Chapitre 55 : deux révélations.

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 Entre l’état de sommeil et d’éveil, les yeux mi-clos, j’entrevoyais un Métharcasap me soigner, épongeant mon sang, guérissant mes blessures. Il le faisait avec une telle douceur et tant d’attention que je me demandais si je n’étais pas en train de rêver. Ces gestes tendres ne correspondaient pas du tout avec ce que je venais de vivre. La vision de son congénère mort et souillé de sang bleu me hantait. Je venais de combattre un Métharcasap déchaîné et avide de tuer, je n’avais pas eu le choix. Je me sentais horriblement mal.

 Mon guérisseur semblait presque attristé de voir une jeune fille si mal en point. Il vit que je m’éveillais et m’adressa un beau sourire serein. Je crus alors que c’était une hallucination créée par mon inconscient pour me rassurer, mais je m’endormis malgré tout sans craintes, me laissant soignée par cet inconnu à la peau bleue charron tirant sur un ton cérulé.

 Je me réveillai plus tard, j’étais seule. Je constatai en me regardant dans le miroir que je ne portais aucune blessure, ni cicatrice ou trace de coup sur mon corps. La créature devait posséder de puissants pouvoirs de guérisons ; elle venait de me soigner à la perfection ! Je ne me sentais pas tellement fatiguée, mais plutôt rongée par la culpabilité. Je venais de tuer une créature humanoïde. C’était encore pire que lorsque j’avais décimé les Glemsics dans le désert. Au moins, c’était pour défendre Avorian. Je ne savais pas quoi penser de tout cela. Après tout, c’était de la légitime défense dans les deux cas. Jamais je n’avais voulu me battre de mon plein gré.

 Un autre plateau de nourriture se trouvait sur la table, mais malgré ma faim, j’étais bien incapable de manger. Pourquoi fallait-il que je traverse cette épreuve toute seule ?

Un bon bain chaud me ferait le plus grand bien.

 Après m’être lavée et détendue un long moment, je mis la tenue ocre que Kaya m’avait offerte : un pantalon au tissu aérien un peu bouffant et un haut qui laissait à l’air libre le bas du ventre. Je n’aimais pas dévoiler ainsi mon corps, mais au moins, cette tenue était propre, et pas de couleur noire. En outre, je ne pouvais me résoudre à porter les vêtements de l’Ombre. J’étais trop en colère. À cause d’elle, je venais de commettre un acte irréparable. Je la détestais.

 Toujours accablée par ces visions de mort, je me mis à faire les cent pas en me demandant avec tristesse si tous les jours se ressembleraient ainsi, si je devais lutter indéfiniment jusqu’à l’épuisement, et surtout, si l’Ombre allait encore me conduire à tuer quelqu’un. Je me mis à sangloter. J’aurais donné n’importe quoi pour être avec Avorian et Orialis en cet instant.

– Je dois sortir d’ici, dis-je à voix haute, avec conviction.

 Je séchai mes larmes.

Autant me servir de mes pouvoirs.

 Je lançai une sphère contre la porte de toutes mes forces, et là, un étrange bouclier translucide et légèrement bleuté apparut devant la porte. Il émit une sorte de vrombissement et aspira ma sphère comme s’il s’agissait d’une vulgaire petite poussière. C’était prévisible : l’Ombre m’avait prévenue que ma chambre était scellée. J’envoyai alors désespérément mes rayons lumineux, tout ce que je connaissais pour tenter de détruire ce bouclier, et la porte avec. Mais rien ne se produisit, ce qui ne m’étonna nullement. Mes attaques demeuraient inefficaces, pire : la substance absorbait tout ce que je lui jetais en bourdonnant de plus belle. Alors, une idée terrible me vint à l’esprit. Peut-être qu’en aspirant ainsi mes pouvoirs, le bouclier devenait de plus en plus résistant et réutilisait donc mon énergie pour se défendre. Je venais de renforcer le blindage, de m’emprisonner un peu plus à mon insu ! Il fallait que je trouve une autre solution. Au moins, je n’étais pas enfermée dans un sombre cachot glacial comme chez Sèvenoir. Je pouvais même me laver et manger à ma faim.

