L'abonné - Partie 1
Naël détestait le vide.
Pas le vide au sens philosophique. Le vide numérique. Les journées sans notifications, sans messages, sans clips à faire défiler. Il avait quinze ans, un téléphone dernier cri greffé à la main, et le cerveau constamment irrigué de contenus.
TikTok, Insta, Reels, ViewX, même les forums obscurs où les gens parlaient d’histoires bizarres arrivées à “un cousin d’un pote”. Il consommait tout. Le paranormal, les hacks, les confessions d’internautes qui prétendaient avoir vu le diable dans leur miroir ou téléchargé une appli interdite. Il ne croyait à rien, mais il regardait tout. Il aimait l’idée qu’un truc puisse le secouer.
Sauf que rien ne le secouait.
Jamais.
Il en avait marre des fausses frayeurs, des screamers mal montés, des montages trop nets pour être honnêtes. Il avait tout vu. Même les vidéos censées « te hanter pour toujours » n’arrivaient plus à lui filer un frisson.
Et puis, un samedi soir de novembre, il tomba sur elle.
Ce soir-là, ses parents étaient partis pour le week-end, une virée chez une tante cardiaque à Dijon. Lui avait prétexté une interro de physique, ce qui les avait fait sourire car il était dernier de sa classe. Bref, il avait la maison pour lui, une réserve de junk food, et des heures devant lui pour faire défiler l’inutile.
Il lança ViewX, une appli semi-clandestine où on trouvait le pire et le plus douteux d’Internet : vidéos censurées, chaînes bannies, contenus « trop vrais pour YouTube ». Il aimait cette ambiance de sous-sol, cette interface noire qui donnait l’impression de naviguer dans une cave.
Il errait de vidéo en vidéo quand une notification inhabituelle s’afficha en haut de l’écran :
Nouvelle chaîne détectée pour vous : TU ES L’ABONNÉ.
Naël fronça les sourcils. Il n’avait rien cherché. Aucun mot-clé, aucune requête.
Il cliqua par curiosité.
La chaîne n’avait qu’une seule vidéo. Aucun abonné. Aucun commentaire.
La miniature était floue, mal cadrée. Elle semblait représenter un couloir sombre avec, tout au fond, une silhouette. À peine visible. Juste… là.
Titre : « TOI. »
Durée : 1 minute 43.
Naël sentit un petit frisson, le premier depuis longtemps. Il appuya sur « lecture ».
L’image mit quelques secondes à se charger.
Et puis il vit.
Sa propre chambre.
Filtrée par une caméra inconnue. Vue de haut, légèrement en biais. Comme si quelqu’un filmait depuis un coin du plafond, juste derrière lui.
On le voyait assis sur son lit, les jambes croisées, exactement comme maintenant. Même T-shirt gris, même sweat élimé. Dans la vidéo, il tenait son téléphone de la main droite… puis changeait de main.
Naël baissa les yeux.
Il tenait son téléphone dans la main droite, au moment même où son double à l’écran faisait exactement le même mouvement. Même geste. Même rythme.
Dans la vidéo, il penchait la tête à gauche.
Il le fit.
Et comprit.
Ce n’était pas une vidéo d’hier.
C’était maintenant.
Une sorte de miroir numérique, mais avec un micro-décalage. Comme un reflet qui aurait une seconde d’avance.
Il sursauta, recula dans son lit, fit tomber une canette vide. Sur l’écran, le bruit se produisit, une seconde avant dans la vidéo.
Il coupa net. Ferma ViewX. Reboota son téléphone.
Rien n’y fit.
Quand il rouvrit l’appli, la vidéo était encore là. Et cette fois, le compteur affichait :
1 vue.
1 j’aime.
« Hâte de voir la suite. »
Naël se leva lentement. Son cœur battait un peu trop vite. Il inspecta chaque coin de sa chambre, le plafond, les murs. Pas de caméra. Pas de webcam allumée. Il fouilla derrière les posters, retourna sa lampe de bureau. Rien.
Il coupa la Wi-Fi. Cacha son téléphone sous un coussin. Mais il sentait encore l’œil, quelque part, qui l’observait.
Ce soir-là, il dormit peu.
Le lendemain matin, tout semblait revenu à la normale. Son téléphone était posé là où il l’avait laissé. L’appli ViewX avait été fermée. Il n’y avait pas de nouvelles notifications.
Juste un détail.
En allumant l’écran, avant même qu’il ait touché quoi que ce soit, la vidéo suivante s’afficha :
Nouvelle publication sur TU ES L’ABONNÉ :
« TOI. Jour 2. »
Et juste en-dessous, en plus petit :
839 vues
« Tu as l’air un peu stressé aujourd’hui. C’est normal. On t’observe. »
« Continue. On adore. »
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