Chapitre 63 : la colère de Kiarah.

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 Après l’explosion, Orialis s’éveilla et prononça mon nom à plusieurs reprises. Je constatai qu’elle me tenait dans ses bras. J’ouvris les yeux légèrement, encore trop sonnée par le choc de la déflagration. Penchée au-dessus de mon corps, elle se mit à sangloter, se mordant la lèvre inferieure, soulagée de me voir en vie. Nous nous trouvions toujours dans le large couloir aux murs luminescents bleus turquoise. La salle du trône devait être complètement détruite, vue l’ampleur de la déflagration. La Noyrocienne me prévint qu’elle venait de contacter nos amis par télépathie. Une lumière blanche apparue, Avorian et Swèèn arrivèrent les premiers. Ils semblaient gravement blessés. L’Enchanteur n’arborait plus sa fière allure, cette prestance à la fois majestueuse et apaisante qui le rajeunissait. Il demeurait courbé, les yeux mi-clos d’épuisement. Swèèn ne pouvait plus poser sa patte-avant gauche par terre. Son museau se trempait d’un sang argenté. Cela me faisait terriblement mal de les voir dans cet état. Puis Arianna arriva, quant à elle, indemne. Elle n’était pas la reine des fées pour rien. Imperturbable à toute épreuve, forte, déterminée.

 Orialis poussa un petit cri à la vue d’Avorian qui s’écroulait de tout son long. Swèèn battit des ailes, comme pour se prouver qu’il vivait encore, et voulu secourir l’Enchanteur, mais il se coucha, incapable de se mouvoir. La Noyrocienne maintenait sa main plaquée contre sa bouche, les yeux agrandis de stupeur. Un nouveau flot de larmes coula sur ses joues déjà humides et irritées par le sel. Elle se sentait impuissante, et je pouvais tellement la comprendre.

 Arianna s’approcha de nos pauvres compagnons gisants sur le sol pour débuter les soins. Il sortit de ses mains une lueur verte, et les plaies se refermèrent d’elles-mêmes. Les nombreuses blessures des deux héros disparurent totalement, sans laisser de trace.

 Quelques secondes plus tard, Avorian s’éveilla au même moment où je refermais mes paupières, toujours dans les bras d’Orialis. Je sentis sur mon visage un léger courant d’air, provoqué par le battement d’ailes d’Arianna.

– On a réussi à tout désactiver… Mais une boule noire est apparue, et…

Orialis dut s’arrêter à cause de sa peine.

– Kiarah a réussi à nous protéger avec son bouclier…, reprit-elle en laissant échapper un hoquet de tristesse.

 Je rouvris doucement les yeux pour ne pas inquiéter plus longtemps mon amie. J’entendais le son de sa voix, mais je me sentais encore perdue entre deux mondes, le regard dans le vague. Avorian sourit à Orialis, l’air serein. Il avait maintenant retrouvé son charisme. Il s’approcha de nous et serra Orialis contre lui pour la réconforter, si bien que je me retrouvai littéralement écrasée entre les deux. Je poussai un « eh ! » de mécontentement.

– Orialis… calme-toi. Elle va bien. Regarde : elle continue de râler ! plaisanta Avorian.

 Cette remarque fit rire la Noyrocienne. Sans doute plus par nervosité qu’autre chose d’ailleurs.

– Un héros ne doit jamais mourir après son exploit ! ajouta Swèèn à la manière d’une sentence.

– Nous allons la guérir, ne t’en fais pas, mais avant, il faut sortir d’ici et vite ! L’Ombre va bientôt arriver, et elle va réactiver le champ de force du royaume, plus de temps à perdre, nous précipita Arianna.

 Trop tard. L’Ombre se matérialisa une nouvelle fois devant nous.

– Changement de plan, il va falloir la soigner tout de suite ! avisa Orialis.

Arianna s’exécuta tandis que Swèèn et Avorian firent face à la sinistre créature.

– Je suis terriblement en colère… VOUS AVEZ TOUT DÉTRUIT ! rugit l’Ombre. Je ne vous laisserai pas partir de mon royaume vivants !

 Sa terrible voix fit trembler mes compagnons. Cette fois, notre adversaire se montrait sous son vrai visage, alors que nous étions en piteux état. Son terrible regard pourpre exprimait tout son courroux. La masse informe de la créature semblait instable : elle s’agrandissait, puis se comprimait à la vitesse de l’éclair, comme si elle ne pouvait plus contenir sa haine

– Jamais je n’ai connu un tel affront. Je ne puis le supporter, continua l’Ombre, implacable.

– Tu en subiras bien d’autres ! À moins que ce jour ne soit ta fin ! riposta Avorian.

– Insolent ! tança l’insulté.

 Une nuée noire jaillit de notre ennemi, se dirigeant droit sur Avorian. Mais celui-ci parvint à l’esquiver malgré toutes les épreuves qu’il venait d’endurer.

 Arianna et Swèèn ripostèrent en chœur par deux rayons : respectivement multicolore et argenté. L’Ombre eut du mal à éviter les deux attaques simultanées, mais parvint toutefois à propulser de puissantes bourrasques. Incapable de me défendre tant je me sentais épuisée, j’oubliai de me construire un bouclier. Orialis réussi à me bousculer sur le côté avec une telle célérité que le pouvoir de l’Ombre ne put m’atteindre. Mon amie fut malheureusement entraînée dans son mouvement et s’écroula à côté de moi.

– Non ! criai-je, cette fois totalement réveillée.

 Par chance, Orialis n’avait rien ; elle semblait juste un peu sonnée. Mais c’en était trop. L’image de mes amis en sang après leur combat me revint en mémoire. J’en ressentis un haut-le-cœur. J’aidai ma sauveuse à se relever puis me postai avec Avorian, Swèèn et Arianna. Nous combinâmes alors nos attaques simultanément, tel un accord tacite. Nos larges rayons devinrent ainsi une seule et même lumière. Nos pensées se mêlèrent afin de propager toute notre puissance contre l’Ombre. Cette dernière ne pu la contrer : elle reçut nos faisceaux mortels en son corps immatériel et poussa un cri strident, mais réagit aussitôt en concentrant sa magie noire sur Avorian. Je tentai de le défendre en décochant quatre sphères. Notre adversaire les ingéra toutes, sans broncher. La fureur de l’Ombre était telle que rien ne pouvait l’arrêter.

– Non Kiarah ! me cria Avorian. N’utilise surtout pas les sphères !

 L’instant d’après, il sortit de la masse sombre le même nombre de sphères, colorées de noir. Cet être malfaisant me les renvoyait, à l’image d’un miroir maléfique. En une seconde, je fis apparaître un bouclier translucide autour de moi. Les quatre globes le percutèrent et explosèrent contre sa paroi. Je mis instinctivement mon bras devant moi, effrayée par le choc de la détonation. Geste inutile : mon champ de forces tenait bon.

 Notre ennemi se déchainait, projetant de sa masse informe des jets sombres. Nous ne parvenions plus à voir ce qui se passait tant les nuées cachaient toute lumière.

 Une colère sans nom m’envahit. D’abord notre ami Métharcasap qui s’était sacrifié pour nous, et maintenant, à qui le tour ? Si cela continuait ainsi, quelqu’un d’autre allait mourir ! Orialis était vulnérable, exténuée par son exploit et devenait de ce fait une proie facile. Cela me révoltait.

 Je me redressai alors, imposante.

– Nous allons partir d’ici sains et saufs ! proférai-je à l’Ombre.

 Celle-ci se détourna de ses adversaires pour s’opposer à moi, mais je ne lui laissai pas le temps de faire quoi que ce soit. Ma rage était telle que je ne me contrôlais plus. Je ne voyais plus rien autour de moi, le corridor tout entier venait de disparaître ainsi que ses occupants. Tous, sauf l’Ombre, juste en face de moi. Je me trouvais dans un endroit à part, entre deux mondes, une zone de ténèbres. Pourtant, je ne ressentais aucune peur. Rien ne pouvait me troubler, ni m’arrêter. Je me sentis en cet instant terriblement puissante, invincible. Cette sensation grisante me fit perdre toute notion de morale. Je ne me rendais même pas compte qu’à ce moment là, j’utilisais les forces obscures qui sombraient en moi. Ma tristesse et ma haine me détournaient de la raison et de la bonté.

 Détruire. C’était la seule chose que je devais faire à présent. Je me surpris à léviter, à environ un mètre au-dessus du sol, mais dans mon état actuel, j’étais incapable de m’en offusquer. Une lumière turquoise irradia de tout mon corps, illuminant cet espace obscure. Elle se dirigea d’elle-même sur l’Ombre. Celle-ci tentait vainement de la repousser à l’aide de ses rafales ténébreuses, mais rien à faire : la lueur se fit de plus en plus dense et entoura mon ennemi. Rien ne pouvait contrer ma puissance. L’Ombre disparut en hurlant, comme si mon rayon azurin la brûlait.

 Ce cri me ramena à la réalité. Je distinguais à présent le couloir dans lequel nous nous trouvions, et mes amis autour de moi.

 Lentement, mon corps retourna de lui-même sur la terre ferme.

– C’est le moment de se volatiliser, vite ! nous lança Arianna.

– Orialis, prends la main de Kiarah et la patte – celle qui n’est pas cassée, de préférence – de Swèèn. Allons-y ! fit Avorian.

 La Noyrocienne s’exécuta et m’enserra le poignet afin de s’assurer que je ne retourne pas dans les airs. Un éclat blanc nous entoura, et cette fois, aucune barrière magique ne nous repoussa. Ainsi, tout notre petit groupe put s’éclipser de ce sombre royaume.

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