Chapitre 12 : Une question de point de vue

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  Je le regardai, interloquée.

– Cela n’a rien de surprenant, continua Avorian. Leur monde tombe en ruine, et le nôtre avec.

– Á cause de la pollution, de la déforestation, de notre mode de vie énergivore ?

– Pas seulement. Ce dont tu parles n’est que le reflet extérieur d’un problème situé à l’intérieur du mental des êtres humains, de leur partie sombre. L’état de leur planète n’en est que la conséquence. La cause réelle provient de leurs peurs, et de leurs émotions enfouies en eux. Elles impactent la matière. Et ils n’en ont absolument pas conscience.

 Captivée par cette affirmation, je réfléchis posément, puis émis cette hypothèse :

– Je vois. Sur Terre, en physique fondamentale, on parle de la « Théorie des Cordes ». C’est ce que vous évoquiez avec les différentes dimensions qui constituent l’Univers, si je comprends bien. On a parfois l’impression que ce que l’on ne voit pas n’existe pas ou n’a pas d’action sur nous, pourtant nos émotions sont bien réelles. Tout comme les atomes et les particules, invisibles à l’œil nu, sont perpétuellement en mouvement autour de nous, et interagissent les uns avec les autres... et d’un plan à l’autre aussi, alors. Comme une sorte d’onde qui se propage. En partant de ce postulat, on peut dire que les émotions ou les peurs peuvent elles aussi avoir un impact sur la matière.

 Et voilà, mon côté « ado surdouée » reprenait le dessus, même dans un monde étranger.

– Exactement ! Tu comprends vite ! Les peurs, mais aussi les pensées…

– Vous sous-entendez que ces peurs enfouies ont une répercussion sur votre monde. Cela signifie que les deux planètes sont liées ?

– Oui. C’est bien pour cette raison que tu as pu séjourner sur Terre. Les humains détenaient autrefois un immense pouvoir du verbe et de la pensée – et ils peuvent encore l’utiliser aujourd’hui, s’ils le désirent. Malheureusement, ce pouvoir est en train de détruire notre monde, et la Terre.

– Cela paraît complètement fou ! Je n’aurais jamais pu imaginer que nos émotions refoulées puissent atteindre et fragiliser d’autres mondes ! Entre guerres commerciales, accumulations de richesses, productivité, la culture occidentale pousse à oublier l’essentiel, et plonge une partie de l’humanité dans un monde matérialiste, où la nature n’a plus de place. Ce mode de vie monotone, répétitif, fait qu’on se lasse de tout. Alors comment voulez-vous que les humains se rendent compte de leur propre pouvoir ?

– Rassure-toi, ce que tu décris concerne seulement une petite partie de l’humanité. Regarde : tes parents adoptifs mènent une vie pleine de bon sens, c’est pour cette raison que nous les avons choisis pour toi. Mais tu as raison, bien des Terriens ne perçoivent plus notre monde. Leurs pensées négatives affaiblissent la planète Terre, assèchent leur âme ; elles impactent aussi d’autres Univers. Leur mode de vie doit changer… avant qu’il ne soit trop tard.

– Puisque vous me connaissez, vous devez donc savoir qui sont mes véritables parents Orfiannais ?

– Je préfère que tu t’accoutumes à cette nouvelle vie avant d’aborder ce sujet.

Je le regardai droit dans les yeux en disant :

– Ils sont morts, n’est-ce pas ?

Son visage s’assombrit.

– Oui. Lors d’une grande bataille. C’est à cause de cette guerre que nous avons dû te placer sur Terre en urgence. Pour te protéger de cet horrible génocide. J’ai perdu énormément d’êtres chers ce jour-là. Je ne suis pas encore prêt à me plonger dans ces souvenirs. Pardonne-moi.

Le doux regard d’Avorian s’attrista. Il baissa les yeux vers ses mains, comme si son passé ténébreux s’y trouvait. Je compris qu’il était inutile d’insister. Je n’obtiendrais rien de cette façon.

