3.4 - La réapparition de la barbarie

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Métropole de Lille – 13h23 (11h23 UTC)

L’électricité manquant, Anne avait préparé une salade composée qui malgré la tension que chacun portait, fut rapidement engloutie. Ils s’apprêtaient à sortir de table lorsque des coups puissants retentirent.

Ils se regardèrent. Les visages de Lily et Anne devinrent livides. Ceux de Rémi et de Jérémie se durcirent.

  • Qu’est-ce que c’est, dit Lily sur un ton affolé.
  • Cela vient de l’entrée, lui répondit son frère.
  • Je vais voir, ne bougez pas de là, avertit Jérémie.
  • Je viens avec toi, on se sait pas ce que cela peut-être, répliqua Rémi.

Les deux hommes marchèrent donc vers l’entrée. Une nouvelle salve de coups se fit entendre.

  • Quelqu’un tape à la porte, dit Rémi.
  • Oui, cela vient bien de là. Je vais essayer de voir qui est là.

De petites baies vitrées encadraient la porte principale de la maison. Ces lucarnes étaient protégées par de légers voilages. Jérémie s’approcha de celle de droite et bougea légèrement le voile pour tenter d’apercevoir les visiteurs.

  • Ce sont Carinne et Bruno, ils sont blessés. Rémi, ouvre leur vite.

Rémi ouvrit la porte et découvrit leurs amis couverts de sang et les vêtements en lambeaux. Parmi un bon nombre de blessures, Carinne avait une blessure ouverte sur le crâne et le bras gauche de Bruno marquait un angle inhabituel un peu au-dessus du poignet. Anne qui avait tout entendu accourut :

  • Mais enfin, que vous est-il arrivé ? Rentrez vite. Lily, va chercher la trousse à pharmacie.

Titubant un peu, le couple pénétra dans la maison. Jérémie, prudent referma la porte derrière eux et donna un coup de clé pour la sceller sérieusement.

Anne prit la parole la première :

  • Lorsque nous vous avons quittés, nous sommes partis vers chez nous. Il y avait beaucoup de monde, mais dans l’ensemble les gens restaient calmes. Mais en quittant le centre-ville, nous avons pris la rue du onze novembre, qui comme vous le savez est étroite. Curieusement, cette rue était déserte. Nous avons hésité, mais nous nous sommes quand même engagés. Tout s’est bien passé jusqu’à la seconde intersection, celle avec la rue Mirabeau. A peine étions-nous arrivés sur ce carrefour qu’une bande d’une vingtaine d’individus, venant des deux côtés de la rue, tomba sur nous. Ils étaient armés de machettes, de gourdins et de club de golf. Nous n’avons pas eu le temps de réagir que les coups se sont mis à pleuvoir sur nous. Nous n’avons rien pu faire…

Anne n’en pouvant plus s’effondra en larmes. Bruno repris la suite du récit.

  • Ils nous ont bien sûr pris ce que nous ramenions du marché de ce matin. Mais pour eux, ce n’était pas suffisant. Ils ont arraché nos vêtements pour récupérer nos portefeuilles et téléphones. Ils ont voulu aussi récupérer ma montre. Mais comme elle ne venait pas, ils se sont acharnés sur mon poignet et m’ont violemment amoché. Heureusement que la montre a fini par tomber car je crois qu’ils auraient été capables de me couper la main pour arriver à leur fin. Ils nous ont laissé sur la chaussée à moitié évanouis. Quand bien plus tard, nous avons repris nos esprits, nous avons constaté que d’autres avaient eu moins de chance que nous. Plusieurs cadavres salement amochés gisaient entre les voitures. Nous avions eu à faire avec de vrais sauvages.

Exténué, Bruno, son tour, fondit en larmes.

  • C’est incroyable. Quelle misère, s’exclama Anne. Heureusement que vous avez pu arriver jusqu’ici.
  • Je pense que dans un premier temps, vous devez récupérer. Vous allez prendre la chambre d’amis le temps qu’il faudra.

Pendant ce temps, Anne et Rémi qui avaient tous deux suivis un stage de secourisme, s’efforçaient de nettoyer les plaies. N’ayant pas suffisamment de compétences, ils préférèrent ne pas toucher au bras de Bruno. Ils leur donnèrent à tous deux des antalgiques et les emmenèrent se reposer dans la chambre.

