L'abonné - Partie 3

3 minutes de lecture

Le mardi, Naël ne se rendit pas au collège.

Il prétendit être malade. Douleur au ventre. Fièvre. Symptômes flous mais efficaces. Sa mère, revenue dans la nuit, ne posa pas de question. Elle était trop fatiguée pour se battre. Son père, encore à Dijon, n’envoya qu’un emoji inquiet par SMS.

Il passa la journée allongé sur son lit, à écouter le silence.

Le téléphone était posé sur sa table de chevet. Il n’osait plus le toucher. Il le regardait comme on regarde un serpent endormi. Tant qu’il ne bougeait pas, tout allait bien.

Mais au fond de lui, Naël savait que c’était inutile. Ce n’était pas le téléphone le problème.
Le problème, c’était lui.
Ou plutôt : ce qu’il regardait. Ce qu’il était devenu en regardant.

Il se leva. Se força à sortir.

Il enfila sa veste, des baskets, et descendit dans la rue. Il erra sans but, passant devant la boulangerie, le petit square, les bancs vides. Le ciel était gris, l’air tiède. Une journée sans relief.

Mais partout où il allait, il avait l’impression que quelque chose le suivait.
Pas quelqu’un. Quelque chose.

Il entendait un léger sifflement, comme une fréquence trop aiguë pour être naturelle. Parfois, dans les reflets des vitrines ou des vitres de voiture, il croyait voir une silhouette, floue, juste derrière lui, puis plus rien.

Et surtout, il savait que, où qu’il aille, il serait filmé.
Capté.
Intégré à une nouvelle vidéo.
Un nouvel épisode.
Comme s’il n’était plus qu’un personnage dans une série que lui seul regardait.

De retour chez lui, il alluma son ordinateur, dans un élan de panique rationnelle.

Il chercha des forums. Des témoignages. Tapa « chaîne qui te filme », « vidéo ViewX inexpliquée », « abonné sans s’abonner ».

Il trouva quelques messages. La plupart venaient d’utilisateurs anonymes, postés sous des pseudos sans photo, souvent supprimés quelques jours plus tard.

« J’ai vu ma propre chambre dans une vidéo postée à mon insu. Personne ne me croit. »
« La chaîne s’appelait ABONNÉ. Puis mon écran est devenu noir. »
« Ce n’est pas une appli. C’est une porte. »

Naël parcourut des heures de forums. Il nota une chose étrange : tous les témoignages s’arrêtaient net après un certain point. Les comptes restaient là, figés, mais plus aucun message après la dernière vidéo mentionnée.

Comme si les auteurs avaient été… retirés.

Ou absorbés.

Il reçut un mail en fin d’après-midi. Aucun expéditeur.

Objet : BIENVENUE AU PROGRAMME.

Le message était vide, sauf une phrase, centrée :

Chaque jour, une nouvelle version de toi.
À la fin, il ne restera que celle qu’on préfère.

Aimer.
Voir.
Recommencer.

Il sentit sa gorge se nouer.

Le soir, au moment de se coucher, il tenta un dernier geste de résistance.

Il prit son téléphone. L’enfonça dans une boîte à chaussures. La referma avec du scotch. Puis mit le tout dans un sac plastique, qu’il jeta dans le congélateur.
Il se disait que ça brouillerait les ondes. Que ça ralentirait… quelque chose.

Il dormit d’un sommeil lourd, rempli d’images floues et de visages sans yeux.

À son réveil, il ouvrit la porte du congélateur.

La boîte était là.
Gelée. Solide.

Mais quand il l’ouvrit, le téléphone était allumé.
Écran actif. Aucune buée.
Comme s’il n’avait jamais été froid.

Et sur l’écran, une nouvelle vidéo :
« TOI. Jour 4. »

Cette fois, c’était différent.

L’image était noire au début. Puis, lentement, la lumière d’une pièce s’allumait.
Naël se vit lui-même. Couché. Endormi.
Puis quelque chose entra dans le cadre.
Quelqu’un.

Une silhouette, entièrement floue. Comme froissée par le code. Elle s’approcha du lit. Se pencha.
Le Naël endormi frissonna. Bougea à peine.

Puis la silhouette, sans visage, se tourna vers la caméra.
Et leva un doigt à ses lèvres.

Silence.

La vidéo s’arrêta.

À ce moment précis, son téléphone vibra dans sa main.

Une dernière notification.
Sans message.
Juste un nom d’utilisateur qui s’affichait en bas de l’écran :

@toi_même

Et en tout petit, en gris :

« Tu es passé en direct. »

0 spectateurs.
Puis 1.
Puis 27.
Puis 364.

Puis… beaucoup plus.

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