L'invité du solstice - Partie 4

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Julien quitta l’église en titubant. Le visage gravé dans le bois – le sien, sans l’ombre d’un doute, le hantait comme une brûlure au fond des yeux.

Il marcha longtemps, sans destination, jusqu’à sortir du village. L’air de la forêt semblait plus dense à mesure qu’il avançait, comme si la lumière s’épaississait autour de lui. Chaque pas résonnait d’un écho trop profond, comme si la terre enregistrait sa présence.

Il s’arrêta devant le cercle de pierres.

Elles étaient là, noires, lisses, disposées de façon irrégulière. Certaines penchaient, d’autres semblaient plantées trop profondément pour avoir été installées récemment.

Julien s’approcha.

Au centre, le sol était jonché de feuilles mortes, mais une zone circulaire restait dégagée, une surface nue, sans mousse, sans herbe. Comme si quelque chose s’était tenu là. Récemment.

Il s’assit au bord, le souffle court. Puis il sortit le carnet retrouvé dans sa chambre.

Il tourna les pages lentement.

Elles n’étaient plus blanches.

Chaque feuille portait désormais des mots qu’il ne se souvenait pas d’avoir écrits.

Des fragments de pensées, comme arrachés à un esprit brisé :

« Ils disent que je suis là pour rester. Que je suis revenu. Mais je ne me souviens pas d’être parti. »
« Le masque me fait mal. Je ne veux plus danser. »
« Si je dors, je redeviens Lui. Si je veille, je me souviens. »

Sur la dernière page : une date. Celle du jour même.

Et en dessous, une phrase tracée à la hâte :

« À la tombée du jour, ne regarde pas ton reflet. »

Julien sursauta. Il referma le carnet d’un coup sec. Son cœur battait contre ses côtes comme un oiseau affolé.

Un craquement dans les bois.

Il se retourna.

Une silhouette se tenait entre les arbres. Immobile. Grande. Vêtue d’un manteau sombre, capuche relevée. Le visage masqué d’écorce et de plumes. Masque figé, bouche ouverte dans un rictus d’émerveillement ou de terreur.

L’être leva lentement la main.

Et pointa du doigt Julien.

Il recula d’un pas, trébucha. Quand il se redressa, la silhouette avait disparu.

De retour au village, la lumière était différente. Plus orangée. Plus basse.

Et les gens… n’étaient plus tout à fait les mêmes.

Ils portaient des tenues blanches, des couronnes de feuillage. Leurs visages étaient paisibles, trop paisibles. Comme si une cérémonie muette avait déjà commencé.

Julien se réfugia dans l’auberge. Il grimpa à l’étage, claqua la porte de sa chambre.

Son reflet, dans le miroir au-dessus de la commode, le fixait.

Il détourna les yeux. Se souvint de la note.

« Ne regarde pas ton reflet. »

Trop tard.

Il se rapprocha lentement du miroir. Quelque chose clochait. Son visage semblait… décalé. Ses traits y étaient, mais l’expression n’était pas la sienne. Pas celle qu’il ressentait.

Le reflet souriait.

Julien, lui, non.

Puis, lentement, le reflet leva la main, alors que lui restait immobile.

Il recula, hurla, balaya le miroir d’un coup de bras. Verre brisé, sang. Le miroir tomba, se fracassa au sol.

Quelqu’un frappa à la porte. Une voix douce.

- Julien… Il est l’heure. Tu dois venir. Tout est prêt.

C’était la voix de Claire.

Il gela. Claire.

Il ouvrit la porte d’un geste brusque.

Personne.

Juste le couloir vide. Une odeur de mousse et de pluie.

Et là, sur le sol, devant sa porte : un masque. En bois sombre, aux contours humains, lisses… sans bouche.

Un petit mot était glissé à l’intérieur :

« Tu étais déjà là. Tu as juste oublié comment t’appeler. »

Julien sentit le monde vaciller autour de lui. Une pensée s’imposa dans son esprit, claire, tranchante, comme venue de l’extérieur :

Et si ce village n’était pas un endroit… mais une boucle ?

Une boucle où il revenait à chaque solstice ?

Une pièce sans portes.

Un rôle qu’on lui faisait jouer encore et encore, jusqu’à ce qu’il accepte.

Et cette fois, il était sur le point de se souvenir.

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