Chapitre 25 : désolation

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 Je venais probablement de découvrir l’un de mes pouvoirs les plus puissants, dans un moment où tout semblait perdu. Seul mon instinct de survie pouvait déclencher une telle force ; ou bien peut-être la volonté de sauver Avorian. J’aurais préféré que ce soit grâce à la deuxième option, mais malheureusement, j’étais hors de moi, à proprement parler. Et ce n’était pas une bonne chose. Qu’importe, ces monstres avaient eu ce qu’ils méritaient. Cependant, je sentais que cette épreuve risquait d’avoir une forte répercussion sur mon intégrité.

 Mon regard se dirigea vers le corps inerte de mon ami. J’eus le sentiment qu’il était trop tard. Il ne bougeait plus, un flot de sang coulait de ses nombreuses plaies. Ses beaux yeux gris restaient clos.

 Je tremblai de fureur et d’horreur en m’approchant de lui.

 J’avais l’impression que l’intensité de mon regard aurait pu désarmer une armée de soldat. Comment en étions-nous arrivés là ? Toute cette énergie gaspillée pour de stupides bestioles affamées et sans doute contrôlées par une force supérieure qui avait ordonné la destruction de mon cher Avorian. Pour quelles raisons ? Et surtout, une magie invisible semblait l’avoir attaqué, en plus de ces monstres !

 J’arrachai avec rage des bouts de ma cape ­– celle qui me protégeait du soleil ou du froid – pour panser ses blessures, encore secouée de frissons d’effroi. Je ne pouvais même pas pleurer, je n’y parvenais pas. Je gardais le silence. Un silence pesant et morbide. D’ailleurs, c’était la mort elle-même qui m’entourait : je ne voyais que des cadavres autour de moi. Ceux des nombreux Glemsics ruisselant de sang, et… celui d’Avorian.

 Il restait pâle, froid, malgré mes appels. Son doux visage, aux traits si fins, semblait presque apaisé, indifférent à mes cris de détresse. Je caressai ses cheveux blancs, à présents dénoués à cause de l’ardeur de la bataille, et repoussai quelques mèches qui lui tombaient sur le front. Je me mordis les lèvres pour ne pas hurler. Je rattrapai de justesse mon bras gauche qui voulait reprendre mon couteau pour l’enfoncer cette fois dans mon propre cœur.

 Il fallait réagir, vite. Que faire ? Il ne respirait plus ! Je n’entendais même plus son cœur battre !

 Seule, dans les ténèbres de la nuit, je pensais que la meilleure solution était de mourir avec lui. Mais si Avorian se réveillait ?

Non… il ne se réveillera pas, c’est trop tard, il est mort.

 Puis, je me souvins de quelque chose qu’il m’avait confié : « tu possèdes aussi de grands pouvoirs de guérisons. » Mais je ne les avais encore jamais découverts ! Il ne m’avait même pas appris à les utiliser alors que c’était pour moi le pouvoir le plus utile et le plus beau dont je disposais. Au moins, cette faculté ne m’aurait pas transformée en monstre, en machine à tuer !

 Peu importe, le moment était venu pour moi d’essayer.

 Je mis instinctivement mes mains sur son front, comme si je savais guérir depuis toujours. Je ne pensais qu’à une seule chose : le sauver, le soigner. Je sentais qu’il fallait que je me détende complètement si je voulais laisser couler la vie entre mes doigts. Et j’avais raison : une lumière verte sortit de mes mains et se répandit sur tous ses membres. Au bout d’un moment, le sang cessa de couler, les plaies se refermèrent d’elles-mêmes sans laisser une seule cicatrice.

C’est incroyable ! J’ai réussi !

 Cette compétence pour le moins surprenante apporta une lueur d’espoir dans ce sombre tableau. Malheureusement, l’odeur infecte des cadavres des Glemsics me ramena à la réalité.

 Avorian ne bougeait pas. Ses paupières demeuraient closes.

 Je savais que la magie pouvait guérir les blessures les plus graves, mais qu’elle ne pouvait pas ressusciter les morts. C’est bien connu. Tous les contes en parlent. Si Avorian ne se réveillait pas, c’est qu’il était déjà mort. Son âme avait déjà dû quitter son corps.

 Trop tard.

 La colère laissa place à un autre sentiment tout aussi intense : la tristesse. Le désespoir m’envahit, mes yeux s’emplirent de larmes. Je venais enfin de lâcher cette dureté qui s’était subrepticement installée en moi depuis le combat.

 C’était fini.

 Cette fois, je pleurais à chaudes larmes au milieu de toutes les dépouilles sanguinolentes des Glemsics. J’avais beau serrer Avorian dans mes bras, son corps restait flasque, il ne répondait pas à mon appel. Son cœur refusait de battre, alors qu’il n’y a pas si longtemps, il battait encore pour moi…

– Noooon ! Nooooooooooooon ! Réveillez-vous ! Ils sont partis… c’est fini… fini ! Je vous interdis de mourir, vous m’entendez ? Je veux que vous viviez ! D’accord ? 

  Je secouais son corps un peu trop violemment je dois dire. Mais j’étais incapable de me contrôler. Avorian ne répondait pas, il ne m’entendait pas. Son âme devait déjà être loin dans les cieux, parmi les étoiles. Je venais de perdre mon seul ami sur cette fichue planète. Il ne me servait plus à rien de continuer à cheminer sur Orfianne désormais. Quelle injustice ! C’était le dernier de notre espèce !

– J’aurais dû me laisser tuer par ces monstres ! déplorai-je, inconsolable. Avorian ! Ne me laissez pas ! Je… je vous aime tant ! Sans vous, je ne suis plus rien ! Vous ne pouvez pas partir comme ça ! Pas à cause de ces stupides monstres, ça n’en vaut pas la peine ! Vous avez essuyé une bataille bien plus terrible par le passé. Tous étaient morts, sauf vous ! Comment est-ce possible ? Ce n’était pas encore votre heure, pas encore ! Vous ne deviez pas mourir maintenant ! Je veux revoir votre regard… Oh, mon Avorian…

 Justement, les créatures ne voulaient pas me tuer. Elles voulaient l’exterminer, lui, Avorian. Pourquoi ne m’avaient-elles pas abattue, alors que je les attaquais ? Avorian ne méritait pas de mourir ainsi, c’était insoutenable, intolérable, impossible !

– Je vous déteste ! tançai-je à l’adresse des Glemsics. Je vous hais ! Je vous détruirai tous ! Et j’anéantirai celui qui vous a commandé !

  Mon dieu, on aurait dit une réplique de Sèvenoir. J’étais en train de devenir comme lui. Je devinais en cet instant que lui aussi avait dû subir de lourdes pertes pour se comporter ainsi. Peut-être lors de la grande bataille ? Mais était-ce réellement Sèvenoir qui avait commandé à ces bêtes de tuer Avorian ? Après tout, il avait juré sa mort. Et j’allais le lui faire payer. Il pouvait me craindre à présent ! Je n’étais plus la jeune Kiarah naïve et innocente. Je découvrais en moi une puissance effrayante qui pouvait décimer un troupeau entier en une seconde.

Et je ne laisserai jamais Sèvenoir en paix.

 Je posai ma tête contre l’épaule d’Avorian et l’entourai de mes bras, pleurant de plus bel sur son corps inanimé.

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