Chapitre 19 : Voyage vers la grotte

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  Le lendemain, nous repartîmes en compagnie de la jolie fée.

– Je pourrai vous accompagner jusqu’à la grotte, mais pas au-delà, nous expliqua-t-elle. Mon territoire s’étend jusqu’à la lisière de la forêt ; mon rôle est de la protéger.

– Merci de ta présence, elle nous sera d’une grande aide pour nous repérer dans ce vaste domaine, dit Avorian.

– Cette forêt est ma maison, je vais vous guider pour prendre le chemin le plus court et le plus sûr.

 Chemin faisant, Avorian m’enseigna les noms des principaux peuples d’Orfianne.

 Les Noyrociens résidaient dans les plaines. Leur corps ne fonctionnait pas comme nous : grâce à de longues antennes dorées s’étirant sur la tête, ils absorbaient l’énergie solaire qui constituait leur principale nourriture. Ainsi, ils n’avaient pas besoin de boire ; la lumière du soleil suffisait. Les Noyrociens souffraient donc des temps nuageux. Pour éviter ce désagrément, ils disposaient de réserves d’énergie solaire dans leurs demeures. Heureusement, ce peuple vivait dans un endroit très ensoleillé où il ne pleuvait presque jamais.

 Les Métharcasaps quant à eux possédaient des pouvoirs étonnants. Ces êtres immenses à la peau entre le gris et le bleu communiquaient uniquement par télépathie. Leur puissante magie sortait des trois cornes verticales qui prolongeaient leur crâne. D’après Avorian, leur allure aussi intrigante qu’impressionnante dissuadait tout ennemi de les attaquer. À cause de leur regard froid, on n’osait à peine leur adresser la parole. Certains membres de cette espèce s’étaient malheureusement tournés vers le mal tandis que d’autres restaient fidèles à leurs idéaux.

 Les Aqualiciens, comme le nom l’indique, appartenaient à une race aquatique. Ils vivaient la plupart du temps sous l’eau, se transformant alors en ondins et sirènes. Dès qu’ils revenaient sur la terre ferme, leur longue queue de poisson disparaissait pour laisser place à deux jambes. Avec leurs oreilles en écailles, ils pouvaient comprendre le langage des poissons, et des branchies leurs permettaient de respirer sous l’eau. En plus de tous ces attributs, ils disposaient aussi de poumons afin de respirer en dehors de l’eau. Avorian les estimaient comme les plus belles créatures d’Orfianne : admirer leur queue de poisson ondoyer sous l’eau relevait du spectacle ; leurs mains palmées, d’une peau argentée, miroitaient magnifiquement et semblaient danser au rythme des vagues. Les Aqualiciennes accrochaient à leur chevelure bleutée des coquillages et des perles de toutes les couleurs. J’imaginais déjà les sirènes en train de plonger dans l’océan, leur corps ondulant sous l’effet des flots, en osmose avec leur élément.

 Les Moroshiwas formaient le peuple de la forêt. À la place des cheveux leur poussaient sur la tête des feuilles vertes de toute espèce. La peau couleur vert pâle, ils se vêtaient généralement de plantes et de fleurs. Grâce à leurs yeux jaunes brillants comme de l’or, ils avaient la capacité de voir dans l’obscurité. Les Moroshiwas possédaient de grands pouvoirs de guérison et demeuraient souvent silencieux, sans doute parce qu’ils étaient télépathes. De nature discrète, ils apportaient volontiers leur aide aux autres. Ces créatures pouvaient d’ailleurs se rendre invisibles par on ne sait quelle magie mystérieuse.

 On qualifiait les Guéliades comme imprévisibles. Physiquement, ils ressemblaient beaucoup aux Enchanteurs avec leurs cheveux allant du bleu à l’auburn, tout comme les miens, et une peau couleur chair, à l’image des Terriens. On ne savait pas beaucoup de choses sur eux, ni l’endroit où ils vivaient. Peuple secret et taciturne, ils se mêlaient rarement aux autres races, ne prenant jamais part aux conflits. Leur magie aurait sans doute pu préserver une partie des Enchanteurs, m’apprit Avorian, le regard sombre. Mais ils n’étaient pas intervenus, malgré la gravité de la situation.

