L'invité du solstice - Partie 3

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Au matin, la lumière avait changé. Elle était plus… lourde. Jaune sale, un peu grasse, comme si le soleil s’était levé derrière un voile.

Julien s’éveilla avec une impression de fatigue plus dense qu’à son coucher. Le rêve flottait encore dans son esprit, flou mais collant, comme du goudron chaud sur la peau.

Il se leva, ouvrit la fenêtre en grand.

La forêt était là, immobile. Les fougères ondulaient doucement sous une brise sans bruit. Aucun signe des silhouettes de la veille. Aucun chant. Aucune trace des lanternes.

Seulement… quelque chose avait changé dans le paysage.

Il mit un moment à comprendre quoi.

Un cercle de pierres noires avait été dressé, à l’orée des arbres. Il n’y en avait pas, hier. Il en était certain. Hautes d’un mètre environ, grossièrement taillées, les pierres formaient une sorte d’alignement chaotique, presque animal.

Julien descendit rapidement. La salle commune de l’auberge était vide. Pas un client, pas même l’aubergiste. Une assiette de pain frais l’attendait sur la table, avec du beurre et du miel. Le tout encore tiède.

Il ne toucha à rien.

Dehors, le village semblait figé. Une odeur d’encens flottait dans l’air, âcre, presque médicinale. Une femme balayait devant sa maison. Un enfant jouait à faire tourner un bâton dans la poussière. Tous s’arrêtèrent quand Julien passa.

Et tous le saluèrent avec une lenteur étrange, comme si chaque mouvement était ritualisé.

- Le sommeil t’a fait du bien, dit Matthias en apparaissant dans son dos, comme s’il l’avait attendu.

Julien sursauta.

- Tu… tu sais que j’ai fait un cauchemar cette nuit ?

Matthias haussa un sourcil.

- Cauchemar ? Tu crois que c’en était un ?

Julien le fixa.

- Tu parles comme si… comme si tu savais de quoi je parle.

Un silence.

Puis Matthias reprit, plus doux :

- Ici, on rêve tous. C’est la forêt. Elle entre dans la tête. Surtout quand on arrive. Elle doit te tester.
Il posa une main sur l’épaule de Julien.
- Mais tu vas t’y faire. Elle sait qui tu es. Et elle t’aime bien, je crois.

Julien recula légèrement, mal à l’aise.

- Et ce cercle de pierres, dans la clairière ? Il n’était pas là hier.

Matthias sourit.

- Il ne se montre qu’à ceux qui doivent le voir.

Il passa la journée à errer dans le village, comme dans un musée vivant.

Chaque maison semblait avoir été figée dans une époque floue, ni moderne, ni ancienne. Les gens vivaient lentement. Ils fabriquaient des choses à la main, chantaient des chansons sans âge, suspendaient des herbes à leurs portes.

Et tous, tous connaissaient son nom.

Plusieurs fois, on lui fit des signes de tête, des saluts murmurés, des regards pleins de ce mélange effrayant de respect et de… soumission.

En début d’après-midi, il croisa la vieille femme de la première nuit. Elle se tenait près du puits, un panier d’orties à la main.

Elle lui fit un signe.

- Julien… Tu es revenu. C’est bien.

Il s’arrêta net.

- Pardon ? Revenu d’où ?

Elle le fixa de ses yeux pâles, inquiets. Puis elle s’approcha, et lui prit la main.

- Tu as mis plus de temps, cette fois. Mais tu as senti l’appel, n’est-ce pas ?

Julien se dégagea.

- Écoutez, je crois qu’on me confond avec quelqu’un d’autre.

Elle secoua lentement la tête.

- Il n’y a pas de confusion. Pas ici. Pas à Valbreuil.

Un silence.

Puis elle ajouta, tout bas :

- Si tu veux des réponses, va voir le bois sculpté, à l’arrière de l’église. Regarde bien.

Elle tourna les talons et disparut dans une ruelle.

L’église de Valbreuil n’avait rien de chrétien.

Une bâtisse sans clocher, construite en pierre blonde, ouverte aux quatre vents, avec un toit de chaume et une nef circulaire. À l’intérieur, aucune croix. Pas de bancs. Juste un autel central, fait d’un tronc d’arbre pétrifié.

Mais ce fut le panneau sculpté à l’arrière qui le cloua sur place.

Une immense fresque de bois, sombre et lustrée, incrustée dans le mur. Elle représentait une scène de forêt : des figures humaines, en cercle, autour d’un feu. Parmi elles, un homme couronné de feuilles, debout, les bras ouverts.

Son visage…

Julien sentit son estomac se contracter.

C’était son visage.

Pas une ressemblance vague, non.

Son portrait exact. Gravé dans le bois.

Juste au-dessous, une inscription en vieux français :

« Celui qui revient. Celui qui garde. Celui qui ne se souvient pas. »

Julien recula, suffoquant.

Une main se posa sur son épaule.

- Tu comprends, maintenant ?

C’était Matthias. Immobile, regard grave.

- Tu n’es pas ici pour te reposer, Julien. Tu es ici pour revenir.

Julien balbutia :

- Mais revenir… d’où ?

Matthias sourit.

Un sourire qui n’atteignait pas ses yeux.

- De toi-même.

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