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Ses cheveux coupés court, ainsi que sa barbe parfaitement taillée en pointe, ont viré poivre et sel depuis longtemps. Dans une combinaison émeraude identique à celle qu’il portait sur Héliopolis, il se tient fièrement, campé fermement sur ses jambes, les bras dans le dos, au milieu de la pièce bardée d’interfaces et d’écrans où sont absorbés trois détecteurs. L’attitude préférée de ceusses qui se considèrent détenir le pouvoir, la plus détestable pour tous les autres.

Un sourire en coin, Kornel regarde Hiber entrer dans le centre des communications de la colonie d’Alvan et poser ses affaires sur une console, le visage à la fois las et fatigué.

— Comment s’est passée l’évacuation du Magellan ?

— Bien.

— Mais encore ?

— Peu de blessés, une navette clouée au sol. Je ne suis pas venu pour répéter ce que tu sais déjà, Kornel, mais pour comprendre pourquoi le vaisseau n’a pas attaqué.

— Ce qui est une bonne nouvelle, non ?

— Difficile à dire.

Ostensiblement, Hiber se détourne de Kornel et pose sa main sur l’épaule d’un détecteur accoudé à son terminal, concentré sur ses appareils.

— Putain ! s’écrie le technicien dans un sursaut, arrachant le casque vissé sur ses oreilles.

— Salut à toi, Avald. Laisse ma mère dans le vide de l’espace, où elle folâtre depuis près de cinquante ans, veux-tu ? Explique-moi plutôt pourquoi, alors que le vaisseau étranger est entré dans notre système depuis plus de trois mois, nous avons dû évacuer dans la précipitation au milieu d’un cycle de terraformation.

Le détecteur Avald passe une main à la base de son crâne glabre, visiblement contrarié.

— Aucun modèle n’anticipait un freinage aussi tardif.

— Car ces modèles incluaient un facteur humain, et donc la nécessité d’une décélération appropriée, enchaîne Hiber.

Le technicien pianote sur son clavier, affiche en plein écran une représentation tridimensionnelle de l’armada de projectiles géostationnaires déployée tout autour de la planète, à un millier de kilomètres au-dessus de l’atmosphère d’Alvan.

— Grâce aux analyses spectrographiques de nos satellites, il est en effet absolument certain, à présent, que ni le vaisseau ni ses extensions ne portent une quelconque trace organique. Il apparaît donc tout à fait logique qu'il ait poursuivi sa trajectoire afin de profiter de l’assistance gravitationnelle de Barnard c, décélérer le plus tard possible, stopper violemment sa course et produire un effet de surprise.

— Dans quel but, s’il est vide ? demande Kornel qui n’en perd pas une miette.

Hiber se contente d’un regard sévère par-dessus son épaule.

— L’absence de vie organique ne signifie pas que le vaisseau et les projectiles sont dépourvus de danger.

— Attendez, vous essayez de me dire que l’empereur aurait envoyé des outils de guerre pour nous détruire ?

— Et pourquoi pas ?

— Si je puis me permettre, interrompt Avald en levant une main, rien n’indique que nous sommes attaqués.

— Vous délirez, tous les deux ! Explose Kornel. Vous allez bientôt m’annoncer qu’Elego et sa clique ont raison depuis le début, c’est ça ?

— Et pourquoi pas, putain ? Répète Hiber, sa mâchoire crispée par la contrariété. Tu as une meilleure explication ?

— Ce n’est pas moi le stratège, répond Kornel avec un méchant sourire planté dans sa barbe taillée en pointe. Yanith nous bassine avec tes techniques de combats infaillibles, tes formations en ligne, tes coordinations et autres contournements, et surtout avec cette certitude de nous sortir vivants de la colère de l’empereur. Alors maintenant qu’il frappe à notre porte, épate-nous, car je me garderai bien d’être celui qui enverra froidement au massacre nos enfants !

Les deux autres détecteurs présents dans la salle ont quitté leurs écrans des yeux et observent, le dos raide appuyé contre leurs sièges, la scène avec inquiétude ; le soldat trapu n’est reconnu ni pour sa patience ni pour son indulgence.

— Parce que tu n’es rien, sinon l’ombre d’un lâche meurtrier.

— Messieurs !

Kornel se redresse, les mains agrippées à sa ceinture.

— Tout ce que j’ai entrepris et réalisé, c’était pour la colonie.

— Vraiment ? Comme de faire construire avec une autorité sans précédent la navette dans laquelle tu devais t’enfuir avec Lacius ?