 Avorian, Orialis et Swèèn allaient sans doute venir me sauver… si rien ne leur était arrivé. Au fond de moi, je m’inquiétais pour eux… et il fallait bien l’avouer, pour le sort de Sèvenoir aussi. Puis, je me souvins de cette parole de l’Ombre : « Voici mon royaume dont personne ne soupçonne l’existence. Il est situé sous terre, donc impénétrable. » Même Avorian l’ignorait. Personne ne pouvait venir me sauver. Cette fois, j’étais vraiment seule… face au néant. Pourtant, je ne pouvais me résigner à rester ici. Apparemment, mon entraînement était loin d’être terminé, et surtout, l’Ombre projetait d’envahir la planète Terre. Je pensais qu’Orfianne était en danger, mais j’avais tort. Car en définitive, les êtres humains couraient un plus grand risque.

 La fleur de d’Arianna. J’y avais déjà songé, mais que pouvait-elle faire ? J’étais piégée dans un endroit protégé par la magie la plus puissante de ce monde ! Et puis, gâcher encore un précieux pétale… Arianna et Avorian m’avaient recommandé de les garder pour plus tard. Je devais au préalable bien étudier ma situation ainsi que tous les moyens de partir. Mais le temps pressait, et je ne voyais pas d’autres alternatives. Je pris la fleur d’Arianna que j’avais soigneusement cachée dans mon sac. L’Ombre, trop sûre d’elle, m’avait laissé toutes mes affaires. Mieux valait essayer quelque chose plutôt qu’attendre ici à ne rien faire. Je m’apprêtais à arracher un pétale lorsque j’entendis des bruits de pas derrière la porte. Rapidement, je cachai la fleur sous un oreiller. La porte s’ouvrit grâce à un charme magique.

 C’était le Métharcasap qui m’avait soignée. Je le reconnaissais à son visage paisible et à ses yeux plus clairs que ses semblables. Il me regarda longuement, puis désigna le couloir d’une main et m’empoigna de l’autre pour me forcer à avancer. J’eus peur qu’on m’obligea de nouveau à combattre… mon cœur se mit à tambouriner dans ma poitrine. La créature m’emmena dans la salle du trône d’un air presque désolé.

– J’ai une surprise pour toi, m’annonça l’Ombre calmement. Mes gardes l’ont trouvée en train de fuir dans la forêt.

 Deux Métharcasaps tenaient fermement par les bras une jeune femme mince, assez grande, incroyablement belle, la peau entre le vert anis et lichen, les cheveux ondulés couleur sinople, portant sur son crâne de fines antennes dorées se recourbant vers l’intérieur en leur extrémité. Elle était à genoux, inconsciente, la tête baissée vers le sol, ses muscles totalement inertes et… un sang verdâtre maculait ses jolies lèvres rosées. Ses paupières demeuraient closes.

– Orialis ! m’écriai-je, tétanisée d’horreur. Oh non ! Qu’est-ce que vous lui avez fait ?

– Rappelle-toi que la princesse était ma prisonnière avant que tu ne la délivres ! objecta l’Ombre. Elle me revient de droit !

– La princesse ? répétai-je, déconcertée.

 Orialis était-elle la princesse des Noyrociens ? D’où son insistance pour prévenir le roi de sa libération ? Mais pourquoi nous l’avoir caché ? En tout cas, ces paroles confirmaient nos suppositions : c’était bien l’Ombre qui avait ordonné aux Métharcasaps de capturer Orialis et de nous livrer bataille.

– Ça te fera de la compagnie, prends-la, poursuivit l’Ombre en désignant Orialis.

