Chapitre 62 : le courage d’Orialis

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  Orialis regardait la scène perplexe, en pleine réflexion, une main posée sur sa bouche.

– Je pense qu’on peut essayer quelque chose..., marmonna-t-elle. L’Ombre est faite de ténèbres… alors…

 Elle me fixa de ses beaux yeux gris-jaunes, le visage grave. Sans s’expliquer, la Noyrocienne se pencha de sorte que ses antennes se posent contre le tuyau qui se mit à scintiller, à trembloter. Je me demandais bien ce qu’elle était en train de faire, elle allait se griller les antennes de cette façon ! Mais elle restait ainsi, son visage placide malgré mon expression paniquée, le dos courbé vers le pilastre. Ses antennes se mirent soudainement à briller d’une couleur or. Il s’en dégagea d’étranges petits orbes de pas plus d’un centimètre. Les minuscules billes dorées parvinrent à pénétrer l’intérieur du tuyau, tel un fantôme traverserait un mur. Elles se mélangèrent aux bulles violettes et circulaient à présent dans le tube qui continuait à rayonner et à trembloter.

– Que… que fais-tu ? bégayai-je, complètement abasourdie.

 Elle ne répondit pas et resta ainsi, ses antennes collées à la paroi pendant quelques minutes, puis releva la tête pour me dévisager.

– Je viens de perturber le système… de le contaminer, comme tu disais. Puisque ce royaume est imprégné de la magie de l’Ombre, je ne sais pas comment c’est possible, mais j’ai réussi à faire entrer dans le tuyau les molécules qui proviennent des rayons du soleil. La substance les prend en compte mais elle est visiblement en train de dégénérer, elle mute. Je pense qu'elle va sans doute essayer de les exterminer et j'espère... s’autodétruire. La lumière contre l’Ombre ! clama-t-elle réjouit.

– Incroyable ! Mon pouvoir n’arrive pas à transpercer ce tuyau alors que toi si ! Orialis, tu es un génie ! Tu crois qu’un seul suffira ?

– Je ne sais pas, je vais en contaminer au moins deux autres en espérant que cela se propage partout comme tu le penses, car je ne pourrai pas faire plus ; depuis que je suis enfermée ici, je n’ai pas pu refaire mon stock d’astinas. Cela peut s'avérer dangereux pour moi.

  Malgré ses craintes, Orialis s’avança vers le pilier suivant et s’exécuta. Elle fit de même pour deux autres tuyaux, mais ce travail l’épuisait : elle dépensait toute son énergie. Les Noyrociens se nourrissaient du soleil. Ils ne pouvaient pas vivre sans la chaleur de ses rayons. Or, non seulement nous étions enfermées dans une salle souterraine, mais en plus Orialis avait auparavant erré dans une forêt aussi sombre que la nuit. En épuisant ainsi ses réserves d’énergie solaire, Orialis risquait la mort. Je la voyais dépérir devant moi, et je me sentais impuissante. Alors qu’elle venait tout juste de contaminer sa quatrième colonne, Orialis s’évanouit. Je me mis à courir vers elle en poussant un cri.

 Je pris son corps inanimé dans mes bras, puis le déposa délicatement au sol pour utiliser mon pouvoir de guérison sur elle. Je pensai très fort au soleil, aux fameuses astinas dont elle avait grand besoin. Une lumière jaune sortit de mes mains cette fois, comme pour imiter les rayons du soleil.

D’habitude mon pouvoir de guérison est vert, m’étonnai-je.

 Peut-être cela allait-il fonctionner ! Je priais pour qu’Orialis se réveille. La magie continuait d’opérer. Enfin, les antennes de mon amie se remirent à luire. Ses paupières s’ouvrirent lentement, laissant apparaître ses magnifiques yeux gris-jaunes. Je la serrai de plus belle contre moi. Elle arborait à présent un sourire radieux, mais son visage reflétait une extrême fatigue. Elle allait sûrement retomber dans le monde des songes d’ici peu. J’observais, le regard méfiant, les tuyaux scintiller entre le violet et le jaune or, et les bulles défiler à une vitesse fulgurante, comme affolées. Les tubes frémissaient en chœur, produisant un petit bruit sourd.

