Chapitre 15 : Un endroit maudit

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  Je retombai brutalement sur un sol dur, froid. J’ouvris mes paupières et m’aperçus que je me trouvais… dans une église !

Qu’est-ce qui se passe encore ! râlai-je. Une église ? Sur une autre planète ? Ou bien suis-je rentrée sur Terre ?

 En relevant la tête, j’entendis une musique effrayante : un chant religieux déformé, presque éteint, venant de loin ; une complainte inquiétante fredonnée par des voix fantomatiques. Pourtant, j’étais bien seule. J’eus la désagréable impression d’être projetée dans un film d’horreur.

 Je me relevai avec peine, un peu sonnée, m’accrochant à une colonne de pierre pour m’y aider. Je vérifiai l’état de mon crâne en le tâtonnant. Pas de blessure, ni de bosse. Par contre, ma robe bleue s’était déchirée en bas, et j’avais mal à la jambe droite.

 Je me dirigeai vers l’habituel et logique emplacement de la porte. Horreur. Je ne découvris aucune sortie.

 En quête d’une issue, je slalomai les bancs en bois verni et les majestueux piliers en pierre, ornés de somptueuses frises. Il faisait très sombre. L’éclairage se composait de lustres dorés, la plupart éteints. Les vitraux aux couleurs chatoyantes constituaient la seule véritable source de lumière. Le plus grand attira mon attention : on y voyait une jeune femme ailée vêtue d’une toge blanche aux côtés d’un ange déchu. Ils se tenaient la main. Un halo flamboyant les entourait.

Le Yin et le Yang, visiblement opposés, mais complémentaires.

 À ma gauche, derrière les colonnes, j’aperçus quatre statues de taille humaine sculptées en pierre blanche. Je m’approchai. L’une d’elle représentait une sirène tenant un coquillage dans sa main ; la sculpture d’à côté, un lion ailé, tout comme celui que je venais de rencontrer ; la troisième effigie, une femme souriante avec des cheveux en feuilles, habillée de plantes et de fleurs. La dernière me déconcerta au point de me transformer en statue : je la fixais les yeux grands ouverts, figée. Et quelle ironie, elle me ressemblait ! On aurait vraiment dit mon propre portrait, comme si je me tenais face à un miroir. Ma réplique était accoutrée d’une magnifique robe blanche taillée à même la pierre. Pour seule différence, la couleur de ses cheveux, peints en bleu. Était-ce un membre de ma famille ? Ma mère biologique, ou une sœur ?

 Si c’était bien une femme de ma véritable lignée, cela signifiait que mon ancêtre devait certainement être connue sur Orfianne, au point de la présenter ainsi comme une sainte. Avorian ne m’en avait pas parlé !

 Je contemplai encore quelques instants la relique, le ventre noué, puis traversai l’allée centrale, entre les deux rangées de gradins. Cette sinistre mélopée devenait insupportable, il fallait que je parte. L’angoisse latente se propagea dans tout mon corps. J’en frissonnai d’effroi.

 Prise de vertiges, je décidai de chanter pour me réconforter, et surtout pour couvrir la ritournelle spectrale. J’entonnai alors un Kyrie d’une voix cristalline, parcourus le monument en fredonnant.

 Je m’arrêtai devant l’autel recouvert d’une nappe en soie blanche sur laquelle se reflétait la lueur des vitraux les plus proches. Un vieux livre poussiéreux était posé dessus. Je l’ouvris, constatai que l’écriture manuscrite ressemblait aux signes que j’avais observés sur les murs de la demeure de Sèvenoir. Cela confirme que je suis encore sur Orfianne, résonnai-je. Dans ce cas, comment se fait-il qu’une église se trouve ici, dans ce monde ? Jésus n’a quand même pas colonisé d’autres planètes, que je sache !

 En observant les arches se rejoignant en pointe au plafond, je compris que je me trouvais dans une église de type gothique – d’un point de vue Terrien, bien-sûr. Ce qui signifiait que les deux planètes étaient semblables au point de construire les mêmes types d’édifices. La résurrection du Christ se serait-elle faite sur Orfianne ? Cela me paraissait absurde. Il devait y avoir une autre explication. Puisqu’Avorian connaissait bien la Terre, peut-être les Orfiannais reproduisaient-ils les monuments Terriens qu’ils affectionnaient sur leur propre planète ?

 Je ne savais pas pourquoi, mais je me sentais observée. Je chantai alors un peu plus fort, clamant mon « Kyrie eleison » aux voix fantomatiques ici présentes. De toute manière, quelqu’un m’avait emmenée de force par transgèneur. Ne connaissant que deux Orfiannais, et au vu de cette mise en scène effrayante, je pouvais aisément deviner de qui il s’agissait.

 Je cheminais en psalmodiant mon air, malgré la douleur à ma jambe, longeant à présent chaque colonne. Je ne trouvais aucune sortie. Par ailleurs, même si je parvenais à quitter cet endroit, je devais sans doute me trouver bien loin du charmant jardin d’Avorian.

 Je pris conscience du piège qui se refermait sur moi. De nature claustrophobe, je commençais à paniquer, accélérant le pas.

Pourvu qu’Avorian s’aperçoive vite de mon absence ! m’inquiétai-je.

 Alors que je me dirigeais de nouveau vers l’autel, j’aperçus un escalier que je n’avais pas remarqué auparavant. Il descendait sous terre et menait sans doute à une crypte. J’empruntai les marches, non sans frémir dans le noir. Je distinguai une faible lueur en bas, diffusée par quelques bougies disposées en cercle sur une table en granit. La petite taille de la pièce me mis mal à l’aise.

 Soudain, je sentis une présence juste derrière moi. Je n’osais me retourner, totalement figée par la peur. Je répétais inlassablement ces mots, comme pour me protéger :

Kyrie elei…

 J’interrompis ma dernière syllabe, « son ». Littéralement stupéfiée, je retins mon souffle, la gorge serrée. La présence en question effleura délicatement mon épaule gauche et descendit subrepticement sa main le long de mon bras, frôlant ma peau de manière subtile. Cette fois, je me retournai subitement, la respiration haletante.

 Il n’y avait personne derrière moi. La sensation disparut. Effrayée, je remontai l’escalier en tremblant de plus belle. Aucun chant ne put sortir de ma gorge.

 Cet endroit me rendait folle. J’avais réellement perçu quelque chose sur mon bras, je n’avais pas rêvé. Était-ce les méfaits d’un esprit ? Apparemment, non : j’entendis des bruits de pas derrière moi. Une démarche lente, mesurée. Je pivotai doucement, l’angoisse au ventre. Devant moi, une ombre vêtue d’une longue cape noire. Il portait ce masque si reconnaissable, aux courbes gracieuses, comme un flot de larmes éternelles.

 Sèvenoir.

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