Chapitre 8 : Le présent

10 minutes de lecture

– Nêryah ! Nêryah ! Où es-tu cachée encore ?

– Ici mamaaaan !

– Mais où ?

– Regarde ! Hahaha !

La petite fille de six ans était montée tout en haut du vieux chêne, lovée parmi les branches rassurantes de son ami.

– Mon dieu ! Descend immédiatement, Nêryah !

L’enfant obéit promptement à sa mère. Elle sautait de branches en branches avec agilité, glissa sur le tronc aisément. Sijia l’attendait, les mains posées sur ses hanches.

– C’est drôlement haut ! Petit singe, va ! Pourquoi passes-tu autant de temps ici ?

– J’attends quelqu’un.

– On peut savoir qui tu attends comme ça, ma chérie ?

– Mes amis…

– Tes amis ?

– Oui… mes amis.

– Des oiseaux ?

– Non… enfin, ce sont aussi mes amis. Mais eux ils viennent de très loin. Alors il faut que j’les attende dans l’arbre. C’est plus facile, répondit naturellement la petite fille.

– Sacrée Nêryah, je ne comprends pas grand-chose à ce que tu me racontes, mais c’est très amusant tout ça.


    Après ce rêve, ou plutôt, ce souvenir d’enfance, je pensais que tout ceci n’était pas réel, et que j’allais me réveiller dans mon lit, chez moi, avec mon chat. Mais lorsque j’ouvris mes paupières, je me trouvais dans une salle sombre, froide, éclairée par quelques torches.

On se croirait dans un château, me dis-je. Je pouvais en effet distinguer d’immenses colonnes de pierres grises reliées par des arches, soutenant le plafond voûté.

On m’avait attachée par… de sortes de lianes, sur une table en marbre, les bras et les jambes étirés dans une position très inconfortable. Je remuai, et tentai de m’en libérer, mais les lianes me cramponnèrent, se resserrant autour de mes membres, comme animées.

Je discernais grâce à la faible lueur des flammes d’étranges symboles gravés sur les murs.

Je me demandais comment j’avais pu me retrouver dans ce décor moyenâgeux.

Mon sommeil venait de m’apporter la réponse, par le biais d’images inquiétantes : une ombre m’avait enlevée. Je me souvenais à présent du chêne, de la lumière rouge, de Mina aboyant et de cette ombre étrange. Ensuite, le trou noir.

Depuis combien de temps suis-je ici ?

Ma tête allait un peu mieux, je me sentais moins sonnée qu’à mon premier réveil, et voyais correctement, cette fois.

Pourtant, je ne parvenais plus à faire la distinction entre le monde des songes et la réalité.

Où se termine le rêve ?

L’ombre, sans doute celle d’un homme, demeurait là, immobile, tournée vers moi. Je pivotai légèrement la tête pour mieux l’observer, l’angoisse au ventre. Cet inconnu portait une longue cape noire encapuchonnée. Je ne voyais pas son visage, qu’il cachait sous un masque blanc. Même ses mains étaient dissimulées par des gants de cuir. Impossible de deviner à quoi il pouvait ressembler. Cette vision m’horrifia davantage.

– Mina ! m’écriai-je en tentant de me redresser.

J’avais peur que cet homme lui ait fait du mal.

Il s’approcha, comme surpris par cet appel.

Totalement effrayée, je priai pour que tout ceci ne soit qu’un cauchemar. Je voulais me réveiller, chez moi ! Mais je sentais bien les liens enserrant mes poignets, empêchant mon sang de circuler correctement. Je devais bouger au plus vite mes membres engourdis. Impossible de me relever ou de desserrer mes entraves. Et le marbre glacé sous mon dos n’arrangeait rien !

– Qui est Mina ? me demanda une voix profonde à travers le masque.

Son timbre, à la fois suave et mélancolique, jurait avec son apparence ténébreuse, laissant transparaître une once d’humanité.

– Ma chienne, et j’espère que vous ne lui avez rien fait ! grognai-je.

Dès qu’il s’agissait de mes animaux, je devenais une louve enragée, prête à tout pour les protéger.

– Sinon quoi ? Crois-tu être en mesure de te défendre, attachée ainsi ? Mais non, rassure-toi. Ta chienne ne m’intéressait pas.

