Chapitre 5 : La vérité

5 minutes de lecture

  Je ne percevais plus la voix. J’avais beau appeler, chercher… rien.

 D’abord je voyais des fantômes, et à présent, j’entendais des voix dans les arbres !

 À croire que j’étais la réincarnation de Jeanne d’Arc !

 Le soleil commençait déjà à décliner. Je rentrai à la maison avec ma chienne, complètement chamboulée. Je partis aussitôt dans ma chambre, prétextant à mes parents le besoin d’être seule.

 Je m’allongeai sur mon lit. Quel sentiment curieux ! Je n’arrivais plus à me souvenir exactement de ce que venait de me dire cette voix ! En y réfléchissant, j’avais l’impression qu’elle parlait dans une autre langue, que j’avais traduite instantanément. Incapable de me remémorer des mots ou de retrouver leur signification, j’imaginais déjà la scène :

« Bonjour, j’ai entendu mon arbre me parler dans une langue étrangère ! »

« D’accord, on vous emmène en psychiatrie ! »

 Ce constat m’évoquait quelque chose. Un détail pour le moins étonnant. Mais oui ! La gitane ! Elle aussi s’était exprimée dans un langage inconnu ! Voilà pourquoi je ne parvenais pas à me souvenir correctement de notre discussion. Mais d’où me provenait cette capacité à interpréter leurs paroles sans même m’en rendre compte ?

 Je caressais le doux pelage de mon petit chat, l’esprit complètement embrouillé.

 Alors que je sombrais dans un demi sommeil, des éclats de voix me réveillèrent net. Mes parents. Quoi ? Ils se disputaient ? Chose rarissime. Surtout à l’heure du dîner !

 Je descendis l’escalier le plus silencieusement possible. Poussée par ma curiosité, je ne pus m’empêcher d’aller écouter derrière la porte qui donnait au salon.

J’entendis ma mère dire :

– Nous ne pouvons plus la laisser seule, c’est trop dangereux.

– On ne peut pas constamment la surveiller !

– Nous devons trouver une solution. Ce n’est plus possible ! insista Sijia.

– Mais quoi ? Que veux-tu faire ? On n’a jamais compris ce qui s’est passé.

 Un silence pesant s’abattit.

– Chéri, je ne serais pas capable de supporter un autre deuil.

Cette confession me coupa le souffle.

 Elle devait parler de son frère jumeau, Jian[1]. Je ne l’avais pas connu. Depuis sa disparition, Sijia se sentait comme coupée en deux. Elle évoquait de temps en temps leur si grande complicité, leur lien indéfectible, même au-delà de la mort.

 Mais pourquoi « un autre deuil » ?

– Nous devrions en discuter avec elle, tout simplement…, suggéra mon père d’une voix douce. Elle doit savoir. Elle est grande maintenant.

– Je ne veux pas la perdre… ni qu’elle souffre, adjura ma mère.

– Elle s’en rendra compte tôt ou tard. On ne peut pas rendre les gens heureux par le mensonge, en leur disant ce qu’ils ont envie d’entendre, déclara Olivier. C’est contraire à nos convictions. Je comprends que tu veuilles la protéger… Je connais bien son hypersensibilité !

Ils me cachaient donc quelque chose d’important. Dont j’ignorais la teneur.

Un sanglot étouffé.

– Tu as raison, concéda ma mère.

– Le moment est venu. Je sens qu’elle se pose des questions. Nêryah sombre peu à peu dans la mélancolie, mais le dissimule, comme toujours, pour nous préserver. Nous lui devons la vérité.

Mon père me connaissait bien mieux que je ne le croyais !

Le silence retomba. Je collai l’oreille au battant. Rien.

Quelques secondes plus tard, ma mère annonça sur un ton résolu :

– Allons lui parler.

– Me parler de quoi ? répétai-je d’un ton exaspéré en ouvrant brusquement la porte.

– Nêryah, tu as écouté ! s’exclama mon père, à la fois ébahi et contrarié.

Je m’immobilisai, avalant bruyamment ma salive. Je ne voulais pas décevoir mes parents.

– Je peux savoir ce qui se passe puisque ça me concerne ?

– Tu veux bien t’asseoir un moment ? me suggéra mon père.