— Pour cela, j’ai recommandé la fabrication immédiate d’une seconde forge. Étrangement, l’avant-garde scientifique ne s’y est pas opposée. Pourquoi ? Mais parce que cette opération hâtive était une idée géniale ! Affirme-moi qu’elle n’a pas ensuite facilité et accéléré l’édification du tertre dans lequel nous vivons aujourd’hui !

Hiber toise l’homme dans sa combinaison émeraude avec un dégoût certain.

— Tu aurais dû partir dans cette navette.

— Au bout du compte, c’est bien cela qui te dérange : avant la fin de son assemblage, j’ai décidé de rester sur Alvan. Et ce qui te fait enrager par-dessus tout, c’est que je sois resté parce que contrairement à toi, ta sale trogne et ton caractère de merde, j’ai trouvé une compagne afin de perpétuer notre espèce.

— Messieurs, répète le détecteur Avald, je ne crois pas que ce soit le bon moment pour…

— Au contraire, c’est le moment parfait, dit Hiber en levant une main. Le moment ou jamais, à vrai dire. Tu as raison, Kornel, ma sale trogne et moi n’avons pas participé à la croissance de la colonie. Un choix tout à fait réfléchi. En accédant au grade d’officier supérieur, j’ai accepté de ne pas avoir une descendance, mais des centaines. Les enfants d’Alvan restent vos rejetons, bien sûr, mais ils sont ma responsabilité, les acteurs des rêves et cauchemars qui me hantent depuis près de vingt ans. Si j’avais eu mon propre petit soldat, je n’aurais jamais su me soucier de tous les autres. Au lieu de parader devant moi, tellement convaincu du bien-fondé de tes forfaitures passées, tu devrais te dépêcher d’aller serrer Yanith dans tes bras, car son avenir est bien incertain.

Les yeux plantés dans ceux de son interlocuteur, Kornel ouvre la bouche, la referme, puis l’ouvre à nouveau et marmonne :

— Qu’en pense Lannari ?

— Lannari gère sa famille comme elle l’entend, mais à mon avis, savoir ses jumelles aux côtés du visionnaire Elego et du culte la rassure. Sans doute préfère-t-elle ses filles un peu dingues, plutôt que disposées à mourir. Et toi, Kornel, quelles relations as-tu avec ta conscience ?

— Tout ce que j’ai entrepris…

— Arrête de répéter ça, putain ! C’est comme si tu voulais t’en persuader ! Chacun sait que tu as délibérément condamné Tanto à une agonie dégueulasse ! Quelles sont tes preuves qu’il était dangereux pour la colonie ?

— C’est bien de sa faute, si l’empire est à présent au-dessus de nos têtes, non ?

— C’est surtout grâce à lui si tu es un colon sur Alvan aujourd’hui ! Nous sommes un certain nombre à soupçonner que tu as profité du trouble général pour assouvir une vengeance personnelle. Il y a des preuves dans la mémoire du vaisseau, et en particulier l’archive du dernier concert de Tanto sur Héliopolis, où l’on te voit clairement le prendre à partie.

— Tu appelles cela une preuve ?

— En cherchant davantage dans les médias datant du jour de notre départ, on t’aperçoit dans le port avec Lacius, alors que Tanto se fait rosser par la garde impériale, en train de te glisser dans le Magellan sans te préoccuper une seconde de tes chers partisans ! Le détail amusant, c’est que dans cette même séquence filmée par les drones, on me voit également le relever et le porter, avant de prendre un sale coup qui m’a laissé un moment sur le carreau. J’ai failli ne pas être du voyage, mais j’ai aidé Tanto à atteindre le vaisseau-colonie. Qu’avais-je de mieux à faire, étant donné la situation ? Pourquoi ne lui as-tu pas accordé une chance ? C’est ce qu’avait tranché le capitaine Fiora, pourtant !

Kornel fronce les sourcils, le menton en avant. Il s’apprête à répliquer lorsque le détecteur Avald s’interpose et sépare les deux rivaux sans ménagement.

— Ça suffit, les gars ! On ne changera pas le passé. La colonie entière doit se tourner vers son avenir, et il serait préférable de montrer l’exemple, non ?

Un lourd silence envahit le centre des communications, seulement troublé par le chuintement familier des ventilateurs. Kornel joue de sa taille afin de dominer l’officier Hiber qui ne s’en laisse pas conter ; le front plissé, les poings serrés, il semble disposé à en venir aux mains. Le détecteur Avald retient son souffle, moralement soutenu par ses confrères immobiles à l’autre bout de la pièce. Un signal sonore sur sa console le sort de sa torpeur. Il remet nerveusement ses écouteurs, à la fois reconnaissant et inquiet, puis se tourne vers son appareil.

— Un message vient d’être capté par notre satellite.

— Depuis le vaisseau ?

— Non. Depuis les gueules d’Orthos.

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