Chapitre 27 : l’oasis

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 J’ouvris lentement les paupières. Tout d’abord, je crus rêver ou être au paradis, car je me trouvais au bord d’un petit étang, entouré de palmiers et surplombé d’une mer de sable. Une jeune femme à la beauté sublime se tenait à genoux auprès moi.

– Tu as de la chance que je t’aie trouvée, me dit-elle en m’enduisant le corps d’eau. Je vais te redresser pour te faire boire.

 Je bus avec délectation la gourde entière. Je reconnue ma bouteille, cette jeune femme s’était donc servie dans mon sac. Encore incapable de parler, je ne voyais pas distinctement ma sauveuse. Elle reprit :

– Tu es très astucieuse. Tu as vraiment tué tous ces Glemsics pour prendre leurs griffes et te frayer un chemin dans le désert jusqu’à ton ami ? C’est intelligent. En tout cas, c’est grâce à ton système que j’ai pu le retrouver.

Ouf. Avorian était donc là, quelque part, et peut-être en vie.

– M… merci, bredouillai-je d’une voix faible.

– Je m’appelle Kaya. Ton ami va bien, rassure-toi. Il dort pour le moment. Je l’ai réhydraté. Quelqu’un l’a soigné visiblement, c’est toi ?

– Euh… oui, ça a marché ?

– Oui.

 Je recouvrais ma vue et mes esprits petit à petit. Ce n’était donc pas un mirage. De splendides arbres exotiques encadraient cette oasis d’une eau bleuté et scintillante. J’avais très envie d’y plonger malgré mon état ; mais je restai interdite, hypnotisée par la beauté de la dénommée Kaya. Cette jeune femme aux yeux acajou et aux traits si délicats incarnait le mystère et la magnificence. Son regard de braise me bouleversait. De fins pointillés noirs épousaient la forme de ses yeux, renforçant ainsi leur lueur flamboyante. Les lignes brunâtres qui prolongeaient ses paupières jusqu’au niveau des tempes faisaient ressortir ses pommettes saillantes. Ses lèvres purpurines et charnues attestaient de sa douce sensualité. Son corps mince et élancé se mouvait avec grâce. Je remarquai que sa peau hâlée brillait étrangement ; en la regardant avec plus d’attention, je vis que la texture même de ses tissus se composait de paillettes dorées. Elle en avait principalement sur les bras et les jambes. Jamais je n’avais vu pareille splendeur ! Un charme troublant, fulgurant, doublé d’une perfection innée ! J’aurais pu la contempler ainsi des heures entières.

 Le bandeau qui ornait sa tête et retenait sa longue chevelure d’ébène lui donnait un petit air sauvage et espiègle. Le haut rouge brique qu’elle portait laissait apparaître la totalité de son ventre. Sa longue jupe vermeille se fendait sur un côté. Je découvris avec étonnement qu’elle n’avait pas de nombril à proprement parler, mais à la place, une sorte de petite spirale dorée qui ressemblait assez à un embryon.

– C’est extraordinaire ! Ton pouvoir de guérison dépasse notre médecine, je n’ai jamais rien vu de tel !

– Où est-il ? m’enquis-je, les idées à présent plus claires.

– Juste là, sous les palmiers. Mais laisse-le dormir, il doit encore se reposer.

– Je veux… juste aller le voir, lui tenir la main, insistai-je, les larmes aux yeux.

– Je vais t’aider à te relever, concéda Kaya.

 En me redressant, je me rendis compte que je ne portais même plus de cicatrices.

– Oh, vous m’avez complètement soignée ! Merci ! dis-je à l’attention de Kaya.

Elle pencha sa tête sur le côté, ses paupières un peu plissées, le sourire amusé :

– Il faut me dire « tu", me dit-elle d'un ton espiègle.

 Elle me regarda un instant d’un air malicieux, et cela lui donnait un charme fou. Nous avançâmes ensemble auprès du corps d’Avorian. Kaya passa un bras autour de moi pour me soutenir. Je réalisai que je tenais à peine sur mes jambes. Je me demandai bien comment elle avait pu toute seule nous traîner moi et Avorian jusqu’ici. Lorsque je lui fis part de cette observation, Kaya m’expliqua qu’elle était accompagnée d’un homme, et que l’oasis se trouvait en fait toute proche de l’endroit où je m’étais évanouie – ironie du sort ! –.