 Les Komacs vivaient dans les déserts. Ils ne détenaient pas de pouvoirs magiques mais maîtrisaient l’art de soigner par les plantes, les cristaux. Très hospitaliers, ils avaient rendus de nombreux services à chaque peuple. Leur peau mate et naturellement pailletée leur permettait de supporter les fortes chaleurs. Ils portaient généralement des tissus aux couleurs pourpres ou beige. Leur communauté se terrait dans d’immenses grottes souterraines pour pouvoir survivre à ces conditions inhospitalières.

 Avorian m’informa que toutes ces communautés parlaient l’Orfiannais, langue que j’avais apprise dans ma petite enfance et que je connaissais instinctivement. Toutefois, chaque peuple possédait son propre dialecte, comme j’avais pu le constater au village des fées par exemple.

 Lorsque je lui demandai si tout le monde se déplaçait à pieds sur Orfianne ou s’il existait des modes de transports, il m’expliqua une nouvelle fois combien les Orfiannais aimaient marcher. La magie les aidait à se téléporter d’un endroit à un autre en cas d’urgence. La notion d’écologie n’existait pas en tant que telle puisqu’il n’existait aucune forme de pollution ou de détérioration de la faune et de la flore. Les Orfiannais vivaient en harmonie avec leur planète. Hormis les sombres créatures qui nous menaçaient, Orfianne ressemblait à un véritable paradis. Son récit me fascinait, me donnant envie de rencontrer les différents peuples d’Orfianne.

– Et Sèvenoir, de quel peuple fait-il partie ? J’imagine qu’on peut le deviner en observant ses pouvoirs.

– C’est un Guéliade, assurément.

Cela signifie qu’il nous ressemble…, songeai-je.

 J’interrogeai ensuite Liana à propos de son rôle de gardienne de la forêt. Elle m’expliqua qu’elle devait veiller à ce qu’aucune créature des ombres ne pénètre dans le vaste domaine des fées. Garante de la bonne entente entre les peuples de la forêt, elle transmettait les informations importantes, coordonnait les échanges. Liana occupait donc une place centrale dans la forêt en assurant le lien entre tous les règnes. Je compris en cet instant combien les fées tenaient un rôle important dans l’équilibre de cette planète. Je les admirais.

 Cette discussion avait sérieusement fait passer le temps. L’après-midi déjà bien entamée, nous nous accordâmes une pause pour manger des fruits, nous délasser les jambes. Liana alla se poser sur la branche d’un arbre. Elle en grignota les bourgeons.

 Après un repos bien mérité, nous repartîmes au beau milieu de la forêt, poursuivant notre longue marche. Heureusement, les sujets de discussions ne tarissaient pas. Ce fut mon tour de parler du monde dans lequel j’avais toujours vécu.

– La planète Terre me semble tout de même très différente de ce monde-ci, avouai-je.

 J’expliquais alors à Avorian et à Liana les moyens de transports utilisés, comme les voitures, le système de vie d’un humain : c’est-à-dire travailler pour vivre ; élever ses enfants ; répéter les mêmes gestes continuellement. Je contais comment les hommes se laissaient contrôler sans le savoir. J’énonçais ensuite le nom des populations qui résidaient sur les différents continents. Avorian avait l’air de bien connaître les chinois ainsi que les indiens d’Amérique. Cela me surprit, mais je ne pus le questionner à ce sujet car il s’extasiait maintenant sur la merveilleuse culture indienne et japonaise. Liana semblait elle aussi s’intéresser au monde des humains. Par ailleurs, je lui appris que la plupart d’entre eux ne voyaient pas les fées et n’y croyaient même pas. La petite fée gloussa à cette idée ; cela lui semblait véritablement inconcevable. « Comment peut-on croire en notre espèce puisque nous existons ; nous sommes bien là, vivantes ! Les Terriens sont-ils aveugles ? », s’étonna-t-elle innocemment. « Oui, en quelque sorte… », lui répondis-je.

– Bien des Terriens préfèrent croire en ce qui les arrange, renchérit Avorian. Il y a bien longtemps, nos deux mondes étaient unis, comme tu le sais, et les Terriens connaissaient notre existence. La magie régnait. Malheureusement, ces temps-là sont révolus. Le matérialisme domine leur société. Au lieu de prendre conscience de leur véritable nature, les Terriens mettent leur planète en danger, oubliant qu’ils sont pourtant tous de la même race, de la même planète. Nous ne faisons pas autant de distinctions entre nos contrées ou entre nos peuples.

