Chapitre 13 : Renaissance

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  Je m’éveillai lentement, complètement sonnée. Avorian approcha un récipient en terre à mes lèvres.

– Pardonne-moi de le faire sans ton avis… mais… c’est effectivement pour ton bien, me souffla-t-il en soulevant mon buste pour me faire boire.

J’avalai la fameuse potion, trop étourdie pour pouvoir réfléchir.

– Qu’est-ce qui se passe ? dis-je d’une voix tremblante.

– Ne t’inquiète pas. Tu t’es évanouie, m’expliqua le mage. Écoute-moi bien. Tu es Nêryah, tu habites sur Orfianne et je suis ton ami. Tu as compris ?

– Oui, acquiesçai-je, hypnotisée.

Je me relevai, le regard dans le vague.

– Je vais t’apprendre à déclencher tes pouvoirs.

 Nous visitâmes le jardin fleuri d’Avorian. Je m’arrêtai devant d’étranges plantes formées d’une longue tige d’environ un mètre, surmontée d’une boule végétale blanche en son extrémité. Avorian m’informa que c’était une plante bioluminescente : la sphère s’illuminait la nuit, tel un lampadaire. On les cultivait généralement aux abords des chemins et des maisons. Avec cet éclairage naturel, pas besoin de réseaux électriques. Apparemment, il n’existait pas d'infrastructures énergétiques sur Orfianne.

« La nature nous comble », me confia-t-il.

 Je me sentais vide, un peu perdue. Je ne me souvenais pas de grand-chose. J’avais l’impression de vivre ici depuis seulement quelques jours, avec Avorian. Mes doutes se dissipaient peu à peu dans cette atmosphère féérique, propice à la méditation.

 J’avais tellement envie de me baigner dans les bassins naturels, puis m’allonger sur les rochers pour me sécher au soleil.

 J’avançai au centre du jardin pour contempler les arbres immenses, à ma gauche, tous d’essences différentes. Au fond du verger coulait un petit ruisseau, et, en remontant un peu plus haut, une cascade émergeait aux creux de rochers aux formes arrondies.

 On entendait de splendides chants d’oiseaux. J’orientai mon regard vers la cime des arbres, en découvris quelques-uns avec de longues plumes aux couleurs vives. Ils ressemblaient à l’Euplecte avec leur longue queue orangée. D’autres correspondaient en tout point au Quetzal, trogonidé mythique de la forêt tropicale, avec de longues plumes caudales vertes émeraudes, une petite huppe sur la tête, et le ventre rouge. Un autre s’envola : on aurait dit un Rollier d’Europe. Le ton bleu-ciel de sa poitrine et de sa couverture alaire s’harmonisait parfaitement au bout de ses ailes indigo.

 Le regard tourné vers le ciel, j’observais l’étrange planète beige nappée de blanc. Elle régnait maintenant loin du soleil d’Orfianne.

 Avorian commença son enseignement. Sous hypnose, j’écoutais docilement la leçon.

– La magie est un art qui demande centrage et précision. Nous travaillerons d’abord la posture, l’ancrage au sol, la respiration, pour bien ressentir l’énergie d’Orfianne. Créer un sort nécessite de capter son émanation, son fluide, qui « ensemence » notre corps, puis de transformer cette fabuleuse énergie en une nouvelle substance : la magie. Nous avons besoin pour cela de nos deux mains. Chacune de nos paumes possède une polarité propre. Un être vivant est engendré par l’union du yin et du yang, comme vous dites sur Terre ; la magie est conçue de la même façon. Elle ne peut pas naître de rien, ni d’une seule polarité. Tu comprends le principe ?

 J’acquiesçai en hochant la tête. Je n’avais donc pas intérêt à perdre l’une de mes mains. Sinon, plus de magie !

 Nous pratiquâmes une forme de méditation, debout, les jambes écartées et genoux légèrement pliés, avec des respirations et quelques mouvements des bras, pour faire le vide en soi. Au bout de quelques minutes, je commençais à percevoir les ondes de la planète Orfianne, la force de la nature couler en moi.

« Canaliser la puissance d’une planète puis la transformer en substance magique demande une grande maîtrise de soi. La concentration permet de dompter ce pouvoir illimité, d’éviter qu’il nous dévore de l’intérieur. Notre corps devient un catalyseur, cette pratique peut donc s’avérer extrêmement dangereuse. » ajouta Avorian, pendant que je m’entraînais.