 L’une des créatures lâcha mon amie, ce qui fit retomber brutalement son bras droit. Le « gentil » Métharcasap qui m’avait amenée ici m’aida à la porter jusqu’à ma chambre, la déposa sur le lit, puis se dirigea vers la porte.

– Merci, lui adressai-je poliment avec sincérité. Merci de m’avoir soignée et aidée.

 Il s’arrêta net, se retourna vers moi et me regarda d’un air surpris, décontenancé. Je restai à mon tour interdite devant son visage qui, pour une fois, exprimait une émotion. Car c’était sans doute la première fois qu’on le remerciait. Il m’observa longuement. J’avais presque envie de rougir tant ses yeux me dévisageaient de façon intense. Il inclina sa tête en guise de reconnaissance, toujours avec cet air digne, puis me prit doucement la main pour la serrer au creux des siennes. Ce geste d’affection m’étonna autant qu’il me fit chaud au cœur. Le Métharcasap me parla par télépathie :

 « Je suis profondément désolé. Des membres de mon peuple se sont ralliés à l’Ombre de leur gré, mais d’autres, comme moi, n’ont pas eu le choix. » Je l’entendis clairement dans ma tête. Son timbre était suave, agréable à écouter.

– Je comprends. Moi non plus je n’ai pas eu le choix… lorsque j’ai dû tuer mon adversaire, répondis-je à voix haute, les larmes aux yeux.

Il serra mes mains un peu plus fort et me considéra d’un air accablé, réellement compatissant.

 « Sachez que ce n’est pas de votre faute. Que pouviez-vous faire d’autre à part vous défendre ? Ne vous laissez pas hanter par cette idée. J’aimerais faire beaucoup plus pour vous aider, mais je ne peux pas, » me confia-t-il dans ma tête.

 Il relâcha doucement mes doigts, se dirigea vers la porte, mais sembla hésiter. Il se retourna pour me regarder.

 « Dans la forêt, lorsque vous vous êtes réfugiée dans l’arbre pour vous cacher, c’était moi, » me souffla-t-il.

 Je pris un instant pour réfléchir et compris ce qu’il voulait dire. Il parlait de la forêt de Lillubia, du moment où nous venions de libérer Orialis, lorsque les Métharcasaps étaient à nos trousses. Je m’étais dissimulée sous le feuillage d’une branche solide.

– Alors c’est vous qui avez envoyé les autres Métharcasaps loin de l’arbre où j’étais cachée, pour me sauver ?

 « Oui. Je savais où vous étiez, et ils risquaient de vous trouver. Alors je les ai envoyés sur une mauvaise piste. »

– Merci ! C’est incroyable ! Mais qu’est-ce qui vous a poussé à faire ça ?

 « Puisque je suis esclave ici, je veux, autant que possible, empêcher l’Ombre de nuire, et aider ceux qui cherchent à l’arrêter... de l’intérieur. »

 Puis il s’en alla en prenant soin de refermer la porte par le charme magique. J’en restai bouche-bée. Je me précipitai alors vers le corps d’Orialis, complètement affolée de la voir dans cet état, toujours inconsciente. J’approchai le plateau pour lui donner à boire et à manger lorsqu’elle serait réveillée. Puis, je mis mes mains au-dessus d’elle afin de guérir ses nombreuses blessures. La lueur verte apparut dans mes paumes et se répandit tout le long de son corps. Son sang vert cessa de couler, les innombrables plaies se refermèrent. Je me sentis grandement soulagée, mais je ne supportais pas l’idée de savoir qu’elle avait été battue, frappée jusqu’à s’en évanouir de douleur. Je ne pouvais contenir ma colère, je désirais punir tous ceux qui lui avaient fait du mal, l’Ombre en première !

 Je la laissais dormir, elle avait grand besoin de repos. Je restai à son chevet, caressant d’une main son front, de l’autre, pétrissant nerveusement le drap doré. Je la regardais d’un air inquiet et priais pour qu’elle guérisse complètement.

 Un peu plus tard, je m’endormis aussi.

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