Chapitre 47 : Les terres des Enchanteurs

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 Je m’apprêtais à monter sur ce beau Limosien deux fois plus grand qu’un lion normal, non sans une pointe d’appréhension. Je mis la Pierre dans ma ceinture, à côté de la fleur d’Arianna, et m’accrochai à sa crinière, prête à décoller. Swèèn battit des ailes de façon majestueuse. Ses plumes demeuraient scintillantes malgré l’absence du soleil. Puis, lentement, il prit de l’altitude. Je ne ressentis aucune secousse. C’était même assez confortable, et plutôt stable. Bien que Swèèn prenne de la vitesse, je n’avais plus peur de tomber. Il s’élevait telle une flèche pour atteindre le ciel. Orialis et Avorian devenaient alors de petits personnages mouvants.

 Je me sentais libre, légère, merveilleusement bien, avec cette agréable sensation d’air frais sur mes joues. Ce voyage dans les cieux effaçait en moi toute crainte.

 Je ne vis pas le moindre signe de danger. Mes deux amis continuaient d’avancer en suivant la direction du Limosien. Avorian se posta en-dessous de nous. Swèèn redescendit un peu pour se stabiliser. Je sortis alors la Pierre de ma ceinture, mais le fait de lâcher la crinière du lion ailé me donna le vertige. Je devais pourtant libérer mes mains afin de me concentrer pour déclencher le pouvoir de la Pierre. Comme s’il devinait mon appréhension, Swèèn me dit avec douceur :

– Ne t’inquiète pas, je ne te laisserai pas tomber, Kiarah. Replis un peu plus tes jambes le long de mes ailes, ainsi, tu auras plus d’équilibre.

– D’accord, merci Swèèn.

 En effet, le Limosien avait raison : je me sentais bien plus à l’aise positionnée ainsi. Je pris alors la Pierre dans mes mains et me recentrai sur ce souhait qui me tenait à cœur : redonner vie à nos terres dévastées. Et rendre ainsi Avorian heureux. Le voir sourire, libéré du poids de son passé, délivré de sa souffrance. Je ressentis une chaleur dans mon cœur. La Pierre se mit à rayonner de sa lumière rouge. Le halo commença à se propager dans le ciel. Une lueur argenté entoura Swèèn et se mêla au rayon pourpre : le pouvoir du Limosien alimentait le mien ainsi que celui de la Pierre. Grâce à nos forces conjuguées, un immense faisceau descendit en flèche vers le sol. À l’aide de sa magie, Avorian le répandit partout autour de lui, en un cercle de plus en plus large. Il décrivait de grands mouvements avec ses bras, comme pour étendre un peu plus la lumière. Malgré la distance qui nous séparait, je vis les antennes d’Orialis scintiller. Elle aussi parvenait à canaliser le pouvoir de la Pierre. C’était magique ! Chacun de nous avait sa particularité, sa force, et contribuait à la résurrection de notre royaume.

 Je me concentrais de plus belle sur mon envie de guérir ce lieu meurtri, de demander pardon à la nature pour ce qu’elle avait subie. Swèèn battait lentement des ailes, je pus ainsi observer d’en haut cette magnifique renaissance. Bientôt, l’aura vermeille atteignit la forêt de Lillubia, puis un territoire si vaste que je ne pouvais en distinguer la fin.

 J’eus soudain une vision de la forêt de Lillubia au temps où elle resplendissait. Je voyais des fées, des oiseaux, la nature verdoyante et fleurie. Puis, une magnifique allée de végétaux menant à l’arbre sacré, absolument éclatant, aux branchages fournis en feuilles d’un vert tendre. La terre n’y était pas terne et sans vie comme aujourd’hui, mais tapissée d’herbe, de mousse et de fleurs. Un soleil radieux illuminait ce paysage féérique. Plus loin, dans cette vision idyllique, je contemplais un royaume tiré tout droit d’un conte de fée. La bâtisse entièrement blanche semblait ouverte sur le panorama avec ses nombreux balcons. La toiture arrondie en dôme rappelait les palais orientaux. Sur l’un des balcons, je vis une femme incroyablement belle. Elle avait les cheveux bleus, un regard saisissant. Puis, la scène devint floue et les images virevoltèrent à une vitesse affolante. La vision s’arrêta ici.

 Et là, quelque chose d’incroyablement beau se produisit. Je voulais en être sûre…

– C’est étrange, je viens d’avoir une vision du passé. Mais c’est comme si ce passé pouvait reprendre vie ; là où il en était avant la destruction de ce royaume. Pouvez-vous redescendre un peu, Swèèn ?

– Avec plaisir ! Et je t’en prie, ne me vouvoie plus !

 Le Limosien entama sa descente, doucement, afin que je puisse garder la Pierre dans ma main gauche tout en m’agrippant à sa crinière de mes doigts libres. En effet, je ne me trompais pas : je vis au-dessous de nous l’herbe repousser, les végétaux bourgeonner, les arbres reprendre vie, comme dans ma vision. C’était fabuleux. Les troncs retrouvaient leur écorce brune, les feuilles se teintaient d’un vert tendre et les fleurs commençaient à éclore, tel en un début de printemps. La nature stoppa sa croissance et resta ainsi à l’état de bourgeon. Mais nous avions accompli notre mission ! Même les créatures cachées dans les racines aux petits yeux jaunes et rouges avaient disparu, comme balayées par la magie de la Pierre. Les terres demeuraient à présent fertiles ; le temps allait faire son œuvre. Puis, je fus éboulis par une lumière intense. Je levai les yeux au ciel et découvris avec émerveillement que les nuages s’écartaient pour laisser place à un ciel bleu inondé d’un soleil chaleureux. Je laissai échapper un « waouh ! ». En regardant vers le bas, je vis Orialis ouvrir les bras vers le firmament et tournoyer sur elle-même, totalement ravie de goûter enfin aux rayons du soleil.