– Maintenant, observe-bien.

 Il me montra une posture : la paume de la main droite tournée vers le ciel, à l’horizontal, et la main gauche placée à la verticale, comme pour pousser quelque chose. Un rayon lumineux sortit miraculeusement de ses paumes, sans le moindre effort ! Son pouvoir fusa à une vitesse incroyable, percuta un arbre, puis disparut. La cible n’eut aucun dommage. J’applaudis mon professeur de magie, la bouche grande ouverte, aussi admirative qu’impressionnée.

 Avorian m’apprit plusieurs positions et me fit répéter le tout inlassablement. Je devais les mémoriser parfaitement, jusqu’à ce que je parvienne à les reproduire sans réfléchir, pour que cela devienne instinctif dans une situation périlleuse.

 Parfois, les bras s’arrondissaient devant le buste afin que les deux paumes soient l’une au-dessus de l’autre, comme si l’on tenait un ballon imaginaire. Cette position permettait de créer une forme sphérique, de sortes de boules de lumière bleu-ciel. Elles avaient le pouvoir de perforer pratiquement toute matière. Je trouvais cela absolument barbare. Ce pouvoir servait-il à transpercer ses adversaires ? Ce monde était-il sans pitié ? Apparemment, oui.

 Je repris les exercices de respiration avant d’essayer. Lorsque je me sentis prête, « connectée » à ma planète, je me plaçai en position, rassemblai l’énergie accumulée dans mes paumes, tout en inspirant. J’exerçai une petite pression à l’aide de mes bras, mais rien ne se produisit. Et à vrai dire, j’en fus presque soulagée. Cela aurait été vraiment étrange, voire effrayant, de sentir quelque chose émerger de mon propre corps.

Je lançai un regard à Avorian, découragée. Il m’adressa un petit signe de tête pour je persévère et m’y attèle.

 Après quelques heures d’acharnement, je réussis enfin à créer quelque chose d’à peu près rond. Mais Avorian me démoralisait déjà avant que je ne crie victoire : « bien, c’était le plus facile, maintenant on va s’y mettre sérieusement ». Je devais maintenant lancer plusieurs sphères afin de m’habituer à cette nouvelle sensation et au fait d’engendrer une substance de mes propres mains. Je m’y employai avec assiduité. Quelle surprise de voir apparaître ces choses de moi, au prix d’une intense concentration !

 Avorian m’enseigna ensuite comment paralyser mes ennemis. Cette forme de magie captait non seulement l’énergie d’Orfianne, mais également une hormone produite dans notre propre corps, capable d’endormir : la mélatonine. Cela me fascina ! On utilisait ce pouvoir de différentes façons : soit en rayon pour frapper plusieurs ennemis à la fois, ou alors, on conservait la lumière dans ses paumes, dans le cas d’un combat rapproché, par exemple. Curieusement, on se servait de ce sort pour faciliter l’accouchement : il suffisait de poser ses mains sur le ventre de la mère, en invoquant le charme pour soulager la douleur, comme un antalgique.

 Je m’y exerçai. Cette fois, il ne sortait non pas une sphère de mes mains, mais un long rayon de lumière beige, s’élevant dans les airs, en direction de mes « ennemis » imaginaires. Il m’informa qu’avec ce pouvoir, mes adversaires ne pourraient plus bouger pendant un bon moment. Cette révélation me choqua. Je préférais de loin la version pacifique, pour le traitement des maux !

 Enfin, la dernière leçon de cette épuisante journée consista à construire un bouclier magique pour me protéger des coups. Aucun pouvoir – même les sphères – ne pouvait le transpercer. C’était bien là mon pouvoir favori : je préférais me défendre plutôt qu’attaquer.

Il fallait fournir un effort considérable. Au bout d’un long entraînement, je parvins à faire sortir de mes mains un minuscule petit bouclier sphérique de seulement quelques centimètres… tout à fait ridicule.

« Au moins, dis-je en riant, il pourra servir pour un lilliputien ! »

« Ou bien pour une fée », plaisanta Avorian, esquissant un sourire du coin des lèvres.

