Chapitre 52 : captive.

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 Plus tard, je fus réveillée par des bruits de pas dans le couloir. La porte de ma chambre s’ouvrit. Je restai couchée, les yeux fermés. Une main attrapa violemment mon bras et le secoua. Je me relevai net, un peu offensée par cette façon brutale de me sortir du sommeil. J’ouvris les yeux et découvris avec horreur un Métharcasap juste sous mon nez. Il me fit signe de le suivre, sans un mot, et me conduisit dans la grande salle du trône. L’Ombre y demeurait assise.

– Je vais te faire visiter quelques endroits de mon royaume.

 Sur ces mots, l’Ombre se leva, faisant virevolter ses capes noires immatérielles autour d’elle. Son aura violacée captivait mon regard. Elle ouvrit la porte qui se situait à l’autre bout de la salle. Je la suivis sans discuter dans un labyrinthe de couloirs, où l’on ne pouvait se repérer sans le maître des lieux.

 La créature s’arrêta devant une salle très étrange, aux structures d’une technologie nettement plus avancée que celle des Terriens. La matière qui composait la pièce, d’un bleu transparent, me paraissait indéfinissable. Un gigantesque cône, partant du sol pour rejoindre le haut du plafond, trônait au milieu de la pièce. Je remarquai par endroits du cône de petits carrés lumineux qui clignotaient. Sur les côtés se dressaient de magnifiques piliers, où s’enroulait sur chacun d’eux le même tuyau céruléen que dans la salle avec les statues. À l’intérieur du tuyau, je pouvais distinguer un liquide violacé avec de minuscules bulles qui circulaient de bas en haut. Je me demandais à quoi tout cela pouvait bien servir. Devant la structure conique, sur une table en marbre blanc, était posé un large récipient en pierre grise. Je pus distinguer à l’intérieur un tourbillon de nuages noirs, gris, blancs, avec quelques éclairs violets par moments. Ces étranges nuages tournoyaient vers le centre.

– Qu’est-ce que c’est ? questionnai-je, intriguée.

– Le générateur de boucliers. Sans lui, ma demeure ne serait pas si bien protégée, me répondit l’Ombre avec un calme surprenant, comme flattée par ma question.

 Ce monde, qui paraissait de prime abord moins avancé technologiquement parlant que la Terre, s’avérait en réalité bien plus évolué : leur savoir-faire dépassait l’imagination, tout en gardant une planète propre, non polluée, et sans détruire la nature.

 «Sur Orfianne, il n’existe rien de nocif ou de dangereux pour la faune et la flore », m’apprit un jour Avorian, lors de nos longues heures de randonnées pour nous rendre au village des fées.

– C’est incroyable ! échappai-je de nouveau en faisant le tour de la salle, arborant un sourire admiratif, tel celui d’un enfant qui regarderait les vitrines des magasins de Noël.

– Ton innocence m’amuse ! Ce n’est pourtant pas le meilleur endroit de mon royaume… tu es bien loin d’avoir tout découvert, Kiarah.

– J’aime beaucoup les statues de la salle du trône. Je ne pensais pas que vous aimeriez ce genre de décoration, avouai-je.

– Là encore, je vois combien tu juges selon mon aspect. Nos goûts nous différencient, ils définissent notre personnalité, mais parfois, ils ne correspondent pas à notre apparence.

– Disons, je faisais allusion aux goûts de Sèvenoir, qui caractérisent bien sa personne. J’imaginais les vôtres proches des siens. Je constate que je me suis lourdement trompée.

– Oui, comme tous les autres habitants de cette malheureuse planète Terre. Pourtant, seule notre véritable essence compte, mais nous n’y avons pas toujours accès.

– N’avez-vous pas peur en me montrant ainsi votre système de défense que je le détruise et m’échappe ?

– Aucunement. La porte de ta chambre est scellée par ce système. Tu ne pourrais pas en sortir seule, aussi grand ton pouvoir soit-il. Tu ne peux rien faire non plus en ma présence. Je suis là pour t’enseigner des choses. Chaque jour, chaque minute, nous apprenons, même si cela reste inconscient. Toute expérience est valable. Avorian est un bon enseignant, je le reconnais, ce n’est pas n’importe quel homme, certes, mais avec moi, tu aurais développé tes pouvoirs bien plus vite. Je te ferais rattraper ce retard.

 Je restai interdite, surprise que l’Ombre admette la grandeur et la sagesse d’Avorian. Ses adages ne correspondaient absolument pas à son physique effrayant.

