Chapitre 28 : Les Komacs

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 Après plusieurs heures de marche dans un sable brûlant, nous atteignîmes une nouvelle oasis, un peu plus importante que la précédente. Nous avions mis plus de temps que prévu en raison de l’état d’Avorian, éprouvé par toutes nos mésaventures. La vision qui s’offrait à nous était tout simplement paradisiaque avec ces arbres ressemblants à des palmiers, la verdure, et quelques Komacs se baignant dans une eau limpide.

 Ces derniers s’aperçurent de notre présence et nous regardèrent d’un air surpris. J’en comptais une bonne vingtaine. Des hommes, des femmes, des enfants. Nous nous fixions ainsi pendant plusieurs minutes, sans bouger ni parler, intrigués de nous découvrir. Leurs visages harmonieux respiraient le calme et la bienveillance. Cette si douce expression se mariait à merveille avec le splendide couché de soleil. Le disque vermeil descendait au loin derrière les dunes ambrées. Le ciel teinté de couleurs roses, oranges, se reflétait magnifiquement dans l’eau de l’oasis. Nous vivions là un instant de grâce, en dehors du temps.

 Les Komacs portaient tous un bandeau de tissu bordeaux dans leurs cheveux d’ébène. Je contemplais leur peau matte, magnifiquement étincelante aux dernières lueurs du soir. Avorian m’expliqua que la présence naturelle de ces paillettes dans leur épiderme servait de protection contre les rayons du soleil.

 Les habitants du désert portaient de longs tissus beiges pour certains ou pourpres pour d’autres, formant une sorte de toge. Je m’approchai lentement et en observant plus attentivement, je découvris que de fins traits noirs prolongeaient leurs paupières au niveau des tempes, comme une sorte de maquillage.

 Kaya alla retrouver un jeune homme extrêmement beau, à quelques mètres de nous. Tout comme les autres membres de son peuple, il portait un bandeau rouge brique à l’orée de ses cheveux bruns mi-long. Après avoir échangé quelques mots avec notre sauveuse, le jeune homme avança vers moi. Nous nous dévisageâmes un long moment, puis il rompit le silence pour me parler d’une voix apaisante :

– Je m’appelle Isaac. Tu as eu de la chance que moi et Kaya nous trouvions dans le désert lorsque tu t’es évanouie. Les attaques des Glemsics sont redoutables. Soyez les bienvenus chez nous.

– Merci de nous avoir sauvés. Et merci d’avoir transporté mon ami.

 Ce dernier me rejoignit. Ses beaux yeux gris reflétaient la gratitude.

 Nous suivîmes Isaac et Kaya vers l’oasis. Avorian m’adressa un clin d’œil et un petit sourire malicieux, l’air de dire : « j’ai vu combien tu étais troublée par ce beau jeune homme ! ». Je lui lançai alors un regard indigné. Nous saluâmes respectueusement les Komacs.

Kaya s’arrêta devant un gros rocher aussi haut que moi. Elle plaça une main devant elle, d’autres firent de même. Le rocher bougea et s’ouvrit sur un escalier qui dévalait sous le sable… vers un monde dans la terre même.

– Je croyais que les Komacs n’avaient pas de pouvoirs, chuchotai-je à l’oreille d’Avorian.

– Ils n’en ont pas vraiment en effet. Ils utilisent la force d’une pierre magique.

 La jeune femme me prit la main, Isaac attrapa celle d’Avorian.

 Nous descendîmes tous ensemble les marches de terre et de sable en silence. Ce mouvement me fit atrocement mal au ventre. Avorian semblait lui aussi souffrir : nous n’étions pas encore remis de notre précédente bataille. Nos charmants hôtes le remarquèrent et nous soutinrent en plaçant un bras autour de nous. Je m’appuyais sur Kaya pour poursuivre la descente. Il faisait très sombre, mais des plantes et des champignons phosphorescents poussaient par endroit, éclairant légèrement l’allée. L’escalier se terminait là. Un chemin de pierre le remplaçait, toujours dans l’étroite galerie souterraine.

 Notre sauveuse nous guidait dans un dédale de couloirs, suivie par les autres Komacs. Nous marchions ainsi pendant une bonne demi-heure. J’avais du mal à tenir l’allure. Kaya le remarqua et m’adressa un sourire maternel.

 Nous arrivâmes enfin devant une porte en bois sculptée d’ornementations et de frises décoratives. Quelques lianes luminescentes poussaient de chaque côté de l’entrée, éclairants les enluminures. Au milieu de la porte, une gravure représentait deux êtres, l’un lumineux, l’autre sombre, tenant une pierre précieuse. Des stries qui symbolisaient des rayons de lumière jaillissaient de la pierre précieuse. Cette image me fit réfléchir sur l’ombre, la lumière, tout comme le yin et le yang, visiblement opposés mais malgré tout complémentaires.

 Isaac dû user des muscles de ses bras pour pousser les deux battants. La lourde porte s’ouvrit en grinçant. Nous entrâmes dans une grotte spacieuse d’environ cinquante mètres carrés. Plusieurs Komacs suspendirent leurs occupations pour nous regarder. Ils avaient tous la peau hâlée, des cheveux d’ébènes, et portaient des toges beiges ou vermeilles.

 Une grande fontaine trônait au milieu de la caverne, et cela m’intriguait particulièrement : je me demandais d’où pouvait provenir l’eau. Il devait sans doute y avoir une source souterraine. Des sculptures représentant fleurs et fées enjolivaient le réceptacle. Le bruit de l’écoulement de l’eau m’apaisait et me donnait encore plus envie de dormir. Excepté quelques tables et bancs en bois, les lieux semblaient vides. Cet équipement sommaire attestait des conditions difficiles dans lesquelles vivaient les Komacs.

 Kaya nous amena dans une petite alcôve jouxtant l’antre principal. De larges tapis et couvertures jonchaient le sol.

– Voici votre chambre, annonça-t-elle. J’espère que vous y vous sentirez bien.

Avorian et moi la remerciâmes en chœur.

– Vous pouvez vous lavez ici, continua Kaya en désignant une ouverture masquée par un tissu qui menait à une petite cavité. Reposez-vous bien.

Elle s’en alla.

– Les Komacs sont effectivement très hospitaliers, reconnus-je.

 Avorian acquiesça d’un signe de tête. Nous étions tous deux beaucoup trop épuisées pour pouvoir nous laver. Et heureusement, ma baignade dans la première oasis m’avait nettoyée de mon propre sang et de celui des Glemsics. Exténués, nous nous allongeâmes et nous endormîmes sans tarder.

 Je m’éveillai plus tard à cause de la faim. Avorian était déjà debout, propre, la mine revigorée. Nous retournâmes dans la salle principale. Des Komacs mangeaient les fruits et graines disposés sur la grande table.

 Un homme vêtu d’une toge beige, les yeux tous aussi noirs que ses cheveux bouclés, avança vers nous, le sourire aux lèvres.

– Bienvenue chez nous Avorian. Cela fait tellement longtemps !

– Mon cher Andromède, je suis si heureux de vous retrouver ! clama le désigné.

Avorian me chuchota qu’Andromède était le chef la tribu des Komacs.

– Je vous en prie, venez prendre votre repas. J’espère que votre séjour ici vous permettra de reprendre des forces pour continuer votre voyage dans Gothémia. Puisse notre pierre azurée vous protéger des rayons du soleil et des animaux sauvages.

 Sur ces mots, le chef s’installa et commença à manger.

 Kaya s’approcha de nous et nous plaça à table. Elle s’assit avec Isaac à nos côtés.

 La jeune femme m’approcha une assiette en bois remplie de fruits, puis me servit un verre d’eau. Je lui adressai un sourire bienveillant en gage de remerciement. Elle veillait sur moi comme une sœur, et pourvoyait au moindre de mes besoins.

– Combien de temps avons-nous dormi ? demandai-je.

– Une longue nuit, répondit Kaya.

– La dernière fois que vous êtes venus Avorian, Kaya et moi étions si jeune que nous ne nous rappelions même plus de votre visage ! raconta Isaac.

– Et pour cause ! Kaya devait avoir pas plus de deux ans, je me souviens à présent : ce beau regard acajou est tellement unique ! Je ne t’avais pas reconnue de loin, tu as tellement grandi ! lança Avorian à l’attention de Kaya. Et toi Isaac, tu avais environ quatre ans, c’est bien ça ?

– Oui, à peu près. Bon, je vais chercher mon frère, sinon il va encore rater le repas… je me demande bien ce qu’il fabrique !

Isaac avait à peine touché à son assiette lorsqu’il se leva promptement pour quitter la table.

– Isaac a un frère jumeau terriblement taquin, au caractère difficile, m’expliqua Kaya. Heureusement qu’Isaac est là pour veiller sur lui !

 Après le repas, Kaya me fit signe de la suivre. Pendant qu’elle m’entraîna à l’opposé de la grande porte, Avorian s’approcha de la fontaine pour s’entretenir avec le chef Andromède. J’entrai dans une toute petite cavité. On pouvait à peine y faire tenir cinq personnes. Mais malgré cela, cet endroit bien décoré respirait le sacré : je sentis une odeur d’encens et découvris un autel recouvert d’un voile blanc, avec d’innombrables coquillages posés dessus. Devant lui, une statue représentant une femme Komac, vêtue de rouge, tenait au creux de ses paumes une magnifique pierre précieuse céruléenne. Les bras tendus et relevés au niveau de son cœur, mains tournées vers le ciel, la réplique semblait vouloir offrir le joyau. De la taille d’une boule de cristal, celui-ci illuminait le plafond de ses délicats rayons azurs.

– Qu’est-ce que c’est ? demandai-je.

– Une pierre magique. Elle maintient l’équilibre de notre village et assure notre survie. Il existe plusieurs pierres de pouvoir sur Orfianne, chaque peuple en possède une. Elles sont très précieuses car elles nous protègent des menaces.

– Cette couleur rappelle l’océan… c’est grâce à cette pierre que l’eau coule dans la fontaine ?

– Tu as tout compris. Notre joyau repousse également les créatures du mal. Il faut que tu saches que les esprits de l’ombre la convoitent. Si un jour ils la trouvent, nous seront perdus. C’est justement l’une de ces pierres qu’Avorian est venu chercher ici, dans le désert de Gothémia. Lors de la bataille qui décima les Enchanteurs, Avorian, le seul survivant, déposa ici la Pierre de Vie des Enchanteurs. Il nous l’a confiée pour la préserver, car personne ne connaît l’emplacement de notre tribu. Nous sommes oubliés de tous : nous communiquons peu avec les autres Orfiannais.

– Dans ce cas, pourquoi Avorian tient-il à la récupérer que maintenant ?

– Je suppose parce que le roi Orion le demande.

 Orion, le roi du Royaume du Cristal, l’endroit où nous devions nous rendre, justement. Je comprenais à présent. Avorian devait passer par ce maudit désert pour en récupérer la pierre et la donner au roi.

– Et cette statue, qui représente-t-elle ?

– Elle symbolise le principe féminin. Notre Pierre de Vie nous protège et nous nourrit à l’image de la femme qui allaite et prend soin de son enfant.

 Avorian et moi retournâmes dans notre chambre pour nous reposer de nouveau. Nos corps commençaient à se relâcher, et nous accusions le coup de nos terribles combats.

– Encore une fois, je suis étonnée de la bienveillance de nos hôtes, remarquai-je.

– Oui. Andromède est un brave homme, très dévoué pour son peuple. Il m’a beaucoup aidé par le passé.

– Kaya m’a raconté que vous étiez venu déposer la pierre des Enchanteurs par le passé, et que vous deviez à présent la récupérer. Pourquoi ne pas m’en avoir parlé, Avorian ?

– Cette pierre est directement liée à un horrible souvenir. Tu es une Enchanteresse Kiarah. Rien qu’en te regardant, ton image me ramène à mon passé. Je suis désolée de ne pas réussir à être moi-même avec toi. Je te demande pardon. J’ai encore besoin de ta patience…

– Je comprends. Est-ce que les Komacs savent qui je suis ? Que je viens de la planète Terre ?

– Non.

– Tant mieux ! Ça nous évitera des ennuis. Bon, je vais enfin pouvoir me laver ! J’en rêvais depuis tellement longtemps !

 Je me dirigeai vers ce qu’on pourrait appeler une salle de bain. Au fond s’y trouvait un bassin naturel alimenté par une source souterraine. À mon grand soulagement, l’eau était limpide. Je remarquai plusieurs savons à coté du bassin, ainsi que des serviettes. Et surtout, je découvris un petit objet composé d’une fine branche avec au bout de celle-ci des poiles rigides.

– Oh ! Une brosse à dent ! laissai-je échapper, des larmes d’émotion dans les yeux.

– Tout va bien Kiarah ? entendis-je la voix d’Avorian dans la pièce d’à côté.

– Oh oui ! Tout va même très bien ! Je suis en train de me brosser les dents ! Vous vous rendez compte ? C’est merveilleux !

 En effet, ma brosse à dent actuelle était largement usagée. Et depuis que nous nous trouvions dans le désert, il était hors de question de gaspiller l’eau pour se laver les dents. Une épreuve terrible pour moi.

 Je m’empressai d’enlever mes vêtements pour enfin réaliser mon vœux le plus cher depuis ce long voyage : prendre un bain ! Je n’en pouvais plus de sentir ma peau collante à cause de la transpiration, souffrant de la chaleur du soleil.

 Après ce bain inespéré, je m’allongeai sur les tissus, humant le parfum frais du savon sur mes cheveux. Avorian et moi nous abandonnâmes une nouvelle fois dans les bras de Morphée.

De toute façon, puisque nous nous trouvions dans une grotte souterraine, je me doutais que le cycle diurne, nocturne influait peu sur notre rythme biologique.

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