Le collectionneur - Partie finale

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Les jours qui suivirent ne ressemblaient à rien de ce qu’elle avait vécu.

Juliette ne parlait plus. Elle ne pleurait pas. Elle flottait.

Sa mère, inquiète, lui posa des questions. Les profs aussi. On parla de malaise, de stress, d’une « chute sans gravité ». Elle répondit par des phrases courtes, lointaines, comme si elle les lisait sur un prompteur invisible. Personne n’insista.

Mais quelque chose avait changé. Elle le savait.

Ce n’était pas la peur. Ni le traumatisme. C’était autre chose. Comme un voile tiré sur le monde. Tout lui semblait… immobile.

Dans les couloirs du collège, les élèves passaient, riaient, se poussaient. Mais elle ne les voyait plus comme avant. Les visages étaient flous. Les voix distantes. Chaque scène semblait se répéter, comme un film mal monté. Elle se surprit à fixer les détails, un stylo posé à gauche d’un cahier, une montre qui clignotait à intervalles trop réguliers, une feuille qui ne tombait jamais de la branche.

Tout était en place. Trop en place.

Et puis, il y avait la figurine.

Elle l’avait rangée dans un tiroir de sa table de nuit. Mais chaque matin, elle la retrouvait ailleurs : sur son bureau, dans sa trousse, posée au bord de la baignoire. Le petit visage sculpté, le sien, avait changé. Les yeux, maintenant, étaient fermés.

Une nuit, elle rêva de la vitrine.

Elle s’y voyait, parfaitement alignée. Entourée des autres. Élise. Yanis. Thomas. Tous figés. Tous calmes.
Et au centre de la pièce, lui.

Monsieur Dumas, souriant, la loupe à la main.

Quand elle se réveilla, elle crut entendre sa voix chuchoter, tout près de son oreille :

« Il faut savoir rester à sa place. »

Le dernier signe arriva un lundi matin.

En entrant dans la classe, elle vit que la chaise de Thomas était occupée.

Un garçon. Même âge. Même posture. Mais ce n’était pas Thomas. Pas vraiment. Il avait ses gestes, sa voix, ses habitudes. Mais son regard était vide. Un regard de cire.

Les autres l’appelèrent par son prénom. Comme si rien n’avait changé. Comme si tout était normal.

Juliette voulut parler, mais sa gorge se serra.

Quand elle regarda autour d’elle, elle comprit.
Il y en avait d’autres.

Des élèves qu’elle n’avait jamais vraiment regardés. Trop parfaits. Trop silencieux. Trop bien rangés.

Des figurines en mouvement.

Elle n’était pas sortie du musée.
Elle y vivait désormais.

Et dans une maison voisine, à la véranda paisible, un homme ajustait une nouvelle vitrine.
Il plaça une petite figurine dans un écrin de velours.

Sur l’étiquette, une écriture fine, presque élégante :

Juliette Lefèvre - Curieuse. Résistante. Classée.

Il referma la vitre avec un petit cliquetis.
Un sourire aux lèvres.

L’ordre était parfait.

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