– Sèvenoir a-t-il un lien avec tout ça ?

– Non, Sèvenoir n’a rien à voir avec la disparition de tes parents. Lui aussi a subi bien des horreurs. C’est tellement dommage qu’il me considère comme un ennemi ! répéta Avorian. J’aimerais pouvoir l’aider.

Je notai qu’il n’arrivait même pas à prononcer le mot « mort ». C’était sans doute trop éprouvant pour lui. Je n’osais le questionner davantage sur ce sujet.

– Dans ce cas, pourquoi Sèvenoir m’a-t-il enlevée ? Il semblait me craindre et m’a attachée pour cette raison.

– Dans ce monde, certains peuples détiennent de puissants pouvoirs. Tu en fais partie. Tant que tu ne sais pas encore t’en servir, tu restes vulnérable. J’ai l’impression que Sèvenoir aimerait t’avoir comme disciple. Ta magie représenterait un atout majeur pour lui. Il a malheureusement choisi la voie de la destruction. Il pourrait utiliser tes dons à mauvais escient.

– Si j’avais eu des pouvoirs, je m’en serais rendue compte, non ?

– Tes pouvoirs ne pouvaient pas être opérants sur la planète Terre. Les deux mondes ne vibrent pas à la même fréquence. La magie se crée uniquement à l’aide de l’énergie d’Orfianne. Nous ne sommes que les catalyseurs de cette puissance. Pour qu’elle puisse s’exprimer à travers nous, il faut parvenir à la « capter ». L’énergie terrestre est différente, elle s’adapte à l’évolution des humains. Certaines communautés Terriennes emploient leurs dons à des fins personnelles. C’est ce qu’on appelle la magie noire, la magie des émotions… Elle est extrêmement dangereuse, car elle ne provient pas de la Terre, ni d’un élan noble du cœur. Heureusement, de nombreux Terriens sont capables de s’unir aux éléments, d’accomplir des miracles, en servant de la véritable magie : celle qui est infinie, dénuée de l’emprise de l’égo. La race humaine est tellement fascinante ! Pleine de surprises ! (Il marqua une pause, sondant mes yeux ambrés). Tu ne t’es jamais rendue compte que tu étais différente des autres humains, Nêryah ?

– Eh bien… si, avouai-je. Par exemple, je ne suis jamais tombée malade, j’ai plus de force que les autres, je résiste aux brusques changements de température, mon nombril a une forme bizarre et… cela peut sembler idiot comme caractéristique, mais mes ongles sont de couleur nacre. Ceux des humains sont transparents.

 En observant les mains d’Avorian, je me rendis compte que lui aussi avait les ongles nacrés.

– Pendant plusieurs jours, mes parents et moi avons entendu un cri d’animal chez nous. Cela a-t-il un rapport avec l’enlèvement de Sèvenoir ?

– Oui, ce bruit provenait de l’une de ses créatures. Il comptait s’en servir pour te capturer, non seulement pour éviter que l’on remarque sa présence, mais surtout parce qu’il est très compliqué de venir sur Terre : passer d’un monde à l’autre requiert force et magie.

– Pourquoi l’animal ne m’a-t-il pas capturée, alors ?

– Cet animal ne redoute qu’une seule chose : la lumière. C’est pour cela que Sèvenoir voulait t’enlever en hiver : sur Terre, les matins y sont plus sombres, le soleil ne se lève pas tout de suite. Il voulait profiter des rares moments où tu étais seule, dehors, près du chêne.

– Le jour où j’ai entendu ces cris, la voiture d’Isabelle est arrivée… Les phares ont aveuglé l’animal, déduisis-je. Vous connaissez drôlement bien la Terre !

– La planète Terre n’a pas de secrets pour moi. Je l’ai bien étudiée. (Il fronça les sourcils et se mit à faire les cents pas.) Quelque chose m’échappe… La porte entre les deux mondes ne devait pas être accessible. Sèvenoir a finalement trouvé un moyen de passer… après tant de cycles. C’est très inquiétant : il peut désormais venir sur la planète Terre. C’est pourtant impossible sans la magie d’une fée.

