Chapitre 40 : Un nouveau compagnon de route.

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 Nous nous retrouvâmes dans la forêt de Lillubia, reconnaissable à la hauteur époustouflante de ses arbres. Arianna n’était plus là. Je tenais encore la fleur entre mes mains, puis la remis contre ma hanche, encore troublée par cet événement surnaturel. La fée nous avait rendus nos sacs. Avorian vérifia machinalement que toutes nos affaires étaient bien là, l’air angoissé, puis posa une main contre son cœur, pour y sentir notre Pierre de Vie. Le sort de notre sauveuse s’avérait efficace : nous avions tout récupéré. Même ma précieuse brosse à dent.

Merci, Arianna.

– C’est extraordinaire ! s’écria joyeusement Orialis. Grâce à vous, je suis enfin libre ! Je n’y croyais plus, merci !

 Je pus enfin admirer la beauté d’Orialis grâce à la lumière du jour filtrant à travers la canopée. Sa chevelure était d’un vert éclatant, et sa peau teintée de jade donnait l’impression que de la chlorophylle circulait en elle.

– Il ne faut jamais désespérer, déclara Avorian d’un ton prophétique.

– Arianna est déjà partie, nous n’avons même pas pu la remercier, déplorai-je.

– Elle doit être en double mission. Les temps sont durs…, commenta Avorian. Je ne pense pas qu’il soit prudent que tu repartes seule dans ton royaume, Orialis.

– Non, il ne vaut mieux pas en effet. Et puis, maintenant que je ne suis plus leur prisonnière, les Métharcasaps ne pourront pas m’échanger avec la Pierre ; tout danger est écarté. J’ai une dette envers vous maintenant. C’est à mon tour de vous rendre service. Vous vous rendez au Royaume du Cristal, moi aussi, alors faisons route ensemble.

– Tu t’y rends sans la Pierre ? demandai-je, perplexe.

– J’ai confiance en mes acolytes. Ils me rejoindront là-bas avec notre joyau.

– De toute façon, hors de question que tu circules seule dans cette forêt sans escorte. On te garde avec nous ! lançai-je ironiquement.

 Je recouvrais enfin mes forces et commençais à émerger.

– Parfait, nous sommes à présent trois. Je suis heureux que tu restes Orialis, l’accueillit Avorian.

– Merci ! Je vais être un atout pour cette partie là du voyage, car je connais très bien la forêt de Lillubia. Autrefois, lorsqu’elle n’était pas encore habitée par l’ombre, cette forêt resplendissait. Même si elle faisait partie d’un autre royaume que le nôtre, mon peuple y célébrait des rites en l’honneur de la nature, raconta la Noyrocienne. J’ai donc l’honneur de vous servir de guide ! On se rend directement au Royaume du Cristal alors ?

– Oui, confirma Avorian.

– Bien, pour se rendre là-bas, la route est dangereuse.

– Oh, après tout ce que nous avons vécu, le danger nous est quotidien, assurai-je. Pas vrai Avorian ? Que pourrait-il nous arriver de pire ?

  Phrase que j’avais bien souvent prononcée pendant notre voyage. Et à chaque fois, je parlais trop vite. Mais là, c'était purement ironique. Après toute cette tension, même s’il n’y avait absolument rien de drôle là-dedans, nous nous mîmes à rire nerveusement, comme pour évacuer le choc que nous venions de subir. Et je dois admettre que ce n’était pas très joli à entendre ; on aurait plutôt dit des gloussements hystériques.

 Je n’avais pas remarqué dans notre sombre cachot que ma tunique était maculée de mon propre sang. Je demandai aux autres de m’attendre le temps de changer mes vêtements. J’optai pour un pantalon souple en toile de lin marron avec un haut beige. Au prochain point d’eau, il faudra que je nettoie tout ça et raccommode le tissu à l’endroit de l’impact, pensai-je.

 Nous reprîmes le chemin en suivant Orialis. Elle paraissait sûre d’elle, empruntait des chemins étroits et sinueux. Notre guide s’arrêta un instant, à l’un des rares endroits où les rayons du soleil perçaient à travers la cime des arbres, et ses antennes dorées se mirent soudainement à scintiller, comme si elles s’imprégnaient du soleil.

– Que fait-elle ? soufflai-je à Avorian alors qu’Orialis se trouvait un peu plus loin.

– Elle se nourrit du soleil. C’est vital pour les Noyrociens. Et j’imagine que dans ce sombre cachot, ses réserves se sont épuisées. Orialis doit être incroyablement robuste et courageuse pour avoir survécu. Tout comme toi, ma petite Kiarah.

 Quelques larmes coulaient sur ses joues en prononçant ces mots. Avorian me prit chaleureusement dans ces bras.

– J’ai… j’ai tellement eu peur de te perdre Kiarah ! reprit-il. Je n’aurais pu le supporter ! J’ai déjà tout perdu. Et toi… tu es la dernière…

 Il s’arrêta, quittant notre étreinte pour porter une main à sa bouche, l’air complètement choqué. Et je le comprenais. Perdre un membre de plus de son peuple représentait la pire des choses pour lui, et c’était sans doute aussi sa plus grande peur. Il devait se sentir tellement impuissant face à ce drame.

– Mais grâce à vous, je suis en vie ! Et je vais bien.

– Comme vous êtes adorables ! On dirait un père avec sa fille ! nous dit Orialis d’un air attendri en revenant vers nous. Vous êtes de la même famille ?

– Non mais… c’est un peu ça, tu as raison ! lui répondis-je.

 En réalité, je savais que cette remarque pouvait autant émouvoir qu’attrister Avorian. Sa révélation dans le désert m’affectait profondément. Je représentais sa fille spirituelle en quelque sorte, et comblais peut-être ainsi une petite place dans son cœur meurtri. Je pouvais nettement ressentir en lui cette peur d’être à nouveau seul, et aussi l’insoutenable culpabilité qui pesait sur ses épaules.

– J’imagine que vous faites partie des Guéliades, vous semblez ignorer tant de choses !

 Nous nous regardâmes d’un air gêné en la laissant dire. Lors de notre voyage vers la grotte, Avorian m’avait expliqué que physiquement parlant, les Enchanteurs ressemblaient beaucoup aux Guéliades. Nous pouvions en effet facilement nous faire passer pour eux : une parfaite couverture en ces temps incertains . Mais notre nouvelle amie méritait-elle toutes ces cachoteries ? Pourquoi cette méfiance de la part d’Avorian ?

 Orialis, notre guide bienveillant, marchait devant nous. Mon père de cœur me tenait doucement la main. Le silence et la couleur terne des plantes me rendaient morose. Mais notre rencontre avec Orialis compensait largement le sinistre paysage.

– Orialis, ton escorte ne va-t-elle s’inquiéter si tu ne rentres pas ? Car dans le cas où le garde est parvenu à revenir chez vous, les tiens vont penser que tu es toujours capturée, réalisai-je, troublant le silence.

– Rassure-toi, je vais leur envoyer une fée dès que j’en trouverai une pour les prévenir.

Je fus surprise d’apprendre que les fées pouvaient aussi servir de pigeon voyageur.

– Mais je croyais qu’on ne trouvait pas de fées dans cette forêt, me rappelai-je.

– Nous allons devoir quitter cet endroit et espérer que la chance soit avec nous, répondit sagement Orialis.

– Savez-vous qui commande les Métharcasaps ? demandai-je en m’adressant aux deux autres.

– Justement, je me pose des questions à ce sujet, confia Avorian en lâchant soudainement ma main, comme si ses réflexions intérieures prenaient le dessus. Ce n’est probablement pas Sèvenoir puisqu’il agit toujours seul, et qu’il t’a sauvée, d’une certaine manière.

– Quoi ? Ce serait quelqu’un d’autre ? Alors il y a d’autres méchants sur cette planète ? maugréai-je d’un air boudeur.

– Franchement, je n’en ai aucune idée, confia Orialis, l’air détaché. Qui est Sèvenoir ? Ce nom me dit quelque chose.

– Justement, on ne connait pas son identité puisqu’il dissimule toujours son visage ! me plaignis-je. En plus, il me semble bipolaire, ses intentions ne sont pas claires : un coup il veut me faire du mal, et le lendemain me sauver ! Je n’y comprends rien.

– Drôle de personnage en effet ! commenta la Noyrocienne.

 Elle donnait l’impression d’avoir déjà totalement oublié son séjour au cachot. Mais soudain, elle s’arrêta net, et son expression changea du tout au tout. Je manquai de la bousculer et de m’écraser contre elle. La jeune femme regarda au sol : des plantes étaient écrasées, piétinées. On distinguait des traces de pas dans la terre boueuse.

– Des Métharcasaps, chuchota Orialis, à présent apeurée.

– Nous ferions mieux de partir, proposai-je.

– Ils semblent avoir pris cette direction, suspecta Orialis à la manière d’un enquêteur, en pointant son doigt devant nous. On va devoir faire un détour. Soyons discrets, il faut faire le moins de bruit possible.

 Nous marchions donc silencieusement en contournant les sentiers afin de ne pas nous faire repérer. Nos soupçons s’avéraient justes : quelques mètres plus loin, trois Métharcasaps patrouillaient au milieu des arbres. Par chance, ils ne nous avaient pas encore repérés grâce aux plantes qui nous cachaient, et regardaient dans une direction opposée à la notre.

– Couchez-vous au sol, susurra sèchement Avorian.

 Sans bruit, nous nous allongeâmes au sol, nos corps dissimulés par les végétaux. Nous attendions ainsi que les monstres s’en aillent, tremblant d’effroi. Puis, lorsque tout danger sembla écarté, je me relevai lentement.

– Il vaut mieux continuer à circuler en dehors des sentiers, c’est plus prudent, conseilla Avorian. (Il se tourna vers Orialis). Penses-tu pouvoir nous guider sans emprunter le chemin principal ?

– Sans problème, assura Orialis.

 Nous reprîmes la pénible marche entre les ronces et les buissons. Il était difficile de ne pas s’écorcher quelque part ou de glisser sur les feuilles humides. De temps à autre, le chemin – bien que le mot ne soit pas approprié – devenait presque impraticable : il fallait parfois marcher à quatre pattes sous les branches et les fourrés, ou bien enjamber les plantes venimeuses, ou parfois même grimper sur quelques troncs et rochers pour pouvoir circuler. Et pour couronner le tout, nous avancions à présent sous une pluie diluvienne. D’un côté, j’étais ravie d’ouvrir la bouche en direction du ciel et de me sentir enfin un peu nettoyée, mais l’eau de l’averse était si froide que malgré mon corps résistant, je grelottais. Quoi de plus normal ? J’échappai tout juste à une blessure mortelle. La carence alimentaire et le manque de sommeil n’aidaient pas non plus. Je me sentais réellement à bout de forces.

 Nous en profitâmes pour faire une pause afin de nous frictionner le corps avec du savon et nous laver les dents. Nous continuâmes la marche après ce brin de toilette, revigorés. Le jour déclinait. Il faisait de plus en plus sombre, ce qui n’arrangeait rien à ce parcours aux mille obstacles. Il advenait maintenant compliqué de distinguer sur quoi on marchait… et d’éviter par la même occasion les plantes dangereuses . Heureusement, la compagnie d’Orialis et d’Avorian me rassurait. Je me rendis compte que toute seule, dans cette forêt, je paniquerais. Mais l’épuisement eut raison de moi. Je m’écroulai au sol, incapable de me relever. Avorian vint à mon secours et décida de me porter sur son dos.

– Je suis désolée d’être un poids pour vous, Avorian.

 Et je pensais cette phrase dans tous les sens du terme.

– Tu es loin d’être un poids, ma petite Kiarah. Au contraire, tu embellis mes jours, me répondit Avorian.

 Profondément touchée, je resserrai mon étreinte en guise de réponse, à la fois reconnaissante et admirative devant sa force. Je lui déposai un léger baiser sur sa joue. Il devait être extrêmement difficile pour Avorian de me porter sur ce chemin boueux, entravé de ronces. J’étais vraiment embarrassée pour lui, mais malheureusement incapable de mettre un pied devant l’autre.

 Après une interminable marche silencieuse, nous trouvâmes un endroit propice au repos. Ce lieu bénéficiait en effet de quelques arbres fruitiers et d’un point d’eau, chose sans doute rare dans cette forêt. Nous allions enfin pouvoir nous désaltérer et manger. Nous étions couverts de boue, trempés, exténués. Recouvrant mes esprits, j’en profitai pour prendre un bain malgré l’eau glaciale et nettoyer mes vêtements tâchés du sang de ma blessure. Je repensai à cette terrible attaque des Métharcasaps, à l’horrible douleur que j’avais ressentie face à la puissance du rayon perforant mon ventre. Rien que d’y songer, cela me donna la nausée. Et surtout, cette éternelle question qui taraudait mon esprit : comment Sèvenoir avait-il su que j’étais entre la vie et la mort ? Et pourquoi tenait-il maintenant à me sauver ?

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