Chapitre 43 : chemin impraticable

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  Malgré notre nuit blanche, nous reprîmes la route. Nos petites fées demeuraient introuvables bien que les Métharcasaps semblaient être partis pour de bon. Elles avaient probablement dû fuir nos agresseurs plus loin que prévu. Nous longions les arbres géants, nous écartant des sentiers pour rejoindre les buissons fournis. Quelques rayons du soleil persistaient à travers les arbres, mais la forêt restait assez sombre, et ce, même en pleine journée.

– Cette forêt a-t-elle une fin ? désespérai-je.

– Oui… tout comme le désert que nous avons traversé, me taquina Avorian en riant, se souvenant que j’avais posé la même question à propos du désert de Gothémia.

– Je me demande bien comment tu parviens à te repérer Orialis, remarquai-je.

– Ne t’en fais pas, pour ce coin là, je pense que c’est bon, mais après…

– On trouvera, la coupa Avorian.

Au loin, nous aperçûmes quatre petites lueurs voler en notre direction. Nos fées gardiennes.

– Tout va bien ? Que vous est-il arrivé ? m’inquiétai-je.

– Nous avons fait en sorte que les Métharcasaps vous cherchent dans la direction opposée. Vous serez tranquilles de ce côté-là désormais, nous informa une fée orange.

– Merci ! Vous êtes formidables ! les congratula Orialis.

– Nous devons vous quitter. Nous avons un territoire à défendre. Bon voyage !

– Soyez prudentes ! leur criai-je, alors qu’elles s’envolaient déjà loin de nous.


 Des heures et des heures passèrent sans que nous ne fassions la moindre pause. Mes jambes ne pouvaient plus me porter, mes chevilles enflaient pour devenir écarlates. La fatigue m’envahissait au point d’avancer les yeux mi-clos.

– Il n’existe pas de moyen de transport dans votre monde ? questionnai-je une nouvelle fois.

– Tout d’abord, c’est ton monde aussi, me corrigea Avorian. Ensuite, certains animaux nous transportent, comme les embanores que tu as vus dans le désert par exemple, mais aussi parfois les loups. Car ils sont beaucoup plus grands que ceux de la Terre. Ce sont des animaux sages, nous communiquons avec eux. Et bien sûr, certains peuples peuvent se téléporter.

– Pas de voitures alors ? m’enquis-je

– Nous ne possédons pas de mode de transport construits à l’aide de la technologie utilisée par les humains. Nous le pourrions bien-sûr, mais nous ne voulons pas, confirma Avorian. Nous avons vu les dégâts que cela produit sur Terre. Nous n’usons d’aucune énergie polluante, et nous ne vidons pas notre planète de ses trésors et de ses réserves.

– Si seulement les Terriens prenaient exemple sur vous ! Ironie du sort : ce sont eux qui polluent votre – enfin notre – planète à cause de leurs pensées !

– L’équilibre ne tient plus qu’à un fil. Sur Terre, les loups en témoignent : ils hurlent les nuits de pleine Lune pour exprimer leur tristesse, chantant leur lamentation. Ils sont affligés par ce que les hommes font à la nature, car elle en souffre tant ! Mais les Terriens n’entendent pas son appel, son agonie éternelle. Alors les loups interprètent ce cri silencieux, empreint de mélancolie.

– Tous les règnes semblent liés…, réalisai-je.

– Mais oui ! C’est bien là la clé de tout ! s’exclama Avorian soudainement agité. Si les hommes comprenaient qu’ils sont tous liés non seulement entre eux mais aussi à l’univers tout entier, à toutes les autres planètes, cela changerait tout ! Ils font partis d’une grande et vaste création.

– Malheureusement, les humains semblent vouloir aller au bout de leur bêtise… du moins, ils penchent la balance de ce côté, ajouta Orialis visiblement intéressée par cette conversation. Mais c’est de cette façon qu’elle pourra ensuite se redresser avec plus d’enclin et de beauté… en ayant atteint le fond du néant. Même si cela leur prendra beaucoup de temps, les humains réussiront leur mission un jour. Nous avons confiance en eux… notre avenir en dépend.

