Chapitre 36 : les adieux.

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  Le lendemain, nous étions incapables d’apprécier la beauté du levé du soleil sur ce petit brin de paradis. Nous n’avions pas envie de nous quitter. Je pris le temps de caresser longuement mon embanore et de le remercier de m’avoir portée – et supportée – tout ce temps. Nous chevauchâmes toute la matinée puis partageâmes un dernier déjeuner, tout aussi pesant et silencieux. Nous reprîmes ensuite la route des dunes de sable. Quatre heures plus tard, je compris que le désert touchait à sa fin en découvrant un sol plus dur, fait d’un mélange entre le sable et la terre. Kaya stoppa la caravane. Nous descendîmes de nos montures.

– Voilà, notre voyage touche à sa fin, prononça-t-elle d’une voix abattue en détachant chaque mot. Nous ne pouvons pas vous accompagner plus loin.

 Isaac me prit dans ses bras, me regarda longuement puis me confia :

– Kiarah, j’espère que tu reviendras vite. Tu portes en toi quelque chose de pur et de bienveillant. J’aimerais rester à tes côtés pour te protéger. Je fais la promesse de vous retrouver un jour, et de vous aider dans votre quête. Prenez bien soin de vous.

– Merci mon cher Isaac, fais attention à toi aussi. Tu vas vraiment me manquer, avouai-je le cœur lourd. J’aurais aimé passer plus de temps auprès de vous tous, apprendre à vous connaître…

– Cela se fera. J’en suis sûr.

 Il me serra une nouvelle fois contre lui puis recula. Ishaam vint me saluer.

– Reviens-nous vite, et entière surtout, belle déesse. Que ta divine beauté face fondre l’ennemi ! Tu as vraiment des yeux incroyables Kiarah. Je suis heureux de t’avoir rencontrée. Toi et Kaya, vous vous ressemblez.

– Merci Ishaam, occupe-toi bien de Kaya, je ne veux pas qu’il lui arrive malheur.

– Compte sur moi, ma douce. Tu n’as pas besoin de t’inquiéter là-dessus, je suis son fidèle et très dévoué guerrier ! Haha !

 Kaya arriva vers moi et me prit par les épaules.

– Oh Kiarah, tu vas tellement me manquer ! Nous sommes comme des sœurs, j’aimerais tant t’accompagner !

– J’aimerais vraiment moi aussi, mais Ishaam serait terriblement affligé de te voir partir ! la taquinai-je gentiment.

– Ah, ce sacré Ishaam…, renchérit Kaya.

– Merci pour tout ce que tu m’as donné Kaya, c’est très précieux pour moi. Tu es un incroyable guide. Et j’ai enfin vécu mes premiers moments de bonheur sur Orfianne, grâce à vous tous.

Les larmes aux yeux, je la serrai chaleureusement dans mes bras en lui demandant :

– Nous reverrons-nous ?

– Oui, j’en suis sûre Kiarah… Peut-être au Royaume du Cristal, qui sait ? Mes pensées t’accompagnent. Bonne chance ! Garde toujours espoir, et n’oublie pas que la vie est aussi faite pour se réjouir !

Isaac me dévorait du regard, ses yeux trahissaient sa tristesse.

– Merci à tous les trois, vous êtes exceptionnels, dit Avorian les yeux embués de larmes.

 Nous nous enserrâmes tous les cinq, mêlant nos corps et nos larmes.

 Puis, Kaya nous donna des provisions et remplit nos gourdes de l’eau du réservoir. Je caressai une dernière fois le doux pelage de chaque embanore, et il fut temps de se quitter. Je me retournai alors contre mon gré, les joues mouillées de larmes. J’entendis Kaya crier « reviens-nous vite ! » derrière moi. Je ne pus m’empêcher de sangloter tout en marchant. Avorian me prit la main et me considéra un instant d’un air attendri . Lui aussi paraissait triste de quitter nos amis.

  Avorian et moi marchâmes environ deux heures, et cela nous faisait tout drôle après avoir chevauché les embanores pendant plus d’une semaine. Le soir arrivant, nous nous assîmes pour apprécier ensemble le magnifique couché du soleil. Les derniers rayons semblaient caresser les dunes au lointain, tandis que les quelques nuages prenaient une teinte mauve. En un geste de tendresse, Avorian me prit par les épaules. Je me laissai tomber sur lui. Je me languissais déjà de nos chers Komacs. Notre séjour parmi eux m’avait transformée. Grâce à nos amis, je me sentais maintenant un peu plus à l’aise dans ce monde, comme si j’y avais toujours vécu. En réalité, j’appréciais cette nouvelle vie, il fallait bien l’admettre.

– Vous savez Avorian, après toutes ces épreuves, mais aussi tous ces moments de joie, je vous considère un peu comme un père…

 L’Enchanteur me regarda droit dans les yeux. Il semblait autant ému que surpris par ma remarque. Son visage se détendit lorsqu’il me confia :

– J’en suis touché ! Tu ferais une fille admirable.

Perdu dans la contemplation d’un ciel embelli par des teintes oniriques, Avorian semblait en méditation. Après un long moment de silence, il rouvrit les yeux et déclara :

– À chaque seconde s’écoule la vie, et l’Univers s’agrandit, c’est merveilleux.

 Je farfouillai dans mon sac de voyage et découvris qu’il y manquait un objet essentiel à ma survie. Je décidai de jouer la comédie pour faire sourire Avorian.

– Oh non… non ! Pas ça ! m’écriai-je.

– Mais que se passe-t-il ?

