elle avait subi était un acte hautement condamnable. Mais bien qu’il comprit sa détresse, il ne pouvait la laisser se morfondre. Il leur fallait sortir de Ghudam ou mourir, donnés en pâture à la Calamité ou à ses habitants.
« Ne t’en fais pas, si je venais à trépasser, je viendrais te hanter. Et tu devras m’élever un temple et prier pour moi chaque jour du reste de ta vie pour apaiser mon courroux », fit-il en lui pinçant la joue.
Un sourire étira ses lèvres, aussitôt rendu par Lucie qui essuya ses larmes d’un revers de manche. Elle glissa sa ceinture autour de son bras, la remonta au plus près de son épaule et la serra de toutes ses forces. Une grimace déforma le visage du jeune homme, puis ils reprirent tous deux leur chemin.
Pour la majorité, les habitants qu’ils croisèrent étaient endormis, saouls ou si fatigués qu’ils ne leur prêtèrent qu’une attention mesurée. Lorsqu’ils arrivèrent près du lieu de détentions de leurs compagnons, l’agitation qui y régnait les arrêta net. Une dizaine d’hommes allait et venait : l’un d’eux, un grand mince avec une casquette et un fusil attaché en bandoulière, donnait des directives quand un autre plus jeune vint faire un salut militaire devant lui.
« J’espère qu’il y en a suffisamment, fit le plus vieux d’une voix menaçante.
- T-Trente-deux… euh, trente-cinq, bégaya l’autre, ils sont trente-cinq. C’est un peu moins que la dernière fois, mais-
- Mais quoi ? Tu crois qu’elle va se contenter de ça ? Tu as vu la taille de ce monstre ? »
Tandis que son interlocuteur se décomposait, l’homme le détailla plusieurs secondes, se disant qu’il enverrait bien ce gringalet idiot servir de sacrifice à la Calamité si seulement la mère de celui-ci n’était pas l’une de ses conquêtes. Il maudit intérieurement sa situation puis tourna les talons et entra dans le bâtiment, suivi de près par le jeune homme.
Linus observa d’un œil expérimenté la disposition de la demeure ainsi que la position des gardes. La plupart était entré avec le vieux grincheux, les autres guettaient le ciel d’un air inquiet. Soudain, tous sursautèrent : dans tout Ghudam résonna le bruit d’un violent choc. Puis, un autre. Et encore un autre. Il se reproduisait à intervalle régulier.
« Je crois que c’est la Calamité qui fait toc toc, s’amusa Kayn dont le teint devenait de plus en plus pâle au fur et à mesure que son sang le quittait.
- Cesse de sourire bêtement ! lui ordonna l’ancien militaire sur un ton sec. Tu es certain qu’on peut sortir par-là ?
- Je n’ai pas eu l’honneur de recevoir une invitation pour visiter les lieux. Mais tous ceux qu’ils amènent ici ne ressortent jamais. Et ce n’est pas ici qu’ils emmènent les corps pour leur fichue soupe. Alors j’en ai conclu que c’est là qu’ils les font sortir de Ghudam.
- V-Vous croyez que la Calamité va réussir à entrer ? » hésita Florie dont la peur lui serrait le ventre.
Tous échangèrent le même regard terrifié sans oser répondre, alors elle regarda Kayn qui avait toujours réponse à tout. Elle lut un certain amusement dans son regard hétérochrome qui lui fit remonter un frisson dans le dos.
« Buffet à volonté pour elle ce soir ! » lâcha-t-il avec un petit rire.
Cette fois, la plaisanterie ne passa pas : Linus le plaqua contre le mur et l’attrapa à la gorge :
« C’est la dernière fois que je te le dis, tu arrêtes avec ce comportement puéril, grogna-t-il à voix basse, les blagues, les sourires, les moqueries, ça suffit ! »
S’il n’y avait pas eu la douleur dans son épaule ou la fatigue que sa blessure engendrait, Kayn l’aurait repoussé. Mais les armes les plus simples sont parfois les plus effrayantes ; ses prunelles passèrent d’un éclat amusé à une lueur menaçante qui ne laissa d’autre choix à Linus que de le lâcher. Si ce dernier tut ses pensées, il avait toujours perçu le jeune homme comme un danger. Il savait une chose : il devait s’en méfier. Sans compter qu’il était le seul à pouvoir les guider vers l’extérieur ! Il fit un rapide volte-face, donna ses ordres à ceux qui étaient encore valides puis conseilla à ceux qui ne l’étaient pas de rester en arrière sans faire de bruit.
