Défaut de paiement.

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Métropole de Lille – 12h07 (10h07 UTC)

Après avoir passé une nuit un peu plus apaisée que la précédente, Anne et Jérémie avaient regagné un peu d’énergie et d’espoir.

Ils avaient entendu dire que la municipalité avait organisé, sur la place de la mairie, un marché des producteurs locaux afin de donner à la population les moyens de regarnir leurs garde-mangers. Ils décidèrent donc de s’y rendre à vélo. Ils verraient bien ce qu’ils trouveraient et ils auraient aussi surement l’occasion de retrouver des amis sur place.

En arrivant au centre-ville, ils constatèrent que conformément aux consignes données par les autorités les magasins étaient restés fermés.

  • Mais pourquoi n’ouvrent-ils pas, s’enquit Anne.
  • Les autorités ont trop peur des émeutes et du vandalisme. Elles ont donc demandé aux commerçants de garder leurs boutiques fermées pour raison de sécurité.
  • Et tu crois que cela va durer longtemps ?
  • Non, je ne pense pas. Juste le temps que la situation se normalise un peu et qu’ils trouvent les moyens d’assurer les approvisionnements. Cela va peut-être encore prendre quelques jours. Mais après ça ira mieux.
  • Dis donc, tu as vu ce monde ?

Effectivement, une foule importante se pressait en direction de la place centrale. Les agents de police, déployés en nombre, canalisaient les gens et les obligeaient à prendre place dans une file qui avançait doucement. Un agent passa avec un haut-parleur.

  • Bonjour, le marché n’a qu’une seule entrée qui est à l’ouest de la place. Merci de prendre la file et d’attendre patiemment votre tour. Il y aura de la nourriture pour tout le monde. Mais pour cela, vous ne pourrez emporter que quatre kilos au maximum par personne. Vous trouverez les légumes frais sur la partie nord de la place, les pommes de terre, le riz et les pates au milieu et les fruits au sud. Ne prenez que ce dont vous avez besoin pour 2 jours. Tous les sacs seront pesés et tout dépassement de poids sera aussitôt confisqué. Un autre marché sera organisé après-demain. Restez calmes et courtois. Tout énervement donnera lieu à expulsion. Merci d’avance de votre compréhension.

Le couple se rangea donc dans la file. Celle-ci avançait assez vite.

L’ambiance était lourde car chacun se demandait comment les choses allaient évoluer. Quelques individus essayèrent de lancer des plaisanteries pour détendre l’atmosphère, mais le cœur n’y était pas et ces tentatives avortèrent rapidement.

  • Tiens regarde, Carinne et Bruno sont devant nous.
  • Oui, ils sont venus eux aussi. Je ne sais pas l’impression que nous donnons. Mais eux, Ils ont l’air vraiment déprimés.
  • Oui, tu as raison. Je vais leur faire savoir que nous sommes là, dit Anne en leur adressant un message électronique.

Leurs amis se retournèrent et voyant qu’ils étaient seulement à une dizaine de mètres devant eux, laissèrent passer les personnes qui les séparaient.

Anne et Jérémie, nous sommes contents de vous voir, leur dit Carinne.

  • Oui, nous aussi. Quelle affaire quand même. Qui aurait pu imaginer ces événements ? Mais vous comment allez-vous ?
  • Un peu soulagés car nous avons cru un moment que nous avions perdus notre fils Hugo, qui revenait des States mardi. Il a pris l’avion à Kennedy mais depuis, nous n’avions plus de nouvelles. Dans ce contexte, on imaginait déjà le pire. Mais il y a une heure, nous avons reçu un texto. L’avions de Hugo a pu atterrir en urgence à Dublin. Quel soulagement.

Disant cela, Bruno était au bord des larmes. La tension des dernières heures lui était revenue à l’évocation de cette épreuve.

  • Bon maintenant, il va falloir qu’il rendre d’Irlande, dit Carinne.
  • Oui, mais il est en vie. C’est l’essentiel. C’est un garçon débrouillard. Il va bien trouver le moyen de rentrer. D’ici deux ou trois jours, il sera là !
  • Oui, croisons les doigts.

Cette discussion les fit arriver à l’entrée de la place. Les deux couples décidèrent de la même stratégie. Les femmes iraient choisir les légumes frais et les hommes s’occuperaient des fruits. Leurs réserves de pattes et féculents étant suffisantes, ils convinrent de ne pas s’y intéresser.