– Ce n’est pas possible ! Avorian, il s’est passé quelque chose de terrible !

– Mais quoi donc ?

– J’ai perdu ma brosse à dent ! Celle que Kaya m’avait donné. Ma vie est en péril…

– Tes dents oui ! me coupa Avorian en riant.

– Ce n’est pas drôle ! Je ne peux pas survivre sans brosse à dent, moi !

– Je t’en fabriquerai une autre, promis ! Dès que nous arriverons dans un endroit avec un minimum de bois.

 Je me jetai sur lui en guise de remerciement, puis m’endormis sur son épaule.

  Nous nous réveillâmes en même temps à l’aube, sans prononcer un mot. Le jour allait poindre. Nous admirâmes le lever du soleil. Quelques rayons rosés apparaissaient dans le ciel. Les couleurs se dessinaient progressivement, de façon artistique. Aux tons fuchsia s’ajoutaient maintenant quelques rayons orange. Ils coloraient les traits nuageux et s’étiraient pour inonder le ciel de la douce lumière du matin. Au loin, derrière nous, les dunes de sable scintillaient. On aurait dit une peinture tant les teintent célestes paraissaient irréelles. La planète-satellite Héliaka traçait son chemin, nous dévoilant son beau manteau aux couleurs d’automne nappé par endroit de traînées blanches, à l’image d’une brume mouvante. Et cela rendait l’astre d’autant plus mystérieux

 Un silence matinal apaisant régnait. J’aimais cette sérénité de l’aube, révélant une face cachée de la nature. J’aimais être là avant tous les autres, pour surprendre les premières lueurs du jour, et m’adonner à la contemplation de la nature qui offrait à chaque instant un véritable spectacle. J’adorais tant écouter cette quiétude reposante et presque intimidante, qui donnait envie de cesser de respirer ou de bouger pour mieux la percevoir. Qu’il était bon de sentir cet air pur, encore humide de la rosée de l’aurore, celui qui nous invite à s’éveiller, à sentir son corps tout entier entouré d’une énergie vivifiante. J’observais le demi-cercle orangé du soleil levant, ses rayons perçant et illuminant les dunes.

 Avorian me porta un regard empli d’amour et de gratitude. J’aurais pu aisément me perdre dans ses beaux yeux gris.

– Il faut continuer le voyage pendant que la chaleur est supportable, souffla celui-ci. Nous devons absolument trouver de l’eau.

 La gorge et la peau sèches, je souffrais de la soif, tout comme Avorian. Nous démarrâmes la marche sur un sol de terre craquelé par la sécheresse. Je ne voyais pas encore de verdure, et encore moins d’arbres, seulement deux ou trois brins d’herbes par-ci par-là. Puis, je remarquai avec plaisir de nouvelles variétés de plantes. Souvent sèches, ternes et courtes, mais elles parvenaient à pousser. Ce signe de vie m’encouragea. Au loin, aucun signe de la forêt. Ce paysage sans reliefs rendait notre marche monotone. La journée se passa ainsi, sans aucune surprise.

 Le soleil se couchait à présent. Le paysage ne changeait pas, hormis le nombre croissant de végétaux. Nous n’avions toujours pas trouvé d’eau. Il ne nous restait plus qu’une seule gourde pleine. J’adressai une prière au ciel pour qu’il pleuve.

– L’endroit me semble propice pour camper. On va pouvoir faire du feu, déclara Avorian.

– On ne risque rien avec les animaux sauvages ou les Glemsics ?

– Je ne pense pas, mais restons vigilants.

 Je ramassais avec lui les petits bouts de bois qui traînaient aux alentours. Nous les rassemblions en tas, puis Avorian lança une boule de feu. Nous avions également récolté quelques plantes comestibles. Il nous restait encore des fruits un peu flétris de la dernière oasis, des galettes de céréales, et des graines. Mais nous devions bien-sûr nous rationner en eau. Inutile de préciser combien je me sentais sale, collante avec tout ce sable collé sur ma peau et mes cheveux. Malgré tout, je m’endormis sans tarder auprès du feu, appuyée contre mon ami qui me tenait par la taille.

 Je me réveillai le matin dans la même position. Avorian dormait encore. Après notre petit-déjeuner – qui portait très bien son nom – composé de racines fraîchement arrachées, nous reprîmes le chemin fissuré par l’absence de pluie, la gorge et la langue sèches. Le soleil se levait juste, mais il valait mieux profiter de la fraîcheur matinale car la chaleur s’annonçait encore écrasante. Je maugréai en direction du ciel, déçue que ma prière ne soit pas exhaussée. Le sol se faisait cependant moins craquelé : un signe d’humidité. J’observais maintenant plus de verdure, et, à mon grand soulagement, l’air devenait plus frais.

– Avorian, je ne vous reconnais plus tellement vous avez bronzé ! dis-je en riant.

– Toi aussi, la couleur de ta peau fait maintenant davantage ressortir tes beaux yeux bleu-verts. Tu ressembles à une princesse du désert !

– Parfait ! Si j’ai tant changé, nos ennemis ne me retrouveront plus !

– Peut-être bien. En plus, j’ai l’impression que tu as un peu grandie depuis ton arrivée.

– Ah oui ? J’ai enfin quitté mes un mètre soixante trois ? J’aimerais vous croire, mais je pense que vos yeux sont abusés par le soleil, mon cher Avorian !

 Pendant plusieurs heures, nous continuâmes ainsi à nous taquiner gentiment pour rendre le trajet moins pénible.

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