Alexandre s’était porté volontaire et vint vers Lucie pour la rassurer. Il avait le devoir d’aller sauver Max, les enfants, et tous ceux qui étaient avec eux. Il lui promit de revenir, déposa un baiser sur son front et suivit Linus, déterminé à trouver un chemin hors de cet enfer s’il s’avérait bien y en avoir un.
Armés de quelques fusils qu’ils avaient récupérés, ils allaient se servir du bruit que provoquait la Calamité pour couvrir leurs tirs. Lorsque ce fut le moment, une première rafale de balles fit s’écrouler les quelques hommes en poste à l’extérieur. Le petit groupe s’avança avec une dextérité surprenante rappelant celle des unités d’intervention de la police et s’enfonça dans le bâtiment, Linus en tête. Des flashs lumineux firent échos au vacarme des armes tandis qu’on priait à l’extérieur pour la réussite de l’opération.
Assis contre un mur, les yeux fermés, le visage vers le ciel, Kayn semblait dans un autre monde. Son esprit était bien trop fatigué pour être submergé par des questions ou des espoirs peut-être vain. Il était distraitement fixé sur le son que produisait la bête en essayant d’entrer dans la ville. Si régulier, hypnotique. Semblable aux derniers battements d’un cœur.
Une pensée lui vint : si la Calamité entrait, ce serait un véritable carnage. Une ville si grande, avec une population si dense ! et qu’une seule sortie connue des habitants ! Comment penser qu’un malheur n’allait pas se produire ? Mais les habitants de Ghudam ne le méritaient-ils pas, finalement ?
« Eh ! Ne t’endors pas, hein, lui chuchota Lucie en posant sa main fraîche sur son front brûlant, tu as de la fièvre. Comment te sens-tu ? »
Les yeux mi-clos, Kayn la retira et la garda inconsciemment dans la sienne, puis répondit :
« Je crois qu’un sprint me tuerait, mais tout va bien. Je suis en paix avec moi-même.
- Nous allons te sortir d’ici et nous nous occuperons de toi.
- Vous allez me creuser un trou ? Douce attention. »
Un sourire s’esquissa sur ses lèvres tandis qu’il refermait les yeux. Lucie n’eut pas la force de rire ni même de lui rendre son sourire. Elle l’appréciait beaucoup et sa perte serait douloureuse. Elle s’était habituée à cet enquiquineur. Il s’était montré serviable plus d’une fois et malgré son caractère difficile, ils avaient noué tous deux une relation qu’on aurait pu qualifier d’amicale. Son pouce caressa la paume du jeune homme avec douceur. Cela les apaisa, ils n’avaient plus à se concentrer sur la situation présente, aussi cruciale soit-elle, la rendant plus supportable.
Quand enfin les coups de feu cessèrent, Alexandre réapparut en leur faisant signe de venir.
« Allez, allez, bougez ! On a sécurisé les lieux.
- Mes enfants ? Max ? Ils sont là ? l’interrogea Tania en courant dans sa direction.
- Et plus encore. Il y a du monde là-dedans. »
Lucie aida Kayn à se lever puis se glissa sous son épaule valide, bientôt rejointe par son frère.
« Eh ben, si on m’avait dit que vous m’aideriez un jour à marcher… Aurais-je prématurément vieilli ?
- Tu ne dois pas être si mal en point pour continuer à débiter des conneries, le railla Alexandre.
- Oh, tu sais, ça ne demande pas d’énergie. »
Ils passèrent la porte, suivirent un couloir sombre jusqu’à un escalier qui descendait et faillirent percuter un Linus enragé qui se jeta sur Kayn, le projetant avec force sur les marches. Ce dernier gémit, se tenant une épaule qui ne savait plus comment exprimer la douleur.
« Il y a bien une porte qui conduit à l’extérieur, mais elle est verrouillée ! Alors dis-moi que tu sais où est la clef parce que sinon, tu nous as foutu dans un sacré merdier !
- Monsieur le génie n’a pas pensé qu’elle pourrait être sur l’un des gardes ? Vous les avez fouillés ? » fit Kayn en se relevant avec difficulté.
D’un pas lourd et décidé, l’ex-soldat remonta au rez-de-chaussée suivi par Noé, un ancien captif du lieu. Sortant de derrière un mur, Max s’avança ; son visage se para d’un voile sombre en découvrant l’état de Kayn. Il était soulagé de voir tous ses compagnons de route réunis, même Tania avait finalement retrouvé ses enfants qu’elle serrait fort dans ses bras. Mais quel en serait le prix ?
Après examen des cadavres, ils n’eurent rien trouvé. À l’annonce de cette nouvelle, le silence s’empara de la pièce. Retourner dehors signifiait se confronter à leurs ravisseurs et peut-être même à la Calamité, encore une fois. Si on pensait qu’il n’y avait à présent qu’une seule échappatoire, on s’interdisait d’imaginer traverser la ville pour la rejoindre.
