Chapitre 37 : nouveau paysage

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  Le lendemain, nous trouvâmes enfin un point d’eau. Une bonne étoile veillait sur nous. J’en profitai pour prendre un bain et pour nettoyer mes vêtements. Pendant que le linge séchait, Avorian me montra comment aiguiser mon poignard, arme que j’avais utilisée contre les Glemsics. Je le plaçai ensuite comme à mon habitude derrière le foulard qui ornait ma taille.

 Après plusieurs jours de marche dans le même paysage, nous arrivâmes enfin devant une forêt aux arbres immenses qui semblaient toucher le ciel. On pouvait à peine distinguer la canopée. Nous avions une nouvelle fois survécu à la faim et à la soif, bravé les caprices de ces terres sauvages. L’eau se faisait moins rare, et les fruits plus nombreux. J’étais réellement étonnée du nombre de plantes comestibles. Curieusement, mon estomac s’habituait petit à petit aux restrictions alimentaires. Et à force de marcher, je devenais endurante et robuste. Cet entraînement draconien m’avait endurcie. Finalement, c’était surtout le manque d’hygiène qui me mettait terriblement mal à l’aise. Je me sentais sale, repoussante. Depuis notre séjour parmi les Komacs, je n’avais pas vraiment eu l’occasion de me laver correctement. Moi qui avais toujours été si exigeante en matière de ménage et de propreté ! Je désirais secrètement qu’une salle de bain apparaisse au milieu de nulle part. Je le souhaitais si fort que lors de notre voyage dans Gothémia, j’avais vu un jour une baignoire posée au milieu de nulle-part, sur une dune de sable. Évidemment, ce n’était qu’un mirage, et Avorian avait bien ri. De plus, la nuit, je rêvais souvent d’un bon bain et parfois même de la source chaude du village des fées. Et je me réveillai en criant « je veux une brosse à dent ! », complètement désespérée en retrouvant la dure réalité. Avorian sursautais, alors je lui rappelais sa promesse. « Oh ! Pardonne-moi, j’avais complètement oublié ! s’excusait-il. », et moi je lui répondais en boudant : « Eh bien pas moi ! ».

 Mais lorsque qu’Avorian me présenta la brosse à dent qu’il venait de fabriquer avec un bout de bois et des poils d’embanores qu’il avait récupérés, mon visage s’illumina et je le serrai dans mes bras.

– Vous êtes mon héros ! m’écriai-je.

– Ah, comme il en faut peu pour te combler…

 Nous entrâmes dans la forêt, le cœur léger et plein d’espoir. Bien qu’attristée d’avoir quitté nos amis Komacs, je me sentis soulagée de retrouver l’ombre des arbres, de quitter la fournaise du désert, les maux de tête et le manque d’eau – et d’avoir enfin une brosse à dent. Je me réjouis de cet air empli de parfums multiples, avec les diverses plantes qui nous entouraient, les chemins mystérieux serpentant entre les arbres géants, et ces doux chants d’oiseaux qui accompagnaient les visiteurs.

– Nous entrons dans la forêt de Lillubia, annonça Avorian.

 Mais contrairement à mes attentes, dès le premier pas au milieu des arbres, je me sentis étrangement mal. Comme s’il ne fallait surtout pas entrer ici, comme si un danger nous guettait. Cette impression me mit rapidement mal à l’aise ; je ralentis le pas, méfiante. Pourtant, la faune et la flore paraissaient bienveillantes et si belles en comparaison du désert sans vie que nous venions de traverser. Cette forêt cachait sûrement un secret. Et puis ce vent, semblable à un cri de fantôme, me donnait froid dans le dos. Je portai instinctivement ma main à ma ceinture, là où je cachais mon poignard ainsi que la fleur d’Arianna, que je portais toujours sur moi.

