Chapitre 35 : confidences sous le ciel du désert

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  Après cette douce halte, nous reprîmes le voyage et galopâmes plusieurs jours durant, jusqu’à la tombée de la nuit, et parfois même sous les étoiles. Sur certains territoires, lorsque nous allions nous reposer, nous devions parfois nous relayer pour surveiller l’arrivée d’éventuels Glemsics. Après tout, puisque la journée nous ne marchions presque pas, nous pouvions nous permettre de rester éveillés. Par chance, les loups du désert ne venaient pas nous embêter. Leurs galeries devaient se trouver dans une autre zone du désert ; ou bien peut-être se souvenaient-ils de leur dernière bataille et du véritable génocide des leurs... par mes propres mains.

 Les soirées se faisaient désormais paisibles, et même distrayantes, car nous nous amusions vraiment bien tous les cinq. Je lisais la joie dans le regard d’Avorian et m’en réjouissais. Je réalisais qu’il retrouvait là une famille : il nous considérait tous les quatre comme ses enfants, prenant soin de nous. Cela me rendait tellement heureuse de le voir enfin s’épanouir. Loin d’être seulement des guides, la présence des Komacs était une véritable bénédiction dans notre voyage.

 Nous n’avions pas trouvé de plan d’eau depuis la dernière oasis. Nos embanores tenaient bons, mais nos vivres s’amenuisaient, si bien qu’il fallait se rationner.

 Le soleil commençait à décliner. Kaya décida de faire une halte pour passer la nuit. Je m’assis près de mon embanore, Avorian s’installa en face de moi. Nous partagions les derniers fruits séchés en discutant sous le ciel de ce paysage aussi immense que grandiose, avec pour seul point de repère les courbes des dunes dorés.

– Existe-t-il d’autres tribus Komacs sur Orfianne ? demandai-je aux autres.

– Très peu. La communauté la plus importante reste la nôtre, me répondit Isaac d’une voix amère.

– Les Komacs sont venus en aide aux Enchanteurs lors de la guerre, expliqua Avorian. Et ils ont malheureusement eux aussi frôlé l’extinction.

– Nous étions nombreux dans notre village, ce qui a permis notre survie. Mais nos confrères vivants dans les autres déserts d’Orfianne n’ont pas tous eu cette chance, raconta Ishaam.

 Je restai de marbre face à cette épouvantable révélation. Cette bataille avait non seulement exterminé notre race, les Enchanteurs, mais en plus décimé la majorité des Komacs. J’en ressenti un haut-le-cœur.

– D’autres peuples d’Orfianne ont-ils été autant impactés par ces combats ? demandai-je, affligée.

– À part les Komacs, non, répondit Avorian.

– Avorian, j’étais trop petite pour m’en souvenir, mais lorsque vous êtes venu la dernière fois au village, Isaac se souvient que vous étiez accompagné, raconta Kaya.

– Il me semble qu’il y avait une femme avec vous, et que vous étiez tous deux gravement blessés, expliqua Isaac.

Le regard d’Avorian s’assombrit. Il demeura silencieux. Mais Kaya voulait en savoir plus ; sa curiosité l’emporta.

– Qui était-elle ? A-t-elle survécu ?

– Non. Elle n’a pas survécu à ses blessures.

 En prononçant ces mots d’un ton grave, Avorian ne put réprimer quelques larmes. Tout le monde baissa la tête et s’adonna à la contemplation du sable.

– J’étais moi-même aux portes de la mort, et donc incapable d’utiliser mes pouvoirs de guérisons dans mon état, poursuivit Avorian après un long moment de silence. Je sais que vos familles ont fait tout ce qu’elles pouvaient pour nous sauver.

– Mais nous n’avons pas vos talents magiques, admit Kaya, la mine soucieuse.

– Nous avons utilisé notre savoir, nos plantes et nos onguents, continua Isaac. Je suis désolé, Avorian.

 Les étoiles scintillaient à présent. Ishaam prépara la tente et répartit les couvertures par terre. Les nuits se faisaient toujours aussi glaciales. Alors qu’un silence de fer s’abattit sur notre habituelle jovialité, Avorian murmura :

– C’était ma fille.