 La créature m’invita à continuer la visite. Elle glissait au dessus du sol, tel un fantôme, dans cet inextricable dédale de couloirs. Nous entrâmes dans une autre pièce. À l’intérieur, toujours ces étranges murs bleutés émettant une lueur spectrale. Je découvris deux immenses globes de la hauteur d’une commode. Celui de gauche, le plus haut des deux, représentait sans doute la planète Orfianne, et à droite, la reproduction de la planète Terre, ses pays et ses océans correctement dessinés. Je constatai qu’Orfianne était majoritairement constituée d’eau. Hormis quelques îles, il n’existait qu’un seul et unique continent s’étendant du pôle Nord au pôle Sud. Cela me fascinait. Contrairement à la Terre, les parcelles n’étaient pas séparées en plusieurs fragments. Puis, quelque chose attira particulièrement mon attention. Je remarquai de nombreux petits points rouges, et ce, sur chaque pays de la Terre, un peu comme sur les cartes de géographie que nous donnaient les professeurs d’histoire pour représenter la démographie ou les mégalopoles.

– Que symbolisent ces points rouges ? risquai-je.

– Ce sont les prochaines batailles que je vais mener sur la planète Terre. Kiarah, la Terre et Orfianne ne forment qu’une seule et même planète. Elles n’existent pas sur le même plan mais se situent exactement au même endroit dans l’Univers. L’ennui est que si l’une des planètes tombe, l’autre sombrera avec elle. Or, c’est ce qui se passe sur Terre. La race humaine est malade, leur mental aliéné crée partout la déchéance, et cela affecte notre monde. L’impact est si grave que la seule solution est de détruire cette race complètement dégénérée.

– Je sais que les pensées négatives des humains engendrent des êtres monstrueux sur Orfianne, et je croyais justement que vous en faisiez partie ! Mais de là à exterminer la race humaine, c’est extrême ! Ils ne sont pas tous comme ça, et ils sont sans défense face à la magie d’Orfianne !

– J’existe depuis bien plus longtemps que la race humaine. Je ne suis pas une manifestation de leur mental, non. Mais Kiarah, même s’il est plus démonstratif, notre pouvoir n’est rien comparé à celui des êtres humains. Ils sont capables de matérialiser leurs pensées ! Et ils n’en ont même pas conscience ! C’est extrêmement dangereux, regarde les conséquences que cela a sur notre planète. S’ils le désiraient vraiment, ils pourraient obtenir n’importe quoi. La seule chose qui les en empêche, c’est eux-mêmes, car ils ne croient pas en leur pouvoir. Ils n’ont pas foi en eux. S’ils en avaient conscience, leur pouvoir du verbe et de la pensée serait immense ! Et ils l’exploitent déjà à des fins néfastes, il faut les anéantir tant que c’est possible ! Et tu seras l’instrument de leur destruction. Tu en seras bientôt capable, mais pour cela, je vais devoir t’endurcir et te préparer au combat.

– Quoi ? m’écriai-je.

– Oui, Kiarah, poursuivit l’Ombre. J’ai besoin de ton pouvoir pour passer d’un monde à l’autre. Je ne peux pas me déplacer. Toi seule parviendras à mener mes armées de notre monde à la Terre. Tu es la seule capable de vivre dans deux mondes différents. C’est normalement impossible. Les deux mondes ne vibrent pas à la même fréquence, aucun humain ne pourrait supporter les vibrations du monde Orfiannais, et aucun Orfiannais ne peut vivre sur Terre. Pourtant, toi, tu l’as fait.

– Mais Sèvenoir aussi a réussi à me capturer sur Terre !

– Seulement un cours instant, quelques secondes, et avec beaucoup de préparation en amont. Son pouvoir est grand. De plus, il ne comptait pas venir te chercher lui-même.

 En effet, je me souvenais bien du cri de l’animal que Sèvenoir avait envoyé pour m’emmener. Avorian me l’avait expliqué. Mais comment l’Ombre pouvait-elle savoir tout cela ? Par ailleurs, elle semblait bien connaître Sèvenoir, vu leur conversation dans la forêt.

– Comment pouvez-vous prendre une telle décision ? Les Terriens évoluent et ont le droit d’exister ! En détruisant la race humaine, n’allez-vous pas, au contraire, aggraver les choses sur Orfianne, puisque les deux mondes sont liés ?