– Alors que nous, sur Terre, on se bat pour agrandir nos territoires. Les rares moments où l’humanité s’entraide et prend conscience de la dimension planétaire sont lors de drames ou de catastrophes naturelles. On a tous tendance à s’empêcher d’être heureux en rejetant la faute sur notre système de vie, mais on n’entreprend rien pour aller vers nous-mêmes, confiai-je. Comment pourrions-nous nous ouvrir aux autres puisque nous sommes déjà incapables de visiter nos propres profondeurs, notre partie sombre ?

– C’est pourtant en acceptant son ombre qu’un être vivant peut vraiment évoluer, révéla Liana.

– Je sais qu’un grand nombre d’humains ont choisi un autre chemin et ont conscience de tout cela, poursuivis-je. Mais j’ai le sentiment qu’une partie de l’humanité devient telle une gigantesque machine, un robot ; elle répète les mêmes erreurs chaque jour. La planète Terre doit subir notre pollution démesurée. Elle en souffre… mais les humains n’entendent pas l’éternelle complainte des arbres, ni le silence de l’eau. Ils ne distinguent pas non plus cette lueur au fond des yeux de chacun, cette lumière éternelle qui les sauvera. Ils se contentent de siphonner leur planète pour construire des objets inutiles, des machines, des murs gris qui rendent leur monde triste. C’est comme si, en réalité, on avait peur de vivre. On fuit l’amour car on ne s’en estime pas dignes. On joue aux créateurs en défiant la Vie, mais à la longue, notre monde risque de renaître de ses cendres, tel le phénix.

– C’est plus grave que tu ne le crois : les pensées négatives des Terriens perturbent aussi notre propre monde ! Car malgré cette déchéance, les deux planètes, elles, restent étroitement liées, me rappela Avorian. Les Terriens possèdent un immense pouvoir de la pensée et du Verbe. Ils pourraient s’en servir à bon escient, accomplir des miracles ! Le plus dangereux est le fait d’ignorer ce pouvoir. Ils ne se rendent absolument pas compte de ce qu’ils sont capables de faire.

 Les paroles d’Avorian me tourmentaient. Non seulement la Terre était dans une situation critique, mais en plus cette menace touchait également Orfianne. Comment sauver deux planètes ?


 Nous marchâmes ainsi en bavardant jusqu’à la tombée de la nuit. Nous nous arrêtâmes enfin pour faire un feu.

 Je me réchauffais auprès de la chaleur bienfaisante des flammes pendant que Liana voletait autour de nous. Les étoiles scintillaient dans le ciel ; Héliaka me rappelait chaque nuit que je me trouvais sur Orfianne, et non sur Terre.

– Pouvons-nous dormir tranquilles ? Pas besoin de tours de garde cette nuit ?

– Non, cette forêt est protégée par les fées et puis… nous avons un garde du corps hors pair, n’est-ce pas ? plaisanta Avorian en désignant Liana.

 La petite fée s’éclaffa.

– Ne t’inquiète pas, renchérit-elle. Je connais mon domaine par cœur et je pressens le danger.

 Liana se confectionna un lit de mousse dans un coquillage : nous devions nous trouver proche de la mer. Après dîner, je m’endormis à ses côtés. J’éprouvais une grande tendresse à l’égard de cette fée si radieuse. Nous formions un joyeux trio depuis son arrivée. Elle égayait véritablement nos journées de marche.


 À la lueur du jour, j’allai me baigner dans un ruisseau afin de faire un brin de toilette pendant qu’Avorian dégustait son petit déjeuner. L’eau était fraîche mais bienfaisante pour mes membres endoloris par ces longues journées de marche. Je me lavai les dents comme je pus : Liana pouffa de rire en me voyant faire avec la brosse à dent qu’Avorian m’avait donné. Visiblement, les fées en étaient dispensées. En même temps, elles ne mangeaient que des fleurs…

 Nous repartîmes peu de temps après. En début d’après-midi, nous sortîmes de la forêt ; la vaste étendue d’arbres laissant place au monde minéral. Nous progressâmes tout d’abord dans un désert de roches calcaires sculptées par les eaux. Puis, en fin de journée, le sable et les coquillages s’invitèrent dans ce paysage rocailleux. Au loin, j’aperçus une immense étendue d’eau ; les rayons du soleil produisaient à sa surface des milliers de cristaux. Avorian m’informa que nous avions atteint l’océan. Je courus en sa direction. Son eau évoluait du bleu clair au turquoise, nous offrant sa plus belle parure. J’observais les vagues festonnées d’écume blanche se briser sur le récif. Les coquillages luisaient sous les derniers rayons du soleil. La brise nous apportait les senteurs iodées de la mer. Je me demandais intérieurement quelles contrées pouvaient bien se trouver au-delà du somptueux paysage.