 Quelques oiseaux à la sombre parure croissaient. Ils ne chantaient pas gaiement pour nous accueillir, mais plutôt pour nous dire : « partez d’ici, vous n’avez rien à faire là ». J’entendais leurs lourds battements d’ailes au dessus de nos têtes. Je ne vis même pas les splendides papillons que j’avais découverts dans la forêt aux mille lueurs. Cet endroit était vraiment lugubre. Je regardais partout autour de moi, guettant de moindre signe de danger. Avorian sentit ma réticence.

– Je sens ce que tu éprouves… cette forêt n’est plus vraiment paisible ces derniers temps. Certaines plantes sont très dangereuses, si tu les approches, elles délivrent un poison mortel, me prévint Avorian. Marchons prudemment, nous ne sommes visiblement pas les bienvenus ici.

– Mais pourquoi ?

– Ce n’était pas comme ça avant. Mais depuis cette guerre, tout a changé.

 Nous avancions en évitant de marcher sur les plantes ; nous posions nos pieds uniquement sur les feuilles mortes ou bien sur la terre et l’herbe. Le bruissement des feuilles me rendait encore plus nerveuse. Je ne supportais pas cette atmosphère oppressante. Et comme pour accroître mon appréhension, la forêt devenait de plus en plus sombre tant le tronc des arbres se faisait épais et leurs branches fournies en un feuillage terne, de telle sorte qu’aucun rayon du soleil ne parvenait à percer la canopée. Chaque pas devint lourd et difficile.

 Avorian semblait lui aussi agité. Il redoutait quelque chose : regardant sans cesse autour de nous, ou parfois se retournant brusquement en arrière, comme si quelqu’un nous suivait. J’avais aussi cette curieuse impression. Je me sentais observée, mais je ne voyais pourtant personne aux alentours. Une voix criait désespérément dans ma tête : « fais demi-tour, tout de suite ! Va-t-en d’ici, c’est de la folie ! Stop ! Arrête ! ».

– Avorian, je ne suis pas rassurée du tout, partons ! J’ai l’impression que l’on nous prépare une embuscade, confiai-je apeurée.

– Je sais. Garde courage ! On a vécu pire. Je n’ai jamais apprécié cette forêt depuis les changements sur Orfianne. Elle est désormais redoutée de tous. Personne n’ose s’y aventurer, sauf en cas de force majeur, et on comprend pourquoi. Ici, tu ne risques pas de rencontrer de fées ou d’animaux bienveillants. Cet endroit est habité par les ténèbres, mais c’est malheureusement notre seul chemin.

– Je vois. Mais qui habite dans cette forêt ? Quel mal ? Celui engendré par les pensées négatives des humains ?

– Oui, elles se sont matérialisées en d’étranges créatures, et certaines se sont regroupées ici. Des êtres sombres au cœur déchiré, emplit de haine et de souffrance. Ils répandent la terreur, comme pour mieux exprimer leur désolation. Et même si ces créatures sont bien plus à plaindre que nous, mieux vaut ne pas les fréquenter ni essayer de les aider. Ceux qui ont tenté de le faire ne sont plus là pour en témoigner. Cet endroit est devenu leur refuge, loin de la lumière. Tout cela représente la souffrance humaine. La forêt a sombré dans le néant à présent. Il est trop tard.

 Un hurlement déchira le bruit de nos pas.

– Prépare-toi, nous allons probablement être attaqués, me prévint Avorian.

– Attaqués par quoi ?

– Je ne sais pas encore, mais ils semblent être nombreux. N’oublie pas, sers-toi de ton bouclier en priorité. La moindre coupure peut être empoisonnée. Et surtout… ne perds pas ton sang-froid.

– Chose difficile quand on ne sait pas à quoi s’attendre ! rétorquai-je.

 J’étais paniquée, cela faisait maintenant un moment que je n’avais pas utilisé mes pouvoirs. L’attaque imminente me figea sur place. Je tremblais d’effroi, impuissante face au danger qui approchait à grands pas.

– Oh non ! Ce sont des Métharcasaps ! se plaignit Avorian, désespéré.

– Des… des quoi ?