– Non. Grâce à leur sacrifice, Orfianne et la planète Terre seront toutes deux sauvées. D’autres races prendront la place des humains. Ces êtres décadents n’ont rien compris aux Lois de l’Univers. Mon rôle et d’en effacer toute trace, pour préserver tous les autres règnes. Il existe tant d’humanoïdes qui désirent depuis toujours conquérir cette petite planète Terre. Ils en seront enchantés !

– Est-ce vous qui avez orchestré l’assassinat des Enchanteurs ?

– Oh non Kiarah, jamais je n’aurais détruit un peuple aussi sage… au contraire, j’aurais aimé les sauver. Leur pouvoir me serait bien utile ! Maintenant, toi et Avorian êtes les seuls vestiges de ce peuple décimé. La tâche n’en est que plus ardue ! Je ne peux pas me déplacer comme je le souhaite : la lumière du jour me fait souffrir… et mes Métharcasaps n’ont pas la puissance des Modracks. Je n’ai rien pu faire pour empêcher ce désastre.

 Je ne sais pas pourquoi, mais cette confession me soulagea. L’Ombre n’avait donc rien à voir avec l’extinction de mon peuple.

– Qui êtes-vous donc pour vous permettre ainsi de décider de qui doit vivre ou mourir ? Encore une fois, personne ne le peut ! La Vie se chargera elle-même de rééquilibrer nos deux mondes, d’une manière ou d’une autre. Il faut garder confiance !

– C’est exactement ça, d’une manière… ou d’une autre…

– Non, vous n’êtes pas l’instrument de la Vie, je n’y crois pas une seule seconde. Je vous en prie, réfléchissez avant de commettre un acte irréparable.

– Ta bonté me touche profondément. Tu as un grand cœur, Kiarah. Je vais méditer sur tes propos, mais ne pense pas que cela puisse changer ma décision. Ces êtres humains que tu détends avec tant de ferveur n’ont même pas conscience de leurs capacités. Et leur pouvoir se manifeste dans l’invisible, ayant une forte répercussion sur nos deux mondes. C’est comme si tu confiais une arme redoutable à des enfants. Ils ne sauraient pas quoi en faire, et l’utiliseraient n’importe comment. Les Terriens se comportent ainsi, comme des enfants, jouant aux apprentis sorciers. La preuve : ils sont responsables de la destruction du plus grand peuple d’Orfianne. Et toi, tu veux sauver ceux qui sont responsables de la mort des tiens… de ta propre famille.

 L’Ombre semblait prendre en considération mon avis. Sa sentence se révélait certes radicale, mais je sentais qu’une partie d’elle demeurait encore influençable, et l’Ombre témoignait visiblement d’un grand respect pour les Enchanteurs.

– Je comprends votre point de vue, mais ce n’est pas à nous de prendre cette décision !

– Je vais te raconter une histoire. Tu vas mieux comprendre. Jadis, les Guéliades et les Enchanteurs étaient deux peuples très proches, physiquement comme culturellement. Ils se sont beaucoup mélangés. La Terre et Orfianne étaient encore reliées, et l’on pouvait passer d’un monde à l’autre puisque qu’elles vibraient encore à une fréquence similaire, telles des jumelles dans l’Univers. Les Orfiannais adoraient les Terriens. Ils les considéraient un peu comme leurs enfants, prenant soin d’eux afin que leur évolution se fasse dans de bonnes conditions. Un jour, les Guéliades ont voulu faire évoluer plus vite la race humaine. J’imagine que sur Terre, tu as déjà entendu parler… du chaînon manquant…

– Attendez… vous voulez dire que…

– Oui, Kiarah. Les Guéliades se sont accouplés aux Terriens, formant la race que tu connais aujourd’hui. Ce sont eux, le chaînon manquant… des habitants de la planète Orfianne, la jumelle de la Terre. Mais cela s’est passé il y a si longtemps qu’à part moi, plus personne ne s’en souvient. Malheureusement, les êtres humains ont pris leurs distances avec les Orfiannais. Leur pouvoir de la pensée les a rendus malades. Coupés de leurs racines et de nous, ils ont dégénéré. Cette fusion est un échec, nous devons y remédier. Nous avons tous les droits sur l’humanité : elle est le fruit de notre création.

– Non. Vous ne l’avez pas créée. Juste… modifiée.

– Je dirais améliorée. Mais tout cela n’est qu’une question de point de vue, ma chère Kiarah.

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