– Je suis très bien debout, rétorquai-je froidement, les larmes aux yeux.

– Nous comprenons vraiment toute cette pression que tu accumules, commença ma mère. La danse, ton professeur qui te mène la vie dure, les épreuves du baccalauréat pour bientôt, et… tes dons particuliers. Nous aimerions tellement pouvoir t’aider, t’alléger d’un poids. Et surtout, te préserver de tout ça…

– Et donc ? m’impatientai-je.

– Ce dont nous voulons te parler ne vient pas au moment opportun, malheureusement, déclara Olivier. On ne voulait pas en rajouter une couche. Mais puisque tu souhaites savoir, et tu en as le droit, c’est à propos de ton adoption.

Il marqua une pause, comme pour réfléchir à la manière de m’expliquer la suite. Je le regardai droit dans les yeux. Il reprit :

– Je vais dire les choses telles qu’elles sont. Tout simplement. Sans pincettes, ni fioritures, car c’est la façon la plus saine d’expliquer ce qui s’est passé. Tu ne viens pas d’un orphelina. Nous t’avons trouvée ici, au pied du chêne. Précisément là où tu as entendu le bruit hier matin.

Je restai interdite, choquée par cette révélation. Mon père prenait donc cette histoire de bruit et de fantôme très au sérieux.

– Et ce n’est pas tout… depuis toute petite, tu retournes fréquemment là-bas, comme si tu attendais quelqu’un. Tu disais entendre des voix près de l’arbre.

Des voix ! Comme celle que je venais d’entendre ! Mes fameux amis de l’arbre.

– Et alors ? Les enfants inventent souvent des amis imaginaires, répliquai-je pour me donner contenance.

Étant donné mes problèmes de harcèlement, cela me paraissait normal. Pourtant, mes parents avaient l’air de l’entendre autrement. Je pouvais les comprendre, puisqu’à mon âge, je voyais un esprit d’une gitane et mon chêne me parlait !

– Ce n’est pas seulement cela, Nêryah, intervint Sijia. Il t’arrivait souvent de parler une autre langue. Cela semblait tellement sophistiqué ! Je pensais que cela venait de mes origines, mais tes mots n’ont rien en commun avec le Chinois. Nous avons noté quelques phrases que tu répétais, et malgré nos recherches, impossible d’en identifier la provenance.

C’est vrai que je me souviens de ça…, me dis-je intérieurement, j’en garde une vague impression, une consonance douce et agréable à entendre. La voix dans le chêne devait parler cette langue.

– Nêryah, aucun docteur n’a su expliquer tes ongles nacrés, continua-t-elle, ni la curieuse forme de ton nombril, et encore moins le fait que tu n’aies jamais attrapé les maladies infantiles.

Pour mes ongles, hormis Chloé, mes amies demandaient fréquemment la marque de mon « super vernis » si impeccablement mis et jamais écaillé. Cela me mettait bien dans l’embarras ! À la plage ou à la piscine, je portais toujours un maillot de bain une pièce pour cacher mon nombril, de la forme d’une minuscule spirale. On voyait bien l’emplacement du cordon ombilical, mais la peau s’enroulait ensuite autour, comme une petite coquille d’escargot. On supposait que c’était dû à une lésion bénigne, ou à un problème lié à l’accouchement. Impossible de déterminer avec exactitude la cause de cette curiosité, puisque l’on ignorait tout de mes parents biologiques et des circonstances de ma naissance.

– Tu as comme « hérité » des longs cheveux de ta mère, de ses yeux noisette en amandes, ajouta mon père en parlant de son épouse. Si bien que la plupart des gens pensent que tu es véritablement notre enfant. On pourrait croire que quelqu’un t’a délibérément emmenée chez nous, sachant que tu ressemblerais à ta mère en grandissant.

Olivier paraissait essoufflé, anéanti. Sa peau vira soudainement au rouge brique. Il se mordit les doigts, comme pour s’empêcher de pleurer ou de crier.

– Où voulez-vous en venir ?

– Nous pensons que tu ne viens pas d’ici, avoua Sijia.

[1] Se prononce « Dji-anne », signifie « santé » en Chinois.

Annotations

Vous aimez lire Ayunna ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0