 Mais Avorian regardait devant lui. Et là, je me souvins de ce qu’il m’avait dit à leur sujet lorsque nous marchions dans la forêt aux mille lueurs, vers le village des fées : de redoutables créatures, la plupart vouées au mal, de terribles pouvoirs. Je découvris avec horreur cette véritable armée de Métharcasaps. Je les regardais se rapprocher irrémédiablement vers nous, l’air menaçants. Je restai immobile, pétrifiée de peur, la main plaquée contre ma bouche. Leur aspect si effrayant m’arracha un petit cri : leurs yeux couleur saphir, sans fond blanc, semblaient me fixer du regard, en une expression sinistre. Trois cornes droites d’environ quinze centimètres, dont celle du milieu un peu plus grande que les deux autres, se dressaient sur leur tête. Un étrange fil doré s’enroulait en spirale autour de celles-ci. La peau d’un ton bleu cobalt, leurs lèvres grises étaient minces, très fines. Ces créatures d’au moins deux mètres portaient une longue toge céruléenne avec de larges manches qui pendaient de chaque côté. L’allure digne, l’armée de monstres imposait déjà sa supériorité par cette attitude aussi froide que menaçante.

 Les Métharcasaps grouillaient de partout, émergeaient des arbres, des buissons. Ils ne portaient pas d’armes sur eux puisqu’ils utilisaient la magie pour combattre.

– Euh… Avorian, balbutiai-je, ce n’est pas pour vous contrarier, ni douter de vous ou bien même vous décourager, mais nous n’avons techniquement aucune chance. Nous ne sommes que deux, et eux, une cinquantaine !

– N’exagère pas.

– Non, pas de quoi s’inquiéter… Vous avez vu leurs cornes ? m’écriai-je affolée.

– Oui, je les ai bien vues, m’assura Avorian. N’oublie pas que leur pouvoir sort de leurs cornes justement. Protège-toi comme tu peux, et ensuite… on avisera.

– S’il y a une suite ! Ça m’étonnerait que l’on puisse rester en un seul morceau ! répliquai-je découragée.

– Allons, je t’en prie, ne sois pas si pessimiste !

– Non ? Mais bien sûr ! Tout va bien, tout va même très bien ! On ne s’est jamais si bien portés, d’ailleurs. On va juste mourir dans d’atroces souffrances, mais ce n’est pas grave, tout va bien !

 Avorian ne put contrer ma cinglante remarque ; les monstres, tout près de nous, se paraient déjà à l’attaque. Deux d’entre eux se jetèrent sur Avorian. Il se défendit avec sa magie et parvint à s’en défaire. Je fis de même lorsqu’ils s’approchèrent : je construisis un bouclier autour de moi pour me protéger puis décochai mes sphères, inlassablement. Ce pouvoir devenait naturel : à peine avais-je terminé de former une boule d’énergie dans mes mains qu’une autre sortait déjà de mes paumes. . Je ne voulais pas devenir une machine à tuer, mais je n’avais pas le choix. L’adrénaline et l’instinct de survie me poussaient à me défendre.

  Un Métharcasap percuta mon bouclier, qui le propulsa loin de moi. J’enchaînai alors avec célérité une combinaison de sphères et de rayons lumineux, mais cela ne suffisait pas. Je ne faisais que les repousser. Nos adversaires se montraient bien plus coriaces que les Glemsics. Leur magie sortait effectivement de leur corne : de fin rayon dorés heurtaient mon champ magnétique, mais celui-ci ne cédait pas, à mon grand soulagement.

 Même si Avorian et moi nous battions vaillamment, je savais que c’était peine perdue : on ne pouvait vaincre ces créatures au regard impassible. Jusqu’à maintenant, je n’avais éliminé aucun de mes adversaires ; ils se montraient doués pour éviter mes sphères. Je leur infligeais cependant de graves blessures. Le visage crispé par l’acharnement et la volonté de réussir, Avorian n’abandonnait pas.