 La jeune femme me raconta qu’après m’avoir déposée ici, elle et son ami avaient remonté la piste jusqu’à Avorian grâce aux griffes des Glemsics, car cela les avait beaucoup intrigués. Puis, son compagnon était reparti pour prévenir le chef de leur tribu de notre présence. La belle m’informa que nous allions pouvoir séjourner là-bas le temps de nous reposer.

 Je m’assis à côté d’Avorian, pris doucement sa main dans la mienne, et m’adonnai à la contemplation de son visage endormi. Je sentis sa respiration et son pouls au niveau du poignet de sa main. Je poussai alors un soupir de soulagement. Une lourde tension s’évacuait enfin de mon corps.

– Tu vois, il va bien, me confirma Kaya en souriant.

 Elle alla remplir nos gourdes d’eau en prenant soin de m’en laisser une, et monta aux palmiers pour cueillir des fruits. Je la regardais faire, puis m’assoupis, posant mon buste contre le bras d’Avorian.

 Plus tard, quelque chose bougea sous moi et me réveilla. Je m’assis lentement et Avorian ouvrit doucement ses paupières.

– Avorian ! criai-je en le serrant fort contre moi. Vous êtes en vie ! Oh mon Avorian ! Vous m’avez tellement fait peur ! Oh…

Je me mis de nouveau à pleurer. Kaya nous observait du coin de l’œil, mais eut la délicatesse de nous laisser seuls. Elle poursuivait sa cueillette.

– Suis-je au paradis ? souffla-t-il surpris, d’une voix presque éteinte.

– Oh non ! Mon ami ! Vous êtes bel et bien dans le désert, avec moi ! Tous les Glemsics sont morts, je les ai tués. Cette jeune femme là-bas nous a sauvés ! Et… vous êtes vivant ! C’est incroyable ! C’est merveilleux ! Vous devez revenir de si loin !

– Oh, c’est une Komac…, haleta-t-il d’un ton très faible. Quelle chance avons-nous qu’elle nous ait trouvés ! Il n’existe qu’une seule tribu de Komacs dans ce désert, et je la cherchais ! Avant de partir pour ce long voyage, je les avais avertis de notre venue : ils nous attendaient. Cette… chose que je dois récupérer, c’est là-bas, dans leur village.

– Alors nous avons effectivement vraiment de la chance qu’ils nous retrouvent au bon endroit et surtout au bon moment.

– Cette jeune femme a été guidée par notre bonne étoile.

– Mon dieu, vous la trouvez bonne, notre étoile ? Avec tout ce que nous avons subi ?

– Oui… c’est toi ma bonne étoile, souffla Avorian en souriant, plongeant son regard gris dans le mien. Kiarah, j’ai entendu ta voix lorsque j’étais sur le point de mourir. Elle m’a appelée. Tu m’as sauvé… et tu as découvert ton pouvoir de guérison ! Ma chère petite Kiarah…

Ses yeux se refermèrent un instant d’épuisement.

– Avorian… tenez bon ! Je n’aurais jamais pu survivre dans ce monde sans vous. Buvez, lui conseillai-je en approchant ma gourde à ses lèvres.

 Il but une gorgée mais toussa et recracha l’eau. Je tapotai son dos puis recommençai à le faire boire tout doucement. Kaya nous apporta des fruits. Elle avait vraiment du tact et le sens du timing. J’essayai alors de lui en faire manger pour qu’il puisse reprendre quelques forces.

 Il se rendormit. J’allais me baigner en attendant en compagnie de la belle Kaya. Nous parlâmes peu. Kaya me confirma cependant que son peuple était au courant de notre venue, qu’ils connaissaient Avorian depuis longtemps. Je lui contai alors nos mésaventures dans le désert. Elle sembla surprise et en déduisit tout comme nous qu’une puissance supérieure tenait à ce que l’on n’en ressorte jamais.

 Plus tard, Avorian s’éveilla. À mon grand soulagement, son visage avait repris quelques couleurs, et son corps devenait de plus en plus chaud. Kaya prolongea sa baignade, une fois encore pour nous laisser seuls. Je la remerciai intérieurement de sa bienveillance.

– Comment vous sentez-vous ? demandai-je.

– Mieux. Beaucoup mieux. Grâce à ta magie.