– Eh bien ! Que de féérie ! Avorian, vous venez de m’apprendre que mes parents biologiques sont morts, plus rien ne me rattache à mon monde natal. Mes parents adoptifs m’attendent sur Terre. Je dois repartir, et vite !

 Mes parents devaient être affligés de ma disparition si soudaine. Peut-être croyaient-ils que j’avais fugué à cause de cette révélation sur mes origines. La police devait probablement me chercher. Elle ne risque pas de me retrouver ici, ironisai-je. Je ne voulais pas les quitter de cette façon, sans rien pouvoir leur expliquer. Ce monde n’était pas le mien. Ma meilleur amie Chloé, ma famille, mes animaux allaient me manquer. Les paroles de Sijia résonnèrent en moi comme un glas : « Je ne supporterais pas un autre deuil. » Elle avait perdu son frère jumeau, et ne s’en était jamais vraiment remise. Hors de question de la faire souffrir !

Avorian me troubla dans ma réflexion :

– Je comprends. Mais il est temps pour toi de reprendre ta place… sur Orfianne.

– Vous ne pensez pas aux conséquences sur la vie de ma famille ! Cette situation est trop cruelle pour eux. Vous leur avez donné une fille, puis vous vous permettez de la reprendre du jour au lendemain. C’est inacceptable ! Vous devez me ramener sur Terre !

– Nous avons besoin de toi ici, plus que jamais. As-tu réellement envie de retourner sur Terre ? Tu ne t’y sens pas à ta place, je le sais. N’as-tu pas envie de découvrir un peu Orfianne ?

Avorian n’avait pas tort : toute cette mélancolie en moi, cette impression de ne pas être à ma place sur Terre… je pouvais enfin comprendre mes états émotionnels.

– Je ne vois pas en quoi vous auriez besoin de moi. Je veux retourner chez moi !

– Dans ce cas, je vais devoir te donner une potion qui te fera peu à peu oublier ton ancienne vie…

– Non ! Je ne suis pas d’accord ! Je veux garder mes souvenirs, il s’agit là de mon identité ! protestai-je, quelques larmes de désarrois me montant aux yeux.

– Nêryah, tu possèdes en toi une force que tu ne peux plus nier, qui ne demande qu’à s’exprimer. Ton âme est attachée à cette planète. Ce monde est le tien. Rester sur Terre est trop dangereux désormais.

Il essaie de me manipuler, pensai-je.

– Pourquoi est-ce si important ?

– Tu vas vite t’accoutumer à cette nouvelle vie, je serai là pour t’accompagner, et veiller sur toi. Je suis vraiment navré, mais il est préférable de te donner cette potion. Tu retrouveras vite la mémoire.

– Bien-sûr ! Tout est pour mon bien ! On m’abandonne sur Terre parce que c’est pour mon bien ! Puis on me reprend pour se servir de moi, car bien entendu, c’est aussi pour mon bien ! Allez, tant qu’à faire, je vais prendre la potion, puisque c’est pour mon bien ! JE-NE-LA-PRENDRAI-PAS-VOTRE-POTION !

– Nêryah, calme-toi. Ce n’est pas ce que tu crois…

– Non ! ripostai-je. Comment pourrais-je me calmer ?

Après l’enlèvement de Sèvenoir, c’en était trop. Je ne tenais plus. Toute cette nervosité accumulée ressortait maintenant, comme une bombe à retardement.

– Je n’essaie pas de te forcer, Nêryah, je veux simplement… t’aider.

– Si vous voulez m’aider, ramenez-moi sur Terre ! Chez moi !

– Ne t’inquiète pas, je ne vais pas te faire de mal. C’est juste pour quelques jours, le temps de t’habituer. Tout ira bien.

Je n’eus le temps de protester ou de me défendre, il posa sa main sur mon front, et je m’écroulai au sol.

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