 Une heure plus tard, je créai enfin un beau bouclier. Une grande bulle transparente aux reflets multicolores jaillit de mes paumes, et m’entoura totalement. Pour tester sa solidité, Avorian lança quelques sphères bleutées en ma direction. Je me recroquevillai sur moi-même, effrayée. Aucune ne m’atteignit. Mon bouclier semblait incassable, malgré ma peur. Le mage m’informa qu’un jour, avec l’habitude et l’expérience, le bouclier se formerait de lui-même autour de moi, grâce à l’instinct de survie. Cette bulle magique se déplaçait automatiquement avec son porteur ; on pouvait ainsi se mouvoir sans l’abîmer, ni être gêné par elle.

 L’entraînement se termina dans la soirée.

 Avorian me rassura en me confiant que l’utilisation de mes pouvoirs deviendrait progressivement quelque chose de naturel, comme le fait de marcher ou de respirer. « Tu apprends vite ! me félicita-t-il. Tu es très endurante et musclée, tu tiens parfaitement les postures jambes pliées, bravo ! »

 Je m’habituais à ces nouvelles sensations plus rapidement que je ne l’aurais pensé. Mais je n’aimais pas du tout l’idée de devoir peut-être un jour blesser quelqu’un.

 Malgré les effets de la potion, ma personnalité ressortait encore. En temps normal, j’aurais fait quelques blagues en me comparant au Christ, mentionnant par exemple la multiplication des pains. Et cela m’aurait fait penser à Isabelle, ma chère voisine toujours en retard, jurant Dieu et tous ses Saints. Cette forme de magie n’avait rien en commun avec le fait de marcher sur l’eau, ou tout autre miracle que l’on pourrait lire dans la Bible, la Torah ou le Coran. Je trouvais qu’il était bien plus utile d’avoir la faculté de faire apparaître de la nourriture.

 Une fois rentrés à la maison par l’étrange ouverture invisible, Avorian me conduisit à ma chambre. Il me proposa de me laver et de me changer avant de dîner. Le soleil se couchait. Une boule de lumière jaune pâle, de la grosseur d’un ballon, éclairait la pièce, comme un petit astre, suspendue au milieu du plafond. Rien à voir avec une lampe. Cela ressemblait plutôt aux sphères de l’entrainement.

 Je m’approchai de la fenêtre ronde, sans vitre, touchai le vide. Les cercles concentriques se formèrent sous mes doigts. Cette fois, je ne sentis aucun courant d’air. Cette forme de magie isolait sans doute la maison, et devait probablement disparaître pour l’aérer selon les envies de ses habitants.

 J’observai ma chambre. La couleur jaune pâle des murs se mariait joliment au sol en bois vernis. Le mur du fond prenait la forme d’un arc de cercle, dessinant une courbe élégante. La salle de bain jouxtait l’entrée de la pièce. Une large baignoire en pierre grise trônait au fond. On aurait dit qu’elle avait été taillée directement dans un rocher, et posée là, sans finitions. J’imaginais son poids insoulevable. Peut-être Avorian l’avait-il emmenée par des moyens magiques ? Un autre récipient en pierre faisait office de lavabo. Je trouvai une serviette et des savons sur une petite étagère en bois. Comment remplir mon bain ? Je ne voyais aucun robinet. J’effleurai le rebord de la pierre et… magie ! L’eau se mit à jaillir miraculeusement du fond de la baignoire ! En quelques secondes seulement, un bon bain chaud s’offrait à moi, avec une température idéale, comme si cette maison devinait mes pensées ! J’en profitai un long moment – l’eau ne se refroidissait même pas !

 Une fois propre, je découvris une jolie robe bleue sur mon lit.

 Je retrouvai facilement le chemin jusqu’à la salle à manger, éclairée par la même boule lumineuse que dans ma chambre. Affamée et fourbue, je lorgnai les plats alléchants étalés sur la table. Nous dégustions les fruits et légumes Orfiannais. Certains ressemblaient tant par l’aspect que par leur goût au melon, à la carotte, ou encore à du concombre. Ce menu végétarien me convenait parfaitement.

 Lorsque je lui demandai comment la baignoire pouvait-elle se remplir toute seule d’eau chaude, Avorian m’expliqua qu’il s’agissait d’un puissant sort réalisé par les fées – oui, j’avais bien entendu, les fées ! – et qu’il était lui-même incapable de reproduire.

 Avorian poursuivis son enseignement pendant le repas, récapitulant les exercices de bases pour parvenir à s’unir à l’aura de la planète Orfianne : ancrage au sol, respiration, silence intérieur. Je partis me coucher comme si je vivais depuis toujours dans cette maison, sur… cette planète.

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