– Justement, pourquoi suis-je attachée ? Où sommes-nous ? J’étais dans mon jardin, et je me retrouve ici, à cause de vous !

– Pas tout à fait…

– Pardon ?

– Tu es venue à moi, affirma-t-il. De ton plein gré.

– Mais non !

– Dans ce cas, que faisais-tu dehors, au beau milieu de la nuit ?

– Je suis venue… parce que vous m’avez appelée, réalisai-je.

– Précisément. Une partie de toi voulait me rejoindre, Nêryah.

Il a raison. Cette voix, dans mon rêve, me disait : « viens à moi ». Et c’est exactement ce que j’ai fait ! Sans le savoir, je me suis littéralement jetée dans la gueule du loup ! me rabrouai-je.

La fameuse voix de l’arbre le jour où je pleurais. C’était la sienne ! Elle appartenait bien à cet homme masqué !

– Comment connaissez-vous mon nom ? remarquai-je, stupéfaite.

L’inconnu s’éloigna, ignorant ma question.

– Pourquoi ne me répondez-vous pas ? insistai-je.

– Silence ! J’ai besoin de me concentrer. J’essaie de comprendre comment tu as pu séjourner ainsi sur Terre.

Cette fois, l’intonation ne recelait aucune sympathie.

– Mais je peux aisément répondre à vos questions ! signalai-je.

– Ah oui ? Sais-tu vraiment qui tu es ? me dit-il, retrouvant son timbre si mélodieux.

Ses mots me firent frissonner. Il marquait un point.

Les minutes passaient, interminables. Je me sentais ivre de fatigue, courbaturée. Je pouvais à peine tourner la tête. Je manquais cruellement de sommeil puisque j’avais eu la brillante idée d’aller contempler un arbre à trois heures du matin. Ce qui m’avait valu un kidnapping, quelle idiote ! Je perdis la notion du temps. La faim me tenaillait le ventre. Irritée, je me maudissais d’avoir obéi à cette voix. Je ne savais même pas où j’étais. Mes parents allaient-ils pouvoir me retrouver ?

Je commençais sérieusement à me demander si je n’avais pas voyagé dans le temps, d’où l’aspect vétuste de ce lieu et de ce curieux personnage.

– Je vous en prie, détachez-moi !

Mon ravisseur parcourait les pages d’un vieux livre.

– Il me semble t’avoir demandé de ne plus parler. Je te conseille d’obtempérer.

Il se pencha au-dessus de ma tête, planta son regard droit dans le mien. Je pus voir son masque en détail : complètement blanc, hormis quelques traits noirs qui partaient de l’emplacement des yeux, descendaient en s’arrondissant comme un hameçon au niveau des joues, telles d’épaisses larmes. D’autres tracés remontaient au-dessus des sourcils. On aurait dit un masque de carnaval. Ces dessins tout en courbes lui donnaient un air presque androgyne, ajoutant au mystère. J’observais deux ouvertures très fines à l’emplacement des narines afin qu’il puisse respirer, une petite ligne pour la bouche. Impossible en revanche de discerner la couleur de ses yeux à travers les deux petites fentes en amandes.

Mon dieu, qu’allait-il me faire ? Sa présence me rendait terriblement anxieuse. Cet effet dissuasif fonctionnait à merveille : mon corps tremblait de frayeur.

– Tâche de rester tranquille, murmura-t-il en se redressant.

Je m’armai de courage, adoptant un ton qui se voulait le plus posé possible :

– Essayez-vous de m’intimider ? provoquai-je, ignorant ses menaces. Rassurez-vous, je ne risque pas de bouger, attachée ainsi.

Je ne devais pas me laisser envahir par la peur ! Il fallait lui tenir tête.

L’homme masqué posa son livre sur la table où je siégeais, approcha lentement sa main gantée de mon visage. Les larmes me montèrent aux yeux. Il retint alors brusquement son geste, comme surpris, ou légèrement affecté de me voir pleurer.

– Pardonne-moi Nêryah, je ne voulais pas te mettre dans cet état. Je dois juste vérifier certaines choses, dont ton état de santé.

Sa voix semblait réellement pleine de regrets.

– Comment savez-vous mon nom ? insistai-je.

– Je te connais depuis bien longtemps.

– Vraiment ?