Anne ayant garni son cabas de carottes, tomates, concombres et courgettes se dirigea vers la caisse. Elle sortit son smartphone pour s’apprêter à payer. Cela faisait déjà plusieurs années que l’argent liquide avait quasiment disparu et plus personne ne l’utilisait ni n’en portait. Les cartes bancaires étaient elles aussi en voie de disparition. Les objets connectés étaient maintenant devenus les principaux, et même quasiment les seuls moyens de paiement en vigueur.

La marchande pesa les différents légumes. En tout trois kilos huit cent soixante-douze. Anne n’avait pas atteint le maximum mais s’en était bien approchée.

  • Cela fera seize euros vingt-huit.
  • Voilà, dit Anne en approchant son mobile de l’appareil de paiement.
  • Le bip de lecture se fit entendre et la mention "transaction en cours" s’afficha sur le terminal. La réponse tarda à venir. Au bout d’une quinzaine de secondes, la mention s’affichait toujours.
  • Bon, j’ai un problème, dit la commerçante. On va recommencer.

Anne refit donc l’opération et la même mention s’afficha. Mais rien n’évoluait.

  • Louis, cria la marchande vers le stand voisin, j’ai un problème avec mon terminal de paiement. Tu peux me dépanner, le temps que je le relance ?
  • Non, le mien ne marche pas non plus, lui répondit son voisin.

Balayant le marché du regard, Anne constata rapidement que tous les commerçants semblaient avoir le même problème.

Au bout de quelques minutes, il fallut se rendre à l’évidence. Les moyens de paiement électroniques ne fonctionnaient plus. Personne n’ayant ni pièces, ni billets, le règlement des courses était devenu impossible. Personne ne sut ce qu’il fallait faire.

Après un temps de flottement, un autre agent lança une nouvelle annonce :

  • Il semblerait que les paiements soient actuellement impossibles. Dans l’immédiat, afin de vous permettre de tenir les prochaines heures, la municipalité a décidé de prendre à sa charge l’ensemble des ravitaillements. Elle réglera directement aux commerçants la totalité des marchandises écoulées. Vous pouvez donc continuer à vous servir puis quitter la place par la sortie à l’est. Attention, la limite des quatre kilos par personne est maintenue, vous devez vous y tenir.

Anne et Carinne, rejoignirent alors Jérémie et Bruno. Le contrôle à la sortie se passa sans encombre puisqu’ils n’avaient pas atteint la limite autorisée.

L’agent en sortie leur demanda de tendre la main :

  • Montrez moi le haut de vos mains, vous aurez le droit à un beau tampon à l’encre indélébile.
  • Mais pourquoi, s’enquit Bruno.
  • Tout simplement pour vous faire passer l’envie de refaire un tour dans le marché.
  • Ah oui, je comprends. Bonne fin de journée.

Après avoir échangé quelques nouvelles, les deux couples se séparèrent et chacun rentra chez lui.

Arrivés à la maison, ils montrèrent leur butin à leurs enfants. Alors qu’hier encore, personne ne s’y serait intéressé, ils le découvrirent comme un vrai trésor. Jérémie leur raconta comment, tout à fait légalement, ils étaient partis sans payer.

Rémi se tourna vers son père :

  • Mais si on ne peut plus utiliser les portemonnaies électroniques, comment va-t-on faire pour payer ?
  • Pour l’instant je ne sais pas te répondre, dit Jérémie. Je ne sais pas d’où vient la panne.
  • Au fait papa, on n’a plus d’électricité depuis environ trois quart d’heure. Et apparemment les voisins non plus. C’est une panne générale.

Jérémie essaya alors de se brancher sur une chaine d’information sur son terminal mobile. Il n’y arriva pas. Aucun site ne semblait répondre. C’était un black-out complet. Le site de la banque ne répondait plus non plus.

  • Mais que va-t-on faire si plus rien ne marche, s'inquiéta Rémi.
  • Ecoute, pour l’instant on ne va pas s’affoler. Je vais essayer de trouver des informations. Mais rassurez-vous, tant que nous sommes ensemble, rien de grave ne peut arriver.

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P.K. 18 mars 2024

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