– Un monde nouveau renaîtra du chao et des cendres de celui-ci. Bien, après cette belle divagation sur les Terriens, mangeons un peu, proposa Avorian.

– Enfin ! Je meurs de faim. On mange si peu ! me lamentai-je en soupirant.

 Nous nous arrêtâmes à un petit ruisseau. La nourriture et l’eau me redonnèrent un peu de courage. Nous en profitâmes pour faire un brin de toilette. Orialis montra ses talents de guérisseuse ainsi que sa grande connaissance sur les plantes en frottant mes chevilles endolories. Mais je voyais combien elle était épuisée à cause de l’absence des rayons du soleil. Sa puissance et sa robustesse m’impressionnaient. Pourtant, je remarquai que ses antennes se ternissaient de jours en jours. Au lieu d’être dorées, leur couleur virait au marron-cuivré. Cela m’inquiétait beaucoup.

 Nous reprîmes la marche après cette courte pause. La végétation se densifiait davantage, le chemin devenait plus étroit. Nous avancions lentement en essayant d’éviter de s’accrocher aux ronces, ou de frôler une plante carnivore. Les arbres, beaucoup plus larges et trapus, nous encombraient la route. Leurs branches étaient si longues et si feuillues que l’on ne pouvait voir au-delà d’un mètre devant nous. Toute la journée se passa ainsi : nous marchions en nous égratignant les jambes, les bras, nous trébuchions et manquions de tomber à plusieurs reprises, et la fatigue n’arrangeait rien. Seul point positif : aucun ennemi ni animal dangereux ne s’était montré jusqu’à présent. Lorsque la nuit commença à tomber, Avorian s’arrêta et nous proposa de trouver un endroit pour dormir.

 Cette journée fut marquée sous le signe du silence, tous moroses à cause du chemin autant ardu que ténébreux. Mais je plaignais surtout la pauvre Orialis. Elle faisait preuve d’un immense courage. Avorian nous considérait toutes les deux d’un regard circonspect, attentif au moindre de nos mouvements, comme s’il pressentait notre épuisement et s’attendait à nous voir défaillir.

 À quelques pas plus loin, nous découvrîmes un coin propice au repos : une petite clairière tapissée de mousse où s’écoulait sans doute le même ruisseau que nous avions quitté tout à l’heure.

– Orialis, m’inquiétai-je, tes réserves solaires doivent être vides à présent. Pourtant tu avances avec nous sans te plaindre, et le soleil ne se montre toujours pas. Tu vas tenir le coup ?

Orialis s’approcha alors de moi, prit mes deux mains dans les siennes en souriant.

– Tu es adorable ! Mais ne t’en fais pas. J’en ai vu d’autres ! Évidemment, si l’on continue à ce rythme là, je risque d’être malade.

– Orialis… Tu es si valeureuse, lui soufflai-je, admirative.

 La nuit se passa sans mésaventures.


 Le lendemain, la marche reprit de plus bel. Nous arrivâmes dans une partie de la forêt qu’Orialis ne connaissait pas, il fallait donc nous fier à notre instinct et surtout à notre sens de l’orientation. Avorian semblait trouver la bonne direction avec facilité, nous montrant encore une fois combien il était un homme de vertu. Mais nous savions que nous pouvions nous perdre à tout moment. La nature paraissait plus sauvage et encore plus dangereuse. L’air devenait presque étouffant, comme si les plantes dégageaient une sorte de gaz toxique destiné à asphyxier les imprudents voyageurs. Les arbres ici se faisaient encore moins hauts, leur feuillage semblait quant à lui plus terne, leur écorce plus épaisse. L’herbe au contraire augmentait de taille, j’avais d’ailleurs l’impression que d’affreuses créatures s’y cachaient et nous épiaient afin de trouver le moment propice pour nous attaquer. Le sol devint boueux, nos jambes s’y enfonçaient et nos vêtements se salissaient à chaque pas. À tout cela s’ajoutait une nappe de brouillard qui rendait l’atmosphère encore plus lugubre. Comment trouver notre chemin dans cet endroit brumeux et inconnu ? Nous allions nous perdre, c’était inévitable.

