L'invité du solstice - Partie 2

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L’intérieur de l’auberge était tiède, enveloppant. Le bois y dominait partout ; plancher, murs, meubles, dans une teinte miel patinée par les années. L’odeur était celle de la cire d’abeille et des herbes séchées. Un silence épais régnait, à peine troublé par le tic-tac d’une horloge ancienne derrière le comptoir.

Une femme d’un certain âge, haute et droite comme un cyprès, l’attendait.

- Bonjour, Julien. Bienvenue à La Source.

Il s’arrêta net.

- Vous… vous connaissez mon nom ?

Elle eut un sourire lisse, un peu trop parfait.

- On nous a prévenus de ton arrivée. Et ici, tout le monde finit par se connaître.
Elle tendit une clé en laiton, lourde, attachée à un porte-clés en bois sculpté. Une silhouette stylisée, mi-homme mi-cerf.
- Chambre Sept. Vue sur les bois. Tu vas dormir comme un enfant.

Julien monta lentement l’escalier étroit, la clé serrée dans sa main. Le bois craquait sous ses pas comme s’il réagissait à sa présence. Il longea un couloir dont les murs étaient couverts de photos sépia : des visages souriants, des fêtes champêtres, des couronnes de fleurs. La plupart des visages flous.

La chambre 7 était située au bout du couloir. Quand il ouvrit la porte, une odeur fraîche de terre humide s’en échappa. L’intérieur était simple : un lit à baldaquin en bois sculpté, une commode, un petit bureau, et une grande baie vitrée donnant sur une mer de fougères et de sapins.

Il resta un moment immobile, comme figé par la scène.

Quelque chose dans cette pièce lui semblait familier. Pas dans le sens d’un déjà-vu banal, non. Plutôt comme s’il avait déjà dormi ici, vécu ici même.

Sur la table de nuit, un objet attira son attention.

Un carnet noir, relié de cuir. Fermé par une lanière. Il n’était pas là tout à l’heure, lorsqu’il était entré, il en était certain.

Il hésita, puis l’ouvrit.

Première page : blanche. Deuxième : des lignes manuscrites, encre noire. Une écriture serrée… sa propre écriture.

« Le rêve revient. Celui avec les masques. Je ne sais pas combien de fois je l’ai fait. Chaque nuit ici semble le ramener. Je dois me souvenir. Je dois rester éveillé. »

Julien recula, les mains tremblantes.

Il n’avait jamais écrit ça.

Du moins… il croyait ne jamais l’avoir écrit.

La nuit tomba plus vite que prévu. À 21h, le village baignait déjà dans l’ombre bleutée des montagnes. Depuis la fenêtre de sa chambre, Julien apercevait au loin quelques lanternes allumées autour de la fontaine.

Des voix montaient, des rires. Une fête improvisée, peut-être.

Il n’avait pas faim. Pas envie de sortir non plus. Le carnet était toujours là, posé sur la table. Il n’osait pas l’ouvrir de nouveau. Il alluma la lampe de chevet, se laissa tomber sur le lit, les bras croisés derrière la tête.

C’est là que le rêve commença.

Il était dans la forêt. Nuit sans lune. Une lumière bleue flottait entre les arbres, irréelle.

Devant lui, trois silhouettes portaient des masques d’écorce. Silencieuses.

L’une d’elles s’approcha. Son masque représentait un visage d’homme au sourire immense, déformé, grotesque. L’être tendit les bras et ouvrit la bouche…
Mais aucun son n’en sortit.

À la place, Julien entendit un bruissement dans son dos, comme un souffle végétal. Il se retourna, et se retrouva nez à nez avec lui-même.

Ou presque.

Une version plus vieille, usée. Les traits tirés, les yeux cernés, le front marqué d’un symbole qu’il ne comprenait pas.

L’homme le fixait. Et dit simplement :

- Tu dors encore. Il faut te réveiller.

Julien hurla.

Il se redressa d’un bond dans son lit, le cœur battant à tout rompre.

Silence.

La lampe de chevet était éteinte.

Mais la pièce était baignée d’une lueur verte, comme si une lumière filtrait depuis la forêt.

Il s’approcha de la fenêtre.

Dans les bois, entre les troncs noirs, des lanternes flottaient. Plusieurs personnes, encapuchonnées, marchaient lentement en cercle, torche à la main. Un chant sourd montait dans la nuit.

Un chant sans mots. Primitif.

Julien resta figé, incapable de bouger.

L’un des marcheurs leva lentement la tête.

Même à cette distance, il croisa son regard.

Et il lui sourit.

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