 Je ne pus m’empêcher d’ôter ma tenue en gardant mes sous-vêtements pour rejoindre les vagues. Je nageai ainsi un bon moment pendant qu’Avorian se trempait les pieds aux côtés de Liana. Puis, je m’approchai d’eux et marchai en leur compagnie. Liana et moi nous amusions à nous arroser. Elle riait aux éclats en me poursuivant et utilisait ses pouvoirs de fée pour projeter des jets d’eau. Je sautais pour esquiver ses attaques, essayant en vain de l’attraper, mais Liana se montrait bien plus vive que moi. Son habilité au vol me surprenait. Avorian observait notre petit jeu en souriant. Il alla récupérer mes vêtements ainsi que mon sac. J’avais secrètement le désir que ces instants de bonheurs puissent lui faire oublier un peu son passé.

 Contre toute attente, je me sentais revivre sur cette planète. Ces longues heures de marche dans des panoramas sublimes m’aidaient à trouver mon identité, à aller au plus profond de moi-même. Même si mes parents me manquaient, je me sentais curieusement à ma place ici.

 Nous rejoignîmes Avorian tout en continuant nos chamailleries. Puis, nous mîmes fin à nos jeux pour admirer le soleil couchant. Ses rayons coloraient le ciel en des nuances rose, parme, orange, et semblaient plonger dans l’océan, offrant à nos regards un festival de couleurs scintillantes. Liana prit soudainement un air sérieux.

– Mes chers amis, nos chemins se séparent ici. Je ne peux pas prendre le risque d’aller plus loin et laisser mon domaine à l’ennemi. La grotte est toute proche.

– Merci Liana de nous avoir guidés ! C’était merveilleux d’être en ta joyeuse compagnie, la remerciai-je. Tu vas me manquer.

– Toi aussi Kiarah. N’oublie pas de t’amuser. Cette planète est belle, profite de la nature, me recommanda Liana en effleurant délicatement ma main de ses petits doigts.

– Soit prudente Liana. Merci pour ton aide, lui dit Avorian.

 Notre petite fée s’éloignait déjà, emportant avec elle son halo bleu-vert lumineux. Avorian et moi nous installâmes sur la plage pour nous préparer à dormir. La lueur des étoiles miroitait dans la mer. Allongée sur le sable, le bruit des vagues m’aida à m’endormir et me berça dans mon sommeil.


 Le lendemain, après nos ablutions matinales, nous reprîmes la route. Pour atteindre la grotte, il fallait désormais s’éloigner de la mer, à mon grand regret. Le paysage rocailleux se transforma en véritables falaises, si bien qu’il fallait jouer des pieds et des mains pour traverser cette contrée minérale. Nous grimpions ainsi de rochers en rochers pendant plusieurs heures, nous égratignant les jambes à cause des pierres tranchantes. La présence bienveillante de Liana me manquait déjà.

 Après une dure journée d’escalade, nous nous accordâmes une pause.

 Le soleil déclinait, cédant ses beaux rayons orangés au crépuscule du soir. Je m’assis sur un rocher, Avorian me rejoignit.

– Je m’étais vite habituée à la présence de Liana. Je ressens comme un vide ! Sommes-nous encore loin de la grotte des feux sacrés ?

– Non, plus très loin.

– Vais-je réellement retrouver tous mes pouvoirs là-bas ?

– Disons, une partie de ta force, oui. La grotte va également t’aider à t’adapter aux vibrations de la planète Orfianne. C’est-à-dire en quelque sorte « t’accorder » aux notes, à l’harmonie de cette planète. Ton corps était modelé par les fréquences de la Terre, qui ne sont pas les mêmes. Cela deviendrait dangereux pour toi à la longue de rester ainsi.

 Je le regardai d’un air dubitatif. Je ne ressentais pourtant pas de réelle différence entre les fréquences de la Terre et celles d’Orfianne. Avorian me sourit puis ajouta :

– Tu sais bien, c’est surtout ce voyage qui te permet de t’habituer à notre monde, t’ouvrir à ton pouvoir. Mange et repose-toi maintenant.

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