Comment savoir si je l’avais déjà vu puisqu’il dissimulait son visage ?

– Je te connais depuis longtemps, répéta-t-il calmement.

– Kiarah ! Kiarah ! Où es-tu cachée encore ?

– Ici mamaaaan !

– Mais où ?

– Regarde ! Hahaha !

La petite fille de six ans était montée tout en haut du vieux chêne, lovée parmi les branches rassurantes de son ami.

– Mon dieu ! Descend immédiatement, Kiarah !

L’enfant obéit promptement à sa mère. Elle sautait de branches en branches avec agilité, glissa sur le tronc aisément. Sijia l’attendait, les mains posées sur ses hanches.

– C’est drôlement haut ! Petit singe va ! Pourquoi passes-tu autant de temps ici ?

– J’attends quelqu’un.

– On peut savoir qui tu attends comme ça, ma chérie ?

– Mes amis…

– Tes amis ?

– Oui… mes amis.

– Des oiseaux ?

– Non… enfin, ce sont aussi mes amis. Mais eux ils viennent de très loin. Alors il faut que j’les attende dans l’arbre. C’est plus facile, répondit naturellement la petite fille.

– Sacrée Kiarah, je ne comprends rien du tout, mais c’est très amusant tout ça.

 Après ce rêve, ou plutôt, ce souvenir d’enfance, je pensais que tout ceci n’était pas réel, et que j’allais me réveiller dans mon lit, chez moi, avec mon chat. Mais lorsque j’ouvris mes paupières, je me trouvais dans une salle sombre, froide, éclairée par quelques torches. On se croirait dans un château, me dis-je. Je pouvais en effet distinguer d’immenses colonnes de pierres grises reliées par des arches soutenant un plafond voûté.

 J’étais étendue sur une table en marbre, attachée par des cordes, les bras et les jambes étirés dans une position très inconfortable. Je discernais grâce à la faible lueur des flammes d’étranges symboles gravés sur les murs. Je me demandais comment j’avais pu me retrouver dans ce décor moyenâgeux.  

 L’ombre, sans doute celle d’un homme, demeurait là, immobile, tournée vers moi. Je pivotai légèrement la tête pour mieux l’observer, l’angoisse au ventre. Cet inconnu portait une longue cape noire encapuchonnée. Je ne voyais pas son visage qu’il cachait sous un masque blanc. Même ses mains étaient dissimulées par des gants de cuir. Impossible de deviner à quoi il pouvait ressembler. Cette vision m’horrifia davantage.

– Mina ! criai-je en tentant de me redresser.

 Je ne comprenais rien de ce qui se passait. Je me souvenais seulement du chêne, de la lumière rouge, de Mina aboyant et de l’ombre qui m’avait enlevée. Mais ensuite, le trou noir.

 J’avais peur que cet homme lui ait fait du mal. Il s’approcha, comme surpris par cet appel.

 Totalement effrayée, je me demandais si j’étais en train de rêver, tout cela me paraissait irréel. Pourtant, je sentais bien les liens enserrant mes poignets, empêchant mon sang de circuler correctement. Je devais bouger au plus vite mes membres engourdis. Cependant, impossible de me relever ou de desserrer mes entraves. Et le marbre glacé sous mon dos n’arrangeait rien !

– Qui est Mina ? me demanda une voix profonde à travers le masque.

 Son timbre, à la fois suave et mélancolique, jurait avec son apparence ténébreuse, laissant transparaître une once d’humanité.

– Ma chienne, et j’espère que vous ne lui avez rien fait ! grognai-je.

 Dès qu’il s’agissait de mes animaux, je devenais une louve enragée, prête à tout pour les protéger.

– Sinon quoi ? Crois-tu être en mesure de te défendre, attachée ainsi ? Mais non, rassure-toi. Ta chienne ne m’intéressait pas.

– Si je ne peux pas bouger, c’est de votre faute ! rétorquai-je. C’est à cause de vous que je me retrouve dans cette situation !

– Pas tout à fait…

– Pardon ?

– Tu es venue à moi, affirma-t-il.

– Mais non !

– Dans ce cas, pourquoi te trouvais-tu dehors au beau milieu de la nuit ?

– Parce que… vous m’avez appelée, réalisai-je.

– Précisément. Une partie de toi voulait me rejoindre, Kiarah.

– Comment connaissez-vous mon nom ? remarquai-je, stupéfaite.

 L’inconnu s’éloigna, ignorant ma question. Les minutes passaient.

– Pourquoi ne me répondez-vous pas ? insistai-je. Où suis-je ? Pourquoi suis-je attachée ?

– Tais-toi, s’il te plaît. J’ai besoin de me concentrer. J’essaie de comprendre qui tu es.

 Cette fois, sa voix ne recelait aucune sympathie.

– Mais je peux aisément répondre à cette question ! signalai-je.

– Ah oui ? Sais-tu vraiment qui tu es ? me dit-il, retrouvant son timbre si mélodieux.

 Ses mots me firent frissonner. Il marquait un point. Je ne pouvais rien répondre.

 Plus tard, alors que mon ravisseur parcourait les pages d’un vieux livre, je suppliai, impatiente :

– Je vous en prie, détachez-moi !

 Je me sentais réellement ivre de fatigue et courbaturée. Je pouvais à peine tourner la tête.

– Il me semble t’avoir déjà dit de ne plus parler. Je te conseille d’obtempérer, c’est pour ton bien.

– Et pourquoi vous obéirais-je ?

– Parce que dans le cas contraire, je risque d’utiliser cette épée pour te faire taire, répondit-il simplement.

 Il sortit une longue épée de son fourreau.

 Je commençais sérieusement à me demander si je n’avais pas voyagé dans le temps, d’où l’aspect vétuste de ce lieu et de ce curieux personnage. 

 Pratiquant l’escrime, j’avais l’habitude de manier épées, fleurets et sabres. Mais là, aucun moyen de me défendre. Cet homme allait-il me torturer avec ?

– Qu’allez-vous faire avec cette épée ? m’affolai-je.

– Je ne sais pas encore… dois-je te trancher la gorge tout de suite ? fit-il d’un ton espiègle.

– Essayez-vous de m’intimider ? provoquai-je, ignorant ses menaces.

– Tu comprends vite. C’est sans doute pour cela que tu es si précieuse.

 Je me demandais à quoi il faisait allusion. Comme pour me répondre, il se rapprocha, sa lame pointée sur mon cœur. Je pus voir son masque en détail : complètement blanc, hormis quelques traits noirs qui partaient de l’emplacement des yeux, descendaient en s’arrondissant comme un hameçon au niveau des joues, telles d’épaisses larmes. D’autres tracés remontaient au-dessus des sourcils. On aurait dit un masque de carnaval. Ces dessins tout en courbes lui donnaient un air un peu androgyne, rendant le personnage encore plus mystérieux. J’observais deux ouvertures très fines à l’emplacement des narines afin qu’il puisse respirer, une petite ligne pour la bouche. Impossible en revanche de discerner la couleur des yeux de mon agresseur à travers les deux petites fentes en amandes.

 L’homme s’amusa à promener son épée le long de ma gorge, puis de mon buste, descendant et remontant ainsi la lame, sans me blesser, juste pour me faire comprendre qu’il avait tout pouvoir sur moi. Et cela fonctionnait à merveille. Je frémis de plus belle.

– Si tu tiens à ta vie, tâche de rester tranquille, murmura-t-il.

– Arrêtez de jouer avec cette épée, dis-je d’un ton qui se voulait le plus posé possible, essayant de cacher mon angoisse.

– Tu joues avec le feu. Tu n’as pas idée de ce qui pourrait t’arriver…, me susurra-t-il dans l’oreille. Ne me tente pas, petite imprudente…

 Les larmes me montaient aux yeux. Il retint alors brusquement son geste, comme surpris, ou légèrement affecté de me voir pleurer. Mon corps tremblait. Mes membres engourdis, cette table glacée, ces liens si serrés, je n’en pouvais plus. Je n’avais presque pas dormi de la nuit puisque j’avais eu la brillante idée d’aller contempler un arbre à trois heures du matin. Ce qui m’avait valu un kidnapping, quelle idiote !

– Pardonne-moi Kiarah, je ne voulais pas te mettre dans cet état.

 Sa voix semblait réellement pleine de regrets.

– Comment savez-vous mon nom ? insistai-je.

– Parce que je te connais depuis très longtemps.

Annotations

Vous aimez lire Ayunna ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0