L'abonné - Partie 2

3 minutes de lecture

Naël passa sa matinée du dimanche à ignorer son téléphone.

Ce qui, pour lui, relevait presque de l’exploit. Pas de musique, pas de scroll, pas de messages. Il le laissa dans un tiroir de sa commode, écran face contre bois, comme une chose sale dont il fallait s’éloigner. Et pour la première fois depuis des mois, il lut. Un vrai livre. En papier.

Mais il n’arrivait pas à se concentrer.

Il n’arrêtait pas de jeter des coups d’œil vers la commode. Il lui semblait entendre, de temps à autre, le bip discret d’une notification. Un bruit sourd, étouffé, comme un appel sous vide.

Vers midi, il céda.

Il ouvrit le tiroir. L’écran était allumé, comme s’il l’attendait.

Une nouvelle vidéo était là. Même chaîne.
« TOI. Jour 2. »

Naël appuya sur lecture.
Mais cette fois, il le fit en mode silencieux, les doigts crispés sur le bord de son téléphone.

L’image montrait une rue.
Celle qui menait au collège.
La caméra filmait de derrière, à hauteur d’homme, en mouvement.
Naël était là, marchant d’un pas rapide, capuche relevée, sac sur l’épaule.
Il s’était rendu à l’épicerie du coin ce matin, pour acheter du pain. Il reconnaissait le moment. Il se souvenait du chat qui avait traversé juste devant lui.

Et dans la vidéo, le même chat passait, à la seconde près.

La vidéo n’avait pas été prise depuis une fenêtre.
Elle avait été filmée juste derrière lui, à deux mètres tout au plus.
Mais Naël était certain : personne ne le suivait. Il n’avait croisé personne. Il s’en souviendrait. Pas vrai ?

Le malaise monta d’un cran. Ses mains devenaient moites.

Il tenta de cliquer sur le profil de la chaîne, espérant signaler le contenu.

Mais le bouton n’existait pas.

Pas de menu, pas d’options.
Juste une page noire, un titre en haut :

TU ES L’ABONNÉ
Et, en bas :
Abonné depuis le 27/11 - Renouvellement automatique.

Il ne s’était abonné à rien. Il en était sûr.

Il désinstalla l’application.
Redémarra son téléphone.
Utilisa une appli de nettoyage de données.

Mais une heure plus tard, la notification revint.
Elle s’infiltra entre deux alertes système, comme si elle faisait déjà partie du téléphone lui-même.

Nouvelle vidéo disponible :
« TOI. Jour 3 - à venir. »

Il vérifia dans les paramètres : aucune trace de l’appli. Elle n’existait plus.

Et pourtant, elle revenait.
Encore et encore.

Le lundi matin, au collège, Naël tenta de se distraire. Il retrouva ses amis à la pause, Walid et Léo, deux fous de jeux en réseau qui ne parlaient que de mods et de glitchs. Normalement, ça le calmait. Mais aujourd’hui, il avait l’impression que tout sonnait faux. Que les mots flottaient.

Il se sentait épié.

Pas juste observé. Pas comme quand un prof te fixe. Non.
Une attention sourde, invisible. Une présence.

À un moment, il vit un élève qu’il ne connaissait pas lui sourire au fond du couloir. Un garçon d’une autre classe, un peu plus jeune, blond, l’air banal. Mais quelque chose dans son regard clochait. Il fixait Naël comme on regarde une personnalité connue, avec un air de complicité silencieuse.
Le gamin leva le pouce, comme pour dire « J’adore ».

Naël détourna les yeux, glacé.

En rentrant chez lui, il trouva une nouvelle vidéo déjà chargée, sans même qu’il ait ouvert son téléphone.

« TOI. Jour 3 - Te voilà de retour. »

Dans la vidéo, il montait les marches de son immeuble. Filmé de face. Comme si quelqu’un l’avait attendu sur le palier.

Mais à ce moment-là, il n’avait vu personne.
Il en était certain. Absolument certain.

Et pourtant, la vidéo montrait son visage, ses yeux baissés, son expression fatiguée.
La caméra semblait flotter dans les airs, sans angle humain.

Il se figea. Ferma l’écran.
Le téléphone vibra à nouveau.

Une nouvelle notification, instantanée :

« Tu as peur. On le sent. Mais ne t’inquiète pas. »
« On ne fait que commencer. »

Naël s’enferma dans sa chambre.
Il mit du scotch sur les prises de courant, sur l’objectif de sa webcam, sur le miroir de la salle de bains.

Il ne voulait plus être vu.
Mais au fond de lui, il savait déjà que c’était trop tard.

Parce que la chaîne n’était pas un site.
Pas une appli.
Pas même un virus.

C’était autre chose.

Et il était devenu le programme.

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