De retour dans la cuisine Jérémie se tourna vers Anne :

  • Je le sens mal. Quand j’entends ce qui leur est arrivé, je pense qu’il ne faut pas rester ici. Les villes vont devenir dangereuses avec des bandes de sauvage comme celle-là.
  • Oui, tu as raison, je ne suis pas du tout tranquille non plus. Nous pourrions aller dans la ferme de mes grands-parents au pied du mont Cassel.
  • Excellente idée. Mais je crains qu’il ne faille pas trainer.
  • Mais papa, réagit Lily, cela veut dire que nous allons partir d’ici. Je vais devoir abandonner mes amis ?
  • Nous n’avons pas le choix, lui répondit Anne. Cela devient trop dangereux de rester. Mais ce n’est que temporaire, nous reviendrons lorsque les choses seront rentrées dans l’ordre.
  • Je ne peux même pas les joindre pour les prévenir, rien ne fonctionne, ni les messageries, ni les réseaux sociaux et encore moins le téléphone. C’est dingue, lui répondit Lily en sanglots.

Jérémie reprit les choses en main.

Nous ne pouvons pas prendre la voiture car les routes ne sont pas dégagées. Il va donc falloir que nous y allions en vélo. Cela nous fait une trotte d’une cinquantaine de kilomètres. En quatre heures nous devrions y arriver.

  • Mais papa, en vélo, ça veut dire qu’on ne pourra pas amener grand-chose ?
  • Oui tu as tout compris Rémi. Lily et toi allez dans vos chambres regarder ce que vous voulez emmener. Tout doit tenir dans un sac à dos et éventuellement un petit sac sur le porte bagage. Autant dire qu’il faut bien sélectionner ce que vous voulez prendre.
  • Quand vous êtes prêts, vous m’appelez, compléta Anne. Je viendrai voir avec vous si vous n’avez rien oublié d’essentiel.

Les deux enfants rejoignirent leurs chambres. L’objectif du voyage les avaient boostés et ils étaient contents d’avoir à s’occuper à une tâche essentielle.

Jérémie se tourna ver Anne :

  • On a bien la remorque vélo dans le garage. Mais je ne pense pas qu’il faille la prendre. Elle risque d’attirer l’attention sur nous et surtout de nous ralentir. Pour cette fois, nous allons nous en passer. Donc mêmes consignes que pour les gamins, tout doit tenir dans un sac à dos et un petit sac.
  • Tu penses que nous sommes partis pour combien de temps ?
  • Je n’en sais absolument rien. Je ne connais pas la cause du problème ni quelle est l’ampleur des dégâts. Prenons de quoi vivre une semaine, si besoin je reviendrai chercher des compléments.
  • Ok, alors au boulot.

La sélection des affaires fut une rude affaire. Les vêtements passèrent en priorité. Heureusement, en cette mi-septembre les températures étaient encore assez élevées et la météo qui avait été annoncée pour les jours à venir ne prévoyait pas de baisse rapide. Ils purent donc choisir des tenues légères. Lily du laisser sur place quelques doudous qui ne l’avaient jamais quittée depuis ses premières années et Rémi dut abandonner sa console. De toute façon, comme son père lui avait indiqué, il était peu probable qu’il trouve une alimentation électrique et un réseau pour s’y connecter. Pour chacun, un ou deux livres franchirent la sélection. Ils permettraient de passer un peu de temps car ils étaient tous convaincus que le temps leur semblerait long loin des amis et sans réseaux.

Lorsqu’ils furent prêts, Anne alla réveiller Carinne et Bruno.

  • Compte tenu de l’insécurité ambiante, nous avons décidé de quitter la maison pour nous rapatrier chez mes grands-parents en Flandre. La ferme est assez grande, vous pourriez vous joindre à nous.

Bien que surpris par cette initiative, les deux amis acceptèrent. Bruno remarqua cependant :

  • Mais il faudrait prévenir notre fils, s’il rentre et qu’il trouve la maison vide, il va s’affoler, dit Carinne.
  • Le problème est qu’on ne sait pas où il est actuellement entre l’Irlande et ici. Mais compte tenu de la pagaille générale, je ne pense pas qu’il puisse être là avant plusieurs jours.
  • Oui, tu as raison. Nous allons lui laisser un message à la maison en lui expliquant la situation. De toute façon, il faut que nous passions par chez nous récupérer nos vélos, prendre quelques affaires et cadenasser la maison.
  • Tout cela est très beau, mais je suis incapable de faire du vélo, moi, remarqua Bruno. Avec mon bras cassé, je ne peux pas tenir un guidon.
  • Et merde, évidemment ! répliqua Jérémie.
  • Bon écoutez, il faut se rendre à l’évidence. Je