La mort d'un transhumaniste.

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San Francisco, Californie – 03h06 (10h06 UTC)

Le léger vent marin du Nord-ouest avait posé sur la ville un voile de brume qui rendait la nuit sépulcrale. Les véhicules abandonnés sur la chaussée et les néons des rares commerces de cette rue, rendaient cette nuit encore plus inquiétante.

Une silhouette se détacha lentement d’un immeuble. L’homme avançait péniblement parmi les carcasses des voitures. Hésitant à mettre un pied devant l’autre, il semblait porter le poids du monde.

Bien qu’il ne donnait pas l’impression d’être sous l’emprise de l’alcool ou d’un psychotrope, sans raison apparente, il changeait fréquement de direction. Régulièrement, il levait la tête vers le ciel, comme s’il s’attendait à y voir surgir quelque chose. Après quelques minutes à errer ainsi, ses pas l’amenèrent devant une affiche faisant la promotion d’un véhicule autonome.

Il se mit alors à parler tout doucement.

  • Ah ah, qui voudra encore acheter ces putains de machines qui ne sont pas près de reprendre la route ? N’empêche que je les ai tous bien eu avec mes fameux engins. Les soi-disant puissants de ce monde venaient me manger dans la main pour que j’installe mes usines chez eux. S’ils savaient le plaisir que j’ai eu à les voir ainsi roucouler tels des pigeons en rut !

Progressivement il haussa la voix.

  • Et comment ont-ils osé ? Qui leur a permis de mettre à mal mes réseaux sociaux ? J’étais illibéral qu’ils disaient. Mais que savaient-ils réellement de moi ? Ils avaient même osé se moquer des prénoms géniaux que j’avais donné à mes enfants. La progéniture d’un génie tel que moi ne peut s’appeler John, Joé, Maria, ou Angéla. Il leur fallait des prénoms uniques car ils sont uniques. Et dire que certains de mes enfants se sont fait renommer car ils disaient que c’était invivable de porter de tels prénoms. Que ceux-là aillent en enfer retrouver les nuls qui n’ont rien compris.

C’est maintenant à très haute voix qu’il éructait.

  • J’allais devenir un véritable Dieu. L’usine à bébés que j’ai inaugurée il y a six mois dans une république bananière devait me fournir des humains augmentés qui, une fois adultes, m‘auraient obéi au doigt et à l’œil. Ils m’auraient vénéré. J’aurais effacé Alla, Jésus, Bouddha et tous les autres, j’aurais été leur Dieu !
    Je le suis d’ailleurs déjà pour ceux que j’ai envoyés sur Mars sans espoir de retour. Mais ceux-là ils n’existeront bientôt plus…

Se relevant, il regarda le ciel avec un air de défi.

  • Je m’étais promis d’être immortel. J’allais vaincre la mort !
    Quand il y a dix ans, j’ai fait les premières implantations d’électrodes dans les cerveaux de quelques vieux dégénérés, les imbéciles ont poussé des cris d’orfraie m’accusant de tous les mots. Dans un premier temps, j’ai aidé des malades à retrouver l’usage de leurs membres. Je suis devenu un héros ! Mais ils ne surent pas que, progressivement, je fus en mesure de décider moi-même des mouvements de mes cobayes. Ils ne surent pas non plus que j’arrivais à influer sur leurs pensées profondes. Pour eux aussi j’allais devenir un Dieu !

Il se recroquevilla alors sur lui même et continua à fulminer

  • Quand je me suis fait poser des implants neuronaux, ils ont compris que j’étais enfin un homme augmenté. Mon esprit combiné aux calculateurs les plus puissants me donnaient finalement les armes pour m’imposer. Mais c’était trop tard ! Trop tard !
    Il m’a manqué quelques mois.
    Cette foutue éruption a tout fait foirer. Mes satellites sont perdus, mes voitures sont immobilisées et ce n’est qu’un début. Mes réseaux sociaux vont disparaître, mes usines à bitcoin vont exploser, les porteurs de mes implants vont mourir, mon usine à bébé va arrêter d’alimenter mes fœtus, elles ne seront plus que les cimetières de mes ambitions !

C’est en hurlant qu’il prononça ces derniers mots :

  • Tout est foutu, je ne serai pas Dieu !

A ce moment, les enseignes lumineuses de bâtiments grésillèrent, des étincelles s'en échappèrent et brutalement les lumières de la ville s’éteignirent. Le silence envahit la brume.

On vit alors l’homme lever les mains vers le casque qui abritait ces implants, hurler violemment et s’effondrer. Une fumée grise s’échappa du casque…

C’en était fini de celui qui avait consacré sa vie à vouloir voler le feu aux Dieux. Il n’était plus que cendres.

Les spécialistes qui plus tard étudieront le parcours de cet homme émirent l’hypothèse que sa sortie à cette heure avancée de la nuit était en fait un suicide. L’homme avait en effet compris qu’il ne pourrait plus, avant longtemps, envoyer de fusée dans l’espace, que ses voitures ne rouleraient plus avant de longs mois, si ce n’est de longues années ou encore que ses diverses usines ne résisteraient pas aux impacts de l’éruption solaire. Il était donc ruiné et toutes ses illusions avaient fondues. Il serait donc sorti intentionnellement doté de son casque à électrode pour subir de plein fouet la seconde partie de la catastrophe que ses experts avaient prévue durant la nuit.

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P.K. 16 mars 2024

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