Les feuilles du diable - Partie 5

3 minutes de lecture

Le vendredi, Jenny ne vint pas en cours.

Dylan s’inquiéta toute la journée. Mikey prétendait qu’elle avait la crève, mais sa voix sonnait faux.

Le soir, elle les appela.

- Je suis allée revoir la cabane, lacha-t-elle.

Un long silence suivit. Puis Mikey explosa :

- T’es sérieuse ? Toute seule ?

- C’était en début d’après-midi, répondit-elle calmement. Je voulais vérifier… Je sais pas. C’était comme si je devais y retourner.

Dylan sentit sa gorge se serrer.

- Et alors ?

Jenny souffla doucement au téléphone.

- Elle est différente. Y a des feuilles… elles couvrent tout le toit, et j’te jure qu’il y avait du vent, mais elles ne bougeaient pas. Comme clouées. Et puis… j’ai cru voir quelque chose dans l’embrasure. Une ombre. Trop grande pour un enfant. Trop mince pour un adulte.

Elle fit une pause.

- J’ai trouvé une dent. Par terre. Noire. Cassée.

***

Ils ne décidèrent pas immédiatement d’y retourner.

Le lendemain, ils se retrouvèrent au terrain vague derrière la supérette, là où les grands allaient parfois fumer. C’était désert. Le vent tournait en bourrasques glacées. Ils parlaient peu, se contentaient d’être là. Ensemble.

Dylan pensa à dire non. Il pensa à oublier. Il pensa à tout ce qui aurait pu être plus simple.

Mais il se souvenait de ce que Jenny avait dit. Et de ce qu’il ressentait. Ce n’était pas une curiosité morbide. Ce n’était pas un jeu. C’était un appel. Quelque chose là-bas les attendait. Ou les cherchait.

- On y retourne, articula-t-il enfin.
- Ouais, confirma Mikey. Mais on prend des lampes. Et des couteaux. Et du chocolat, au cas où on meurt.

Jenny sourit faiblement.

- On y va demain soir. Quand la lune sera basse.
- Pourquoi ? s'enquerra Mikey.
- C’est ce que disait le carnet, murmura-t-elle. « C’est quand la lune regarde ailleurs… qu’il ouvre les yeux. »

***

Ils quittèrent la maison de Dylan à 22 h 14, selon la montre à aiguilles que Mikey avait bricolée avec une LED bleue. Jenny portait une veste en jean doublée de laine, Dylan son vieux blouson d’aviateur rapiécé au col. Mikey avait un sac à doscomme à son habitude : une lampe torche, deux barres chocolatées, une boussole qui ne pointait rien de clair, et un mini tournevis « au cas où le démon ait des vis à desserrer ».

Ils avaient marché sans un mot pendant les premières minutes, les pas étouffés par l’épaisse couche de feuilles mortes. La forêt, de nuit, n’était plus un terrain de jeu. Elle devenait autre chose : une cathédrale désossée, habitée par le vent et les souvenirs.

- Tu sens ? prononça Jenny à voix basse.

Dylan hocha la tête. Une odeur de fer humide, de feuilles pourries et de quelque chose de plus âcre flottait dans l’air. Un parfum ancien, presque vivant.

- On y est presque, murmura Mikey.

Le sentier se rétrécissait à mesure qu’ils approchaient. Leurs lampes dessinaient des cercles hésitants sur les troncs, révélant des inscriptions gravées, des entailles oubliées, des traces de passage qu’aucun d’eux ne se souvenait avoir vues auparavant.

Quand ils arrivèrent enfin devant la cabane, le silence se figea.

Elle était là. Toujours là. Plus... nette qu’avant. Comme si la nuit l’avait réveillée.
Les feuilles rouges, des centaines, recouvraient le toit et les murs, formant une sorte de peau organique, presque respirante. Aucune ne bougeait, malgré le vent qui hurlait dans les branches. Leur rouge n’était plus celui de l’automne, mais quelque chose de plus profond, plus épais. Un rouge de blessure.

- J’ai pas envie d’y entrer, souffla Mikey.

Jenny ne répondit pas. Elle avait déjà sorti sa lampe et faisait le tour de la structure. Dylan, lui, restait là, paralysé. Le bois de la cabane semblait plus sombre que dans ses souvenirs. L’intérieur, invisible, n’était qu’un carré noir, un puits.

Puis il vit la feuille.

Posée devant l’entrée. Une seule, bien au centre. Plus grande que les autres. Comme une invitation.

Il s’en approcha. Et là, il la vit frémir. Bouger. Respirer.
Il recula d’un pas.

- Elle nous attend, affirma Jenny, sans se retourner.

- Qui ça, elle ?

- Je ne sais pas. Mais elle sait qu’on est là.

Mikey grogna quelque chose dans sa gorge, puis suivit les autres à l’intérieur.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Sarah p ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0