Linus s’apprêtait à s’en prendre de nouveau à Kayn, mais il se stoppa net en entendant un bruit sourd à l’extérieur qui se prolongea avec des cris terrifiés.
« Ne me dîtes pas… qu’elle est entrée », fit Florie dont le corps tremblait de façon incontrôlable.
Certains se laissèrent emporter par la panique tandis que d’autres fondirent en larmes ou restèrent stoïques. Il régna rapidement un brouhaha assourdissant : des prières furent récitées comme des incantations, des idées irréfléchies lancées à la hâte auxquelles on accorda aucun crédit.
Lucie fixait Kayn dans l’espoir de le voir prendre la situation en main, mais le jeune homme, en plus de paraître exaspéré, s’affaiblissait de plus en plus à chaque instant. Bien qu’il la pressait de toutes ses forces, sa blessure à l’épaule continuait de saigner et de vampirisait son énergie. Timidement, Lucie s’approcha et se plaça sous son autre épaule pour l’aider à rester debout. Puis elle murmura avec un sourire forcé :
« Tu n’aurais pas une idée ? »
Malgré son esprit embrumé par l’épuisement, Kayn réfléchit à plusieurs possibilités. Rapidement, seule l’une d’entre elles lui parut viable.
« Les portes vont être prises d’assaut, nous ne pourrons pas sortir par là. Y aurait-il un courageux pour aller voir par où la Calamité est entrée ?
- Pourquoi tu n’irais pas ? » lui lança Linus avec véhémence.
Comprenant que la situation allait déraper d’une minute à l’autre, Alexandre se porta volontaire sans savoir où Kayn voulait en venir. Cependant, il connaissait bien la débrouillardise du jeune homme et comptait là-dessus pour sortir en vie de Ghudam.
« Le mur sud-ouest, indiqua-t-il à son retour.
- Pourquoi se jeter sur une porte bloquée alors que Nihil nous a ouvert une voie que personne n’empruntera tant qu’elle sera à proximité ?
- Et si la Calamité se situe entre nous et la sortie ? le questionna Max.
- Elle a tout Ghudam pour elle, elle ne restera pas devant bien longtemps.
- C’est de la folie pure et simple ! s’emporta Linus en secouant la tête de désapprobation. Tu veux tous nous faire tuer ?
- Si c’était le cas, je ne vous aurais pas prévenu de ce qui se tramait dans cette ville. Que voulez-vous, j’ai le cœur tendre malgré moi. Nous n’avons plus le temps de réfléchir, alors agissons : Venez avec moi, cherchez cette fichue clef ou courrez à la porte. Faites votre choix et arrêtez de m’emmerder ! »
Sur ces mots, il sortit avec Lucie, suivi par tous ceux qui croyaient en lui. Quant aux indécis, ils les laissèrent à ce brûlant dilemme : tenter leur chance aux portes de la ville ou suivre le rester du groupe pour essayer de passer entre les griffes de la bête – peut-être même littéralement.
Dehors, de violentes rafales s’engouffraient dans les rues : détritus et abris de fortunes étaient emportés en quelques secondes. Les cris de la créature résonnaient dans Ghudam, ne laissant personne douter de sa présence. Au loin, ses puissants coups étaient semblables à des détonations. Des appels au secours s’élevaient ici et là, sans qu’on en connaisse précisément la position.
Plus ils approchaient, plus leur chemin était parsemé de débris. Une foule démesurée courait dans les rues à l’opposé de la bête. Ceux qui avaient le malheur de tomber étaient aussitôt piétinés. Impossible pour eux de se relever. Le groupe avait opté pour les ruelles, moins fréquentées, se faufilant dans la ville telles des petites souris. À mi-chemin, ils se stoppèrent pour s’assurer de la direction prise. Kayn ne prêta que peu d’attention à ce qui se passait à proximité ; son regard s’étendait au loin, tout comme son ouïe. Il avait à peu près localisé la position de la Calamité et en avait déduit l’emplacement du trou béant par lequel ils souhaitaient sortir. Il inspira profondément, laissant un air putride et poussiéreux s’engouffrer dans ses poumons. L’idée d’abandonner les autres lui traversa l’esprit. Bien que blessé, il était certain de s’en sortir. Qu’avait-il donc fait ? Pourquoi s’était-il soucié de leur sort ? Ghudam n’était-elle pas la preuve que l’humanité ne valait rien ? Il s’était pourtant juré de toujours ignorer la douleur qu’elle s’infligeait à elle-même.