– Eh bien, je n’allais quand même pas vous laisser ici en morceaux ! plaisantai-je, les larmes aux yeux. Je me suis tellement attachée à vous, je ne veux plus vous quitter. Oh ! Vous m’avez fait si peur ! J’ai cru que tout était fini. Je vous croyais invincible, imbattable ! Vous êtes pour moi un grand sage, c’est comme si vous étiez immortel à mes yeux.

 Je ne pus contenir quelques larmes.

– Allons, personne n’est invincible, me dit-il lui aussi au bord des larmes. Ce ne sont pas les Glemsics qui ont eu raison de moi, mais une force invisible. Et je n’arrive pas encore à savoir à qui elle appartient. Mais on s’en est sorti, c’est le principal. Tu as déployé un très grand pouvoir, j’ai vu ta lumière blanche avant de m’éteindre… tu n’es pourtant qu’à l’aube de ton apprentissage, mais tu vas tellement vite ! Tu découvres ta puissance toute seule.

– Merci… N’exagérons rien, j’ai juste eu l’instinct de me défendre, c’est normal, mais aussi… la volonté de tuer, c’est grave. Je les ai tous abattus, lançai-je, dépitée.

– Mais tu n’avais pas le choix ! me rassura Avorian d’une voix calme et chaleureuse. Si tu ne les avais pas tués, eux s’en seraient fait un plaisir. Au contraire, tu as choisi la solution la plus juste, et je t’en remercie, car sinon, je ne serais même pas là pour t’en parler ! Tu n’as pas tué ces Glemsics à proprement parler, car c’était de la légitime défense. Tu ne voulais pas les exterminer sans motif, tu voulais juste me sauver.

– C’est vrai, avouai-je. Mais je ne suis pas comme ça. Je déteste ce que j’ai fait, et j’ai peur de ce que je pourrais devenir...

 Je lui adressai un sourire timide, le regard perdu.

– Malgré ton enfance passée sur la Terre, tu maîtrises certaines techniques à la perfection. Mais il faudra que tu prennes l’habitude de te construire un bouclier, c’est l’essentiel !

– C’est vrai, j’ai le meilleur professeur qui soit au monde, alors je vais tâcher d’y penser. Avorian, pourquoi les Glemsics se sont-ils volontairement attaqués à vous seulement, comme s’ils étaient contrôlés ?

– Ils l’étaient, c’est évident. Ils n’agiraient pas de la sorte en temps normal, ils nous auraient déchiquetés tous les deux. Il faut croire que la personne qui les dirigeait et qui m’a étranglé à distance avec cette étrange magie m’en voulait beaucoup, ironisa Avorian, le sourire aux lèvres.

– Et cette personne savait pertinemment où nous nous rendions. C’est plus qu’inquiétant. Sèvenoir ? proposai-je. Pourquoi nous aurait-il attaqué que maintenant ? À moins qu’il venait tout juste de nous localiser…

– Je n’en sais rien. Si c’est le cas, il a sans doute désiré se débarrasser de moi afin de pouvoir te reprendre... et par la même occasion se venger ! Tant que je suis en vie, il ne pourra pas s’en prendre à toi.

– Mais s’il veut me tuer, il aurait très bien pu laisser ces créatures s’en charger ! Elles en sont parfaitement capables ! Je ne comprends pas son mode de fonctionnement… On ne doit pas être sur la même longueur d’onde, lui et moi.

– Je ne pense pas qu’il veuille te tuer. Il a besoin de toi pour quelque chose, de ton pouvoir. Enfin, ce ne sont que des suppositions.

 Kaya nous fit signe de la rejoindre dans l’eau.

– Nous devons bientôt partir. Rafraichissez-vous avant de reprendre la route. Le village est à quelques heures de marche, nous y serons à la tombée de la nuit.

 Après la baignade, nous garnîmes nos sacs des fruits juteux et reprîmes la route, guidés par la majestueuse Kaya. Le voyage fut silencieux afin d’économiser notre salive et d’avancer le plus vite possible. Malgré notre fatigue, nous progressions rapidement. Grâce à nos gourdes pleines, nos bouches conservaient leur humidité, ainsi nos corps souffraient moins de la déshydratation.

 Nos capes légères ondulaient au gré du vent. Celle de Kaya, de couleur pourpre, dansait sur le sable telle une flamme. La jeune Komac symbolisait en effet notre flambeau, notre espoir au milieu de ce désert sans vie.

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