 Swèèn alla se poser sur un sol à présent tapissé de verdure et de fleurs. Finit le paysage sordide ! Nous avions réussi à conjurer le sort ! Je descendis du Limosien et caressa son doux pelage argenté.

– Merci, Swèèn.

 Avorian s’approcha de moi et me serra si fort dans ses bras que j’eus du mal à respirer. Il pleura à chaudes larmes. Cette fois, des larmes libératrices.

– Je voulais vous rendre heureux, Avorian. Je voulais tellement vous voir sourire ! C’est en votre honneur que nous avons redonné vie aux terres des Enchanteurs.

– Ce cadeau me touche profondément. Tu n’imagines pas à quel point. C’est un miracle ! La magie a atteint absolument tout notre territoire !

– Je peux enfin recevoir l’énergie du soleil ! clama Orialis, le visage rayonnant. Alors ? Qu’est-ce que ça fait de s’envoler sur un Limosien ?

– C’est vraiment génial !

Mes yeux pétillaient de bonheur.

– Tu es si légère, je n’ai presque rien senti ! me taquina Swèèn.

 Puis, à bout de nerfs, nous éclatâmes tous les quatre d’un rire libérateur.

– Je n’arrive pas à y croire ! répétait sans cesse Avorian. Ensemble, nous avons redonné vie à notre Royaume, Kiarah ! Je pensais que c’était impossible !

– Je suis tellement comblée de vous voir si joyeux, Avorian, lui dis-je en le serrant à mon tour très fort.

 Orialis et Swèèn se mêlèrent à notre chaleureuse embrassade.

– J’ai eu une vision…, confiai-je. Des images du royaume des Enchanteurs avant sa destruction. J’ai vu la nature verdoyante, un palais magnifique et… une femme d’une beauté saisissante aux cheveux bleus.

– Comme c’est charmant ! s’exclama Swèèn. C’était la promesse de notre réussite !

 Avorian me considérait d’un air circonspect en silence. Cela devait certainement lui rappeler des souvenirs.

– Kiarah est donc la seule à pouvoir utiliser la Pierre…, observa Swèèn en s’adressant à Avorian.

– Comment ça, la seule ? relevai-je, surprise.

– Tout d’abord, seul un Enchanteur peut se servir de la Pierre, qui représente son peuple, m’expliqua Avorian. Par exemple, tu ne pourrais pas faire fonctionner la Pierre des Komacs. Seule Kaya en est capable.

– Pareil pour les Noyrociens, renchérit Orialis. Et en général, ce pouvoir se transmet plutôt aux femmes. Ce sont elles qui en sont les gardiennes. Mais il existe des exceptions, comme dans le royaume des Aqualiciens par exemple. C’est Cyrano, un homme, qui détient ce pouvoir. Pour faire simple, la Pierre choisit son gardien. Et non l’inverse.

 Je me souvins que lorsque nous étions emprisonnés par les Métharcasaps, Orialis nous avait raconté qu’elle devait rejoindre les Aqualiciens pour ensuite se rendre ensemble au Royaume du Cristal, avec leurs Pierre respectives. Elle connaissait donc bien ce peuple.

– Étant la dernière Enchanteresse, tu as reçu ce don, me révéla Avorian. Pour ma part, je n’ai jamais réussi à déclencher le pouvoir de la la Pierre, malgré ma magie et mon expérience. C’est bien pour cela que je n’ai jamais pu sauver notre arbre, ni faire reverdir nos terres, comme je te l’ai expliqué tout à l’heure. Il ne me servait à rien de la conserver, elle n’aurait pas été en sureté avec moi étant donné que l’on me recherche.

 Son regard s’assombrit un instant. Depuis que je voyageais avec Avorian, on avait tenté de l’assassiner deux fois. Et nous ne savions toujours pas qui était l’auteur de ces attaques. Une magie mystérieuse l’avait terrassé dans le désert, puis ici même. Et sans mon aide, Avorian ne pourrait peut-être plus en témoigner.

 Je n’osais lui demander qui était le dernier gardien de la Pierre, puisque cette personne avait forcément péri pendant la bataille. Et c’était sans doute cela qui rendait Avorian soudainement triste. J’essayai de plaisanter pour que son visage s’illumine de nouveau :

– Ah, je comprends mieux quand vous disiez que c’était mon héritage. Heureusement que je suis vivante alors !

– Oui, et tu as intérêt à le rester. Toi seule peux faire fonctionner cette Pierre, et personne d’autre. N’oublie jamais cela, Kiarah.

Nous profitions de ce moment de paix pour nous accorder une longue pause. Le soleil commençait à décliner. Les arbres ne donnant pas encore de fruits, nous nous contentâmes de nos maigres provisions. Malheureusement, nous n’avions presque plus d’eau. Swèèn s’envola pour tenter de trouver une source, mais il n’en découvrit aucune. Je songeai que dans quelques années, cet endroit serait fleuri et habitable, et que la vie y abonderait. Pour une fois, j’étais vraiment fière de ce que nous venions d’accomplir. Mais je portais une fois de plus un lourd fardeau sur mes petites épaules. Je venais d’apprendre que j’étais la seule à pouvoir éveiller la Pierre de Vie des Enchanteurs. L’enjeu était de taille ! J’étais également la seule Orfiannaise capable de séjourner sur Terre. Tant de mystères m’entouraient. Je n’arrivais plus à savoir qui j’étais, et c’en devenait pesant. Une douleur s’installait subrepticement dans mon cœur.

 Nous décidâmes de passer la nuit à côté de l’arbre sacré.

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