 Soudain, alors que je m’assurais de la bonne santé d’Orialis, un tourbillon noir apparut au milieu de la salle, juste devant le trône. J’eus peur que ce soit l’Ombre, mais le tourbillon ne prit pas de forme particulière, il n’avançait pas non plus, il restait là, répandant l’obscurité partout dans la pièce.

 Je déposai doucement Orialis sur un côté de la pièce, prenant soin de l’adosser contre le mur, pour me diriger vers le centre de la salle, me positionnant près de cette terrifiante boule noire déchaînée. Comment la détruire ? Contre l’ombre, la lumière, disait Orialis. Je fis sortir de mes mains mon rayon lumineux, le plus pur de tous mes pouvoirs. Il atteignit le tourbillon de ténèbres, le transperça pour toucher son centre. Je laissais émerger ainsi mon faisceau sans discontinuité. L’immense sphère noire continuait à tourner sur elle-même, en produisant des vibrations graves, assourdissantes, mais elle semblait à présent ralentir. Pourtant, ce n’était pas suffisant. Les yeux plissés par ma détermination, j’essayais maintenant de propager la lumière autour la forme sombre, dans le but de l’entourer complètement. Je visualisais mon rayon lumineux en train de l’encercler afin d’amplifier l’intensité du faisceau, et cela fonctionna ; grâce à ma seule volonté. Le fameux pouvoir de la pensée des humains que j’avais acquis en restant si longtemps sur Terre. Mon pouvoir englobait entièrement cette nuée informe qui diminuait peu à peu, tandis que le vrombissement se fit de plus en plus fort.

 Je sentis que tout allait exploser. Il fallait immédiatement faire sortir Orialis. Elle n’était pas capable de se lever. Lâchant mon rayon lumineux, je priai pour que ce soit suffisant et bondis vers son corps, de nouveau inanimé. En saisissant mon amie dans mes bras, je sentis avec soulagement qu’elle respirait. Heureusement que ces longues heures de marche m’avaient bien musclée, car Orialis était plus grande que moi et la salle entière tremblait à présent, comme si elle continuait de se défendre pour nous empêcher de sortir. Je parvins malgré tout à la soulever jusqu’à la porte par laquelle nous étions entrées. La contamination des tuyaux et l’absorption de la boule noire par ma lumière semblaient faire leur effet. Les tubes se mirent à briller encore plus fort alors que le sol et les colonnes commençaient à se fissurer autour de nous. La sphère noire s’arrêta brusquement de pivoter sur elle-même. Nous avions gagné la partie.

 À bout de forces, incapable de la porter plus longtemps, je trainais la pauvre Orialis le plus loin possible, dans le couloir, quand, avisant l’imminence de l’explosion, je conçus un bouclier pour nous protéger toutes les deux. Curieusement, un affreux moment de silence régna, un calme absolu qui semblait prévenir d’une tempête. En effet, tout explosa d’un coup, rependant pêle-mêle éclats de statues et bris de colonnes.

 Dans le couloir, serrant la Noyrocienne, je perçus à travers mon champ de force une lueur bleuté aveuglante. J’entendis un bruit horrible, un son indescriptible qui pouvait probablement rendre sourd, puis tout se mélangea : ombre et lumière, fracas et matériaux. Je n’arrivais même plus à savoir où je me trouvais. Je me voyais au milieu de ce méli-mélo de tout et de rien. Je me recroquevillai contre Orialis, toujours évanouie, et fermai les yeux en me concentrant sur la solidité de mon bouclier.

 Nous étions perdues au milieu du chaos.

 Nous avions à priori tout détruit. Notre objectif atteint, nous pouvions enfin partir.

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