 Mais pas le temps de réfléchir sur notre condition : mon bouclier venait de se briser. J’esquivai de justesse un faisceau mortel en plongeant sur le côté, bousculant l’un de mes ennemis par la même occasion. Je me relevai d’un bond et reforma de suite une protection autour de moi, réflexes acquis grâce à mes leçons d’escrime sur Terre .

 Soudain, plusieurs de nos ennemis focalisèrent leur offense sur mon bouclier. À cause de la de la puissance de cette attaque, celui-ci devint moins résistant, il céda sous l’impact des assauts répétés pour disparaître totalement. Je n’eus le temps d’en reconstruire un : profitant de ce moment de vulnérabilité, un Métharcasap agrippa sauvagement mon bras et me gifla si fort que je manquai de tomber. Je ne perdis pas un instant, de ma main libre, je pris mon poignard caché à ma ceinture et transperçai sa jambe. Le Métharcasap hurla puis me relâcha, mais trois autres m’attrapèrent pour m’immobiliser, m’obligeant à desserrer ma lame qui m’échappa des doigts. J’étais désarmée. Je me défendis comme je pus avec mes pieds et en essayant de les mordre, ne pouvant plus utiliser mes pouvoirs puisque mes mains étaient désormais derrière le dos, maintenues par nos assaillants. Je parvins malgré tout à créer un petit rayon qui brûla leurs bras. Mais ils revinrent à la charge pour m’empêcher de bouger et me serrèrent cette fois si fort que j’en eus les larmes aux yeux. Je pouvais à peine respirer. J’étais bloquée, incapable de faire le moindre mouvement. On me tenait par les cheveux, les bras, les jambes, et même par la taille. Avorian était lui aussi submergé par nos ennemis. Il me lançait des regards affolés entre deux ripostes, impuissant.

 Un Métharcasap se plaça face à moi, m’écorcha l’épaule avec ses cornes. Il me toisa de son regard saphir, un sourire sadique se dessinant sur ses lèvres. Je me préparais au pire. Je pris une profonde inspiration et tentai vainement de me débattre, mais impossible de me libérer de cette étreinte mortelle : les trois créatures m’écartelaient les bras à présent, faisant craquer mes articulations. Avorian essayait de se frayer un passage jusqu’à moi, mais trop tard : le Métharcasap qui me dévisageais d’un air vicieux passa à l’action. Je vis une étincelle dorée perler au niveau de sa corne du milieu, se transformant en un jais de lumière. Le rayon se dirigeait inéluctablement vers moi pour perforer mon ventre en son centre, ouvrant une longue estafilade sanglante.

 Mon hurlement strident déchira les bruits du combat. Je m’affalai sur mes assaillants qui me relâchèrent, un flot de sang coulait sur mes jambes. Gravement blessée et incapable de bouger, je m’abandonnais à cette douleur lancinante, promesse d’une lente agonie qui me donnait envie de m’achever. C’était insoutenable, je n’arrivais presque plus à respirer. Ma vue se brouillait, le sang continuait à ruisseler abondamment par terre. Igorant si un organe vital était touché, je plaçai malgré tout dans un dernier moment de lucidité une main derrière mon dos, pour essayer de sentir si le rayon m’avait percée de part en part. Pas de plaie dans mon dos. Un point positif.

Vite ! Meurs ! Pourquoi cela prend-il autant de temps ? Je veux mourir !

 Mais non, mon corps refusait de mourir immédiatement, il préférait me donner encore un peu plus de cette souffrance inimaginable. Avec une telle blessure, j’allais quitter ce monde d’un moment à l’autre. Les battements de mon cœur ralentirent, si bien que je ne parvenais même plus à penser.

 Les yeux mi-clos, je distinguais Avorian se battre dignement, tentant vainement de forcer le passage pour me rejoindre, me guérir. Mais c’était trop tard… je commençais à ne plus rien entendre, à ne plus rien voir.

 Il y avait juste cette voix que j’aimais tant qui criait :

 « Non ! Non ! Kiarah ! Pas ça ! Non ! AAAAAAAAAH !

 Il pleurait.

 Pour moi, c’était fini.

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