 Nous ne pouvions rien ajouter. Ni le consoler par des mots. Que pouvions-nous dire de plus, face à cela ? Lors de cette horrible bataille, Avorian avait perdu tous les siens… et surtout, sa fille. La chair de sa chair, sa descendance. Décimée, à jamais.

 Je compris enfin sa relation avec moi, ses réactions, sa peur de me perdre, sa volonté de me protéger par-dessus tout, quitte à m’emmener sur une autre planète afin que je puisse survivre, que l’on m’épargne.

 C’était donc ça.

 Je représentais le seul membre de son espèce. Avorian me considérait donc comme sa propre fille. Et il se battait pour moi. De toutes ses forces ! À la fois ma présence lui rappelait chaque jour ce drame terrible, et le consolait grâce à mon enthousiasme infaillible.

 Kaya et moi ne pûmes nous empêcher de le serrer dans nos bras, notre instinct maternel primant sur notre pudeur. Il se laissa aller et pleura à chaudes larmes. Le voir dans cet état me brisait le cœur. J’aurais tellement voulu pouvoir l’aider, l’apaiser, le consoler.

 Le reste de la soirée se prolongea dans cette ambiance morose. Tout le monde eu du mal à s’endormir, rongé par des pensées amères.

 Je me demandais si ce désert avait une fin. Cela faisait maintenant une bonne semaine que nous galopions depuis que nous avions quitté le village. La révélation d’Avorian avait semé une certaine lassitude en nous. Tout le monde se montrait délicat et aux petits soins avec lui, essayant de contrer notre maladresse. Kaya s’en voulait d’avoir abordé ce sujet. « Quelle idiote ! me confia-t-elle en aparté. J’aurais dû m’en douter ! Qu’est-ce qui m’a pris de poser cette question ! » Et je ne pouvais que compatir. Je manquais moi-même d’habilité avec Avorian.

 Les jours se ressemblaient de trop à mon goût, malgré cette agréable sensation de vitesse et la présence de nos amis qui égayaient nos journées. Et surtout, je souffrais du manque d’eau. Ma peau me semblait aussi foncée que celle des Komacs à présent.

On aurait beaucoup de mal à croire que je suis française, pensai-je, souriant intérieurement à cette idée. De toute façon, je n’étais même pas Terrienne.

 Je me rendais compte de la chance que nous avions eu jusqu’à maintenant depuis notre séjour chez les Komacs : pas de tempête de sable, ni d’ennemis à l’horizon.

 Le lendemain, nous atteignîmes enfin une nouvelle oasis. Alors que Kaya et les jumeaux dévalaient la dune à grande vitesse pour plonger dans le petit étang, je quittai mon embanore un instant pour aller me désaltérer et remplir ma gourde. Avorian fit de même puis alla cueillir les quelques fruits qui poussaient dans les arbres. Il y grimpa avec aise, ce qui me surprit pour son âge – bien qu’en réalité, j’ignorais son âge au final, et je n’osais le lui demander –, car il semblait encore très souple, fort et habile. Je l’aidai à nous réapprovisionner en nourriture. Nous prîmes ensuite un bon bain avec les Komacs. Enfin, nous partageâmes notre nourriture avec nos montures.

– Nous arrivons bientôt, nous prévint Kaya. Demain, si tout se passe bien.

– Oh non, il faut déjà les quitter ? se plaignit Ishaam.

– Je ne sais pas comment nous aurions fait sans vous. On serait sans doute mort de soif ou calcinés depuis longtemps, perdus au milieu des dunes, murmurai-je à nos précieux guides.

– Ce fut un plaisir de vous accompagner ! claironna joyeusement Kaya.

– Un grand merci pour votre aide, mes chers petits, dit Avorian.

 J’observai quelques larmes lui perler au coin des yeux. Nos trois Komacs se jetèrent sur Avorian pour le serrer de leur six bras.

– Oh ! Arrêtez… vous allez me faire pleurer moi aussi ! protestai-je au bord des larmes.

 La soirée fut silencieuse, l’atmosphère lourde due à la tristesse de devoir se quitter. Je m’endormis une dernière fois dans les bras de mon bien-aimé. Et nous échangeâmes de tendres baisers une bonne partie de la nuit.

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