L'invité du solstice - Partie 1
Le train serpentait entre les sapins serrés comme des soldats, son souffle régulier troublant le silence des montagnes. Julien regardait défiler les paysages par la vitre, le menton appuyé contre ses doigts, un carnet vierge sur les genoux. Il n’avait pas encore trouvé la force d’y inscrire la moindre ligne.
À mesure que les heures passaient, les villes se faisaient plus rares, les gares plus petites, les visages plus discrets. Il ne connaissait rien de Valbreuil, si ce n’est ce que Matthias lui en avait écrit dans son message : « Tu as besoin d’un endroit calme. Viens. Le solstice approche. C’est la meilleure période. »
Julien avait hésité. Il n’avait pas vu Matthias depuis la fac, quinze ans plus tôt. Et pourtant, il avait accepté. Il n’avait pas vraiment d’autre endroit où aller.
Depuis que Claire était partie, sans cris, sans disputes, juste un silence plus fort que tout le reste, son appartement à Lyon lui semblait saturé. Chaque pièce sentait l’absence. L’air lui-même lui était devenu trop dense, on eût dit que les murs retenaient leur souffle en sa présence.
Le train siffla doucement. Une voix lointaine annonça : « Prochaine station : Saint-Loup. Correspondance pour Valbreuil. »
Julien rangea son cahier et descendit avec son sac. La gare de Saint-Loup n’était guère plus qu’un quai de bois mangé par la mousse, avec un banc en fer forgé et une horloge bloquée sur 17h12. Il n’y avait pas de distributeur, pas de taxi, juste un panneau peint à la main : « Navette pour Valbreuil, 10 minutes de marche vers l’Est. »
Il suivit le sentier indiqué, un petit chemin de terre bordé de ronces et de pierres plates, s’enfonçant dans une forêt silencieuse. L’air était plus frais ici, plus pur.Presque trop pur. Loin de la ville. Les oiseaux ne chantaient pas.
Julien se surprit à sourire malgré lui. Il avait toujours aimé les endroits un peu à part, les marges, les interstices du monde. Et Valbreuil promettait d’être exactement cela.
Lorsqu’il arriva en vue du village, la lumière avait déjà changé. Un voile doré recouvrait les toits d’ardoise et les murs de pierre claire. Valbreuil semblait suspendu hors du temps, tel un décor trop parfait, oublié par un réalisateur distrait.
Sur la place centrale, un petit groupe de gens bavardaient près d’une fontaine. Dès qu’il apparut, plusieurs têtes se tournèrent vers lui, à croire qu'on l’attendait.
Un homme s’approcha, grand, souriant et les bras ouverts.
- Julien ! Mon vieux ! Tu n’as pas changé d’un poil !
Julien le reconnut aussitôt. Matthias. Plus barbu, plus solide. Une chaleur sincère dans les yeux.
lls se serrèrent doucement. Un frisson imperceptible remonta la colonne de Julien.
- Tu arrives juste à temps. On prépare le solstice. C’est dans quatre jours. Tu vas adorer.
- Qu’est-ce que c’est, exactement ? demanda Julien, tout en marchant à ses côtés.
Matthias haussa les épaules avec un sourire énigmatique.
- Un peu de théâtre. Un peu de musique. Un peu d’histoire ancienne… Tu verras. Ici, le solstice, c’est important.
Ils passèrent devant une maison au toit de chaume. Une vieille femme était assise sur le seuil. Elle leva les yeux vers Julien… et lui sourit avec une lenteur étrange, comme si elle le reconnaissait. Comme si elle le connaissait depuis toujours.
Julien voulut lui rendre son sourire, mais ses lèvres étaient sèches.
- Tout le monde est… très accueillant, hésita-il.
- Valbreuil est un village comme on n’en fait plus, répondit Matthias. Personne ne vient ici par hasard.
Julien s’arrêta.
- Comment ça ?
- Je veux dire… rit Matthias, que tu avais besoin d’un endroit pour te retrouver. Et ici, on n’est jamais vraiment perdu.
Il désigna une auberge à la façade de bois sculpté.
- Tu vas dormir ici. « La Source ». Tu vas adorer. On t’a préparé une chambre avec vue sur la forêt.
Julien monta les marches. Au moment d’entrer, il eut un léger vertige.
Quand il posa le pied à l’intérieur, il se retourna une dernière fois vers le village.
Les gens sur la place le regardaient encore.
Annotations