Ses pensées furent soudain chassées par un contact. Celui de Lucie. Elle continuait de le soutenir, elle voulait qu’il s’en sorte. Kayn y vit une forme de naïveté agrémentée d’hypocrisie : bien sûr ! Sans lui, elle ne pourrait sortir de la ville ! Du moins, c’est ce dont il essaya de se persuader. Il refusait d’admettre qu’elle pouvait tenir à lui et qu’elle se souciait vraiment de sa survie, ça non ! Mille tourments lui auraient paru être une douce caresse à côté.
Le dégoût.
Comme une vague indomptable et sauvage emportant tout sur son passage. Il s’infiltra dans l’entièreté de son corps, balayant toute tentative de réflexion. D’un coup, Kayn ne supporta plus de voir Lucie si près de lui. Il s’éloigna de quelques pas, ce que la jeune femme prit comme un regain d’énergie. Pas un instant elle ne douta de sa pensée.
« Bien, venez ! » fit Linus en avançant vers la Calamité.
Le petit peloton suivit en cadence jusqu’à ce que la silhouette de la créature soit visible au loin. Les cris résonnaient plus intensément, les bâtiments volaient en éclats sous chaque attaque de la bête. Il fallait oublier un instant les autres, les futures victimes, les cadavres gisant déjà au sol ou sous les décombres et se faufiler derrière elle. Il n’y avait pas une minute à perdre. Tous ne pourraient pas sortir de ce guet-apens morbide, seuls les plus rapides et les plus ingénieux y parviendraient. L’immense silhouette noire ne les remarqua pas, trop occupée à poursuivre une rivière humaine en fuite dans les rues de Ghudam. Kayn fut le premier à sortir par la brèche qu’elle avait créée, escaladant les débris avec une maladresse qu'on ne lui connaissait pas. Linus arriva bien vite derrière lui, puis les autres suivirent, chacun à leur rythme. Les enfants et les plus vieux nécessitèrent de l’aide qu’Alexandre, Lucie et Tania s’empressèrent de leur apporter.
À l’extérieur, Kayn se laissa tomber sur les genoux, exténué, puis inspecta son épaule et retint un juron qu’il se destinait. Derrière lui, Ghudam s’embrasait et devenait peu à peu exsangue. Bientôt, elle serait également muette. Un sourire naquit sur son visage blafard tandis qu’il se demandait s’il allait subir le même sort. Si l’adrénaline l’avait aidé à se maintenir jusqu’ici, à présent, ses forces le quittaient sans remords. La douleur dans son épaule le lançait jusque dans son bras, et l’afflux de sang, bien que limité par la ceinture, persistait. Son t-shirt était désagréablement humide et collait à sa peau. La fièvre s'était installée, ses muscles tremblaient malgré lui comme si le thermomètre était passé sous la barre du zéro.
« Lorien… appela-t-il dans un soupir.
- Tu peux suivre ? fit Lucie en s’accroupissant près de lui.
- Je ne vous demande pas de m’attendre, répondit-il, le souffle court.
- Tu viens de nous sauver, on ne va pas te laisser tomber », affirma-t-elle en posant sur lui un regard inquiet.
Jamais elle n’aurait pensé le voir un jour dans un tel état. Elle n’était pas certaine qu’il survivrait à cette balle logée dans son épaule, et c’était sa faute.
« Vous sauvez ? Non, j’ai prolongé votre calvaire. Et je n’attends rien de vous. »
Sa réponse refroidit Lucie, mais elle refusa de le laisser à son sort. Ils avaient tous une dette envers lui, et même si cela devait justifier son acte pour le rendre acceptable aux yeux de Kayn, elle comptait bien lui sauver la vie. Elle courut vers son frère et le supplia de l’aider.
« Encore faut-il qu’il veuille », lui fit remarquer celui-ci.
Autour, on commençait déjà à détaler le plus loin possible de la ville et de la Calamité. Linus, en tête de cortège, avançait sans se soucier d’être suivi ou non. Survivre était le seul mot d’ordre qui tournait dans son esprit.
« Allez Kayn, debout ! » fit Lucie tandis que son frère se glissait sous l’épaule du blessé.
Dès qu’il fut remis sur ses pieds, elle alla se placer sous son autre épaule pour l’aider à avancer. Kayn ressentit un vertige et manqua de tomber, mais le frère et la sœur ne lui laissèrent d’autres choix que d’avancer avec eux.
Peu à peu, sa vision s’obscurcit ; tout semblait noir autour comme s’il ne restait plus aucune lumière nulle part. Le vent qui fouettait son visage, ainsi que ses deux béquilles bipèdes, lui semblèrent s’évanouir progressivement. Il ne resta bientôt qu’un chemin invisible où le sol n’avait plus vraiment de consistance sous ses pieds.
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