 Chaque pas advenait de plus en plus difficile : il fallait à chaque fois dégager nos jambes profondément enfouies dans la boue, ce qui nous épuisait davantage. Nous étions à présent courbés par la fatigue, la faim, le manque de sommeil. Pourtant, il ne fallait surtout pas s’arrêter sur ce sol instable, car si nous ne poursuivions pas notre marche, nous risquerions alors de disparaître sous terre. Voyant nos mines affligés, Avorian tenta de nous encourager :

– Courage ! Nous allons y arriver ! Aidez-vous des branches, elles sont à notre hauteur, profitons-en !

 Comme pour contredire l’espoir d’Avorian, la pluie vint amplifier nos tourments, rendant le sol encore plus liquide et glissant. Le chemin devenait vraiment impraticable, mais nous avancions vaillamment en espérant trouver rapidement un endroit plus accueillant. Ce monde que je jugeais auparavant beau et hospitalier se transformait à présent en un véritable cauchemar. Orialis et moi-même ne cessions de trébucher, tomber, déraper, nos corps se couvraient de boue. Si bien que je rêvais à chaque pas d’un bon bain bien chaud.

 S’accrocher aux branches des arbres pour avancer s’avérait pénible car nos mains glissaient. J’avais l’impression que nous marchions en cet endroit depuis une éternité. Les minutes semblaient durer des heures, et les heures des jours entiers. La notion du temps devenait confuse. Je n’arrivais plus à me repérer.

 Le soleil se couchait, la pluie avait enfin cessée. Quelques étoiles se dessinaient dans le ciel tandis que la planète Héliaka planait au-dessus de nous.

– Il faut nous reposer, jugea Avorian à notre grand soulagement.

Il avait du mal à respirer, ce long voyage le surmenait.

– Nous ne pouvons nous arrêter au sol, c’est trop dangereux. Montez dans les arbres… si vous en avez la force, reprit-il.

Je tentai de grimper sur l’arbre le plus proche, mais n’y parvins pas. Mes jambes s’enfonçaient profondément dans la vase. Voilà pourquoi nous ne pouvions pas rester ici. J’essayais en vain de m’agripper aux branches, mes doigts boueux glissaient. Je m’enlisais toujours un peu plus, incapable de lutter contre les éléments.

– Je n’y arrive pas, soufflai-je d’une voix faible.

 Orialis ne se débrouillait guère mieux que moi : elle aussi restait prisonnière du sol. Avorian me dégagea en utilisant ses fils de lumière blanche qui s’enroulèrent autour de mon corps, m’attirant vers lui. Il m’aida ensuite à escalader l’arbre et fit de même pour Orialis. Une fois assises sur la même branche, je m’enfouis dans les bras de la Noyrocienne afin de trouver un peu de chaleur et de réconfort. Jamais je ne m’étais sentie aussi sale et puante de ma vie. De nature assez rigide et exigeante en matière de propreté, je ne supportais plus ce mode de vie.

 Mais je plaignais surtout la pauvre Orialis qui subissait le manque de soleil et qui allait dormir le dos appuyé contre le tronc rugueux de l’arbre. Nous devions ainsi passer la nuit en hauteur, au risque de tomber dans notre sommeil. Encore puisse-t-il nous emporter !

 J’essayai malgré tout de m’endormir sur l’écorce rigide de ma branche, dans cette position inconfortable. Orialis resserra son étreinte et posa sa tête contre mon épaule. L’épuisement eut raison de moi et m’emporta dans un sommeil agité.

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