L'invité du solstice - Partie 5

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La nuit était tombée sans prévenir.

Julien errait dans les bois. Il ne savait plus comment il était sorti de l’auberge. Il se souvenait du miroir brisé. Du masque laissé au sol. De la voix de Claire.

Mais après cela… le noir.

À présent, des torches ponctuaient les arbres comme des lucioles immobiles. Des chants anciens résonnaient entre les troncs, lents, graves, en langue oubliée.

Et il marchait. Pieds nus. Le sol humide sous ses pas. Quelqu’un l’avait vêtu d’une tunique blanche. Il n’avait pas de souvenir de l’avoir mise.

Autour de lui, d’autres silhouettes avançaient. Toutes masquées. Toutes en silence. Leurs pas formaient une chorégraphie subtile, répétée mille fois.

Il comprit qu’ils se dirigeaient tous vers le cercle de pierres.

Au centre du cercle, une grande table de bois brut avait été dressée. Dessus, des objets rituels : des couronnes, des chandelles noires, une coupe de cuivre pleine de quelque chose qui ressemblait à du vin… ou du sang.

Julien voulut parler. Demander ce qu’on faisait là. Hurler. Courir.

Mais son corps ne lui obéissait plus.

Il resta immobile, les bras ballants, tandis que la procession s’agenouillait autour de lui.

Un homme s’avança.

Matthias.

Sans masque, cette fois. Son visage était grave, mais ses yeux brillaient d’une lueur presque… amoureuse.

- Frère Julien, dit-il solennellement. Tu as enfin trouvé le chemin.
Il tendit les bras.
- Tu t’es réveillé. Le solstice est là. Il est temps que tu te rappelles.

Julien ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun son ne sortit. Quelque chose dans sa gorge bloquait ses mots, comme si on les lui avait arrachés.

Alors Matthias se tourna vers la foule à genoux.

- Qu’il reçoive sa mémoire.

Un murmure monta, comme une prière. Et l’un des membres masqués, une femme, s’approcha de Julien.

Elle leva les bras… et retira son masque.

Claire.

Pas l’infirmière. Pas tout à fait.

Ses traits étaient les mêmes, mais plus durs. Plus anciens. Comme si elle portait son propre visage à travers les âges.

Elle posa les mains sur les tempes de Julien.

Et il vit.

Des images jaillirent. Trop vite. Trop fort.

Des feux de solstice. Des visages familiers. Des chants identiques. Des corps en cercle, toujours les mêmes. Lui, au centre, vêtu de blanc, encore et encore.

Puis plus loin dans le temps.

Des grottes. Des os. Des invocations. Des enfants offerts. Des pactes.

Et lui. Toujours lui.

Pas comme un élu. Mais comme une ancre.

Un souvenir, vieux comme la forêt, s’imposa enfin :

Un sacrifice avait été fait, il y a très longtemps. Le sang d’un frère, donné au bois pour préserver la terre. En échange : l’éternel retour. Le gardien.
Celui qui revient chaque solstice, oublié, puis réveillé.

Il avait été l’offrande. Et l’accepté.

Et chaque 28 juillet, à la veille du jour le plus long, ils le ramenaient.

Pas par magie.

Par conditionnement. Hypnose. Rituel mental. Tout était prévu. L’invitation. L’accident. L’auberge. Le miroir. Le carnet.

Et à chaque cycle, il retombait dans la boucle.

Julien tomba à genoux, suffoquant.

Il leva les yeux vers Claire.

- Pourquoi… moi ?

Elle s’agenouilla à son tour. Le prit dans ses bras comme une mère tiendrait un enfant trop vieux pour pleurer.

- Parce que tu as accepté. Et parce que sans toi, nous mourrons tous. Le cycle ne peut pas être rompu.

Julien ferma les yeux.

Et rit.

Un rire sec, cassé, inhumain.

- Alors... je suis le centre du piège.

Claire lui caressa la joue.

- Non. Tu es le piège.

Il ouvrit les yeux.

Et réalisa.

Ils n’étaient pas dans une forêt.

Le cercle, les arbres, les torches… tout était un décor.

Un théâtre en plein air. Recréé dans une immense pièce circulaire. Des hauts murs en béton, peints pour ressembler à des troncs. Des haut-parleurs diffusaient les sons de la forêt. Des projecteurs recréaient la lune.

Il tourna sur lui-même, choqué.

La foule était figée.

Et chaque masque tombait… un à un.

Derrière eux : des visages en blouse blanche. Des médecins. Des chercheurs.

Et Claire… Claire portait une oreillette.

Matthias aussi.

Julien hurla.

Mais cette fois, sa voix sortit clairement.

Et quelqu’un, derrière les vitres teintées de la salle d’observation, nota dans un carnet :

Sujet 7 – Amnésie effacée. Mémoire restaurée. Simulation conclue. Cycle 32 terminé. Prêt pour l’implantation suivante.

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