Chapitre 33 : les embanores

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  Afin de permettre aux embanores de s’habituer à notre présence, nous commençâmes par marcher à côté d’eux, car ils avaient la réputation d’être sensibles, voire aussi émotifs que les chevaux. Une demi-heure plus tard, nous avions enfin la permission de monter sur leur dos. Kaya nous fit quand même quelques recommandations avant de se lancer.

– Bien qu’ils soient apprivoisés, les embanores ont un fort caractère et ont besoin de faire confiance à leur cavalier. Il faut y aller doucement. D’abord, présentez vos mains comme ceci. Et lorsque l’embanore vient la renifler, vous pouvez le caresser un peu et y aller. Regardez-bien.

 Kaya et les jumeaux présentèrent leurs mains aux trois montures qui baissèrent la tête instantanément puisqu’elles connaissaient bien nos amis – la quatrième portait toutes nos provisions. Kaya enserra alors l’animal dans ses bras avant de grimper sur son échine en un saut remarquable. Et là, je pris peur. Mon dieu, comment bondir à cette hauteur sans effrayer l’embanore ou même lui faire mal ? Mon amie descendit tout aussi gracieusement de sa monture puis nous fit signe d’avancer, mais je reculai, méfiante.

 Avorian se décida alors à bouger, je lui emboîtai le pas, un peu craintive à l’idée d’approcher ces immenses et imposantes créatures. Nos compagnons de route nous laissaient faire, le regard attentif. Avorian ralentit le pas, se courbant afin de ne pas paraître impressionnant – ce qui, face à ces créatures, était bien entendu impossible. Je m’efforçai de faire de même en tendant mon bras gauche devant moi afin que mon destrier puisse sentir ma main et mémoriser mon odeur. Bien que nous fussions désormais tout proches d’eux, les embanores ne bougèrent pas d’un pouce, comme s’ils continuaient à feindre notre présence. Avorian parvint à toucher l’un d’entre eux, mais celui-ci leva brusquement la tête en reculant, puis émit un son rauque, exprimant sans doute son mécontentement. Avorian trébucha en voulant fuir et manqua de tomber. Je le rattrapai de justesse, mais il se laissa glisser sur le sable. Malgré cela, Kaya et les jumeaux n’intervenaient toujours pas.

 Je me mis d’abord à genoux, puis me redressai légèrement pour avancer tout doucement à petits pas vers nos capricieuses montures. L’une d’entre elle me scruta de ses grands yeux gris, j’entrepris alors de soutenir son regard. Je tentai de me détendre le plus possible pour qu’elle ressente mon calme intérieur. Le contact semblait établi.

 Les deux autres embanores reculaient au fur et à mesure que je marchais, mais celui-ci restait là. Il se contentait de me regarder. Ma main toujours tendue vers lui, il baissa enfin la tête pour me lécher les doigts. Je ne pus réprimer un soupir de soulagement. Je le caressai lentement, tremblant un peu. Son pelage aussi auburn que mes cheveux était très doux, soyeux. Ses beaux yeux cendrés reflétaient une profonde sagesse. Je me levai progressivement sous les yeux ébahis d’Avorian qui demeurait assis dans le sable, la bouche entrouverte d’étonnement et d’admiration. Je touchai encore son poil si moelleux, reprenant confiance en moi, puis parcourus sa crinière beige et ses longues cornes torsadées. Il émit un adorable petit son joyeux. Un sentiment d’amour et de tendresse m’envahit. Enfin, comme pour couronner cette réussite, je posai ma joue contre la sienne. Un moment particulièrement attendrissant.

 Avorian se releva enfin, remis de son choque. Il avança timidement vers l’un des deux embanores restants, et parvint à s’en approcher. La créature du désert courba l’échine pour renifler sa main, comprenant qu’on ne lui ferait aucun mal en me voyant ainsi cajoler son ami.

– Eh bien Kiarah, on dirait bien que tu as un don avec les animaux, dit Ishaam, me gratifiant d’un beau sourire.

– Tu crois qu’on peut essayer de les monter maintenant ? lui demandai-je, peu convaincue.

– Mais oui, intervint Kaya, du moment que tu réussis à les approcher, c’est bon, tu as totalement gagné leur confiance.

– Les embanores sont assez faciles à apprivoiser, compléta Isaac de sa voix douce. Toujours loyaux, ils peuvent même te protéger en cas de danger.

– Des amis parfaits alors ! m’exclamai-je avec entrain.

 Mon animal broncha gentiment en guise de réponse, et tout le monde éclata de rire.

– Bien, il est temps de partir. Une longue route nous attend avant la prochaine oasis. Nous devrions l’atteindre demain.

 Sur ses mots, Kaya monta son embanore en une posture aussi gracieuse qu’aérienne. Ishaam se plaça derrière elle. Ils étaient vraiment adorables, serrés ainsi l’un contre l’autre sur leur noble destrier.

 Je rassurai ma monture qui sentait le départ imminent en lui chuchotant à l’oreille qu’elle retrouverait son troupeau après notre voyage. Isaac m’embrassa la joue et me fit gentiment la courte échelle afin que je puisse grimper plus facilement, puis vint se positionner derrière moi, ses mains enlaçant ma taille, tout comme son frère avec Kaya. Ce contact m’était très agréable.

 Je m’accrochai à la crinière de mon destrier. J’appréhendais un peu ce départ malgré la présence d’Isaac juste derrière moi. Avorian se débrouilla comme il put avec son embanore. Monter ainsi à cru se révélait loin d’être facile. Kaya sonna le départ et prit la tête de notre petite caravane. Le quatrième embanore, chargé de nos sacs, suivait docilement la meute.

 Les créatures s’élancèrent et prirent de l’allure. Mon cœur battait à tout rompre. Heureusement, l’assise s’avérait finalement très confortable grâce au pelage doux et épais de notre destrier. J’avais l’impression de me trouver sur un oreiller. De plus, Isaac faisant office de dossier, je ne risquais pas de tomber.

 Je me demandais malgré tout comment Kaya parvenait à se repérer dans le désert en plein jour, sans le positionnement des étoiles. Nos montures avançaient à une vitesse étonnante, si bien que mon ventre me picotait un peu, et le sable amortissait leurs sauts. Nous ne pouvions échanger un mot, trop occupés à nous agripper quelque part – Isaac me cramponnant au niveau des hanches, et moi aux cornes de notre embanore, les doigts serrés – pour ne pas chavirer à cause du sol instable.

 La cape d’Avorian tournoyait sous le vent, lui donnant fière allure. Les heures passaient, mais je ne me lassais pas de contempler nos merveilleux destriers se mouvoir avec tant de prestance, ni d’observer les tissus écarlates des Komacs danser au gré des rafales.


  Nous chevauchâmes ainsi la journée entière, nous arrêtant régulièrement pour reposer nos montures et nous réhydrater.

 Lorsque la nuit tomba, nous nous accordâmes une véritable pause. L’énorme moitié du soleil déclinait à l’horizon, laissant sur son sillage des traînées allant du rose à l’orange dans un ciel crépusculaire. Le sable était encore brûlant malgré l’air frais qui s’annonçait. Je craignais une nouvelle attaque de Glemsics. Cette nuit, ils reviendraient, sans doute, toujours en quête de gibier.

 Nous mangeâmes avec appétit quelques provisions en compagnie des embanores. Isaac se chargea de les nourrir. Il fallait se restreindre en eau, une denrée rare et précieuse dans le désert. Je n’obtins que quelques petites gorgées. Heureusement, les fruits aidaient à la réhydratation.

 Mon animal se coucha sur le sol, je m’assis contre lui. Il sembla apprécier ce geste d’affection. Isaac vint me rejoindre et m’enlaça. Notre petite équipe se reposait en silence.

– Devons-nous monter la garde pour nous protéger des Glemsics cette nuit ? demandai-je un peu plus tard aux autres.

– Non, ce n’est pas leur territoire, me rassura Ishaam.

– Je fais en sorte d’emprunter le chemin le plus sûr, renchérit Kaya.

 Elle prit une galette de céréale et croqua dedans. Ishaam installa le camp pour la nuit : de longs tissus étendus par terre en guise de lit, une toile retenue par deux bouts de bois faisant office de tente. Les Komacs se montraient merveilleusement organisés. Grâce à eux, la traversée du désert devenait presque plaisante.

– Vous savez ce qui serait parfait, Avorian ? lança Ishaam le sourire aux lèvres. Ce serait de profiter de votre feu magique.

 Avorian s’exécuta et produisit de ses mains un feu éternel qu’il déposa sur le sable. La nuit apportant la fraicheur, les flammes se révélaient loin d’être superflues. Nous discutions tous les cinq, observant les milliers d’étoiles. Nos embanores restaient couchés à nos côtés, nous offrant leur douce chaleur. Plus tard, je m’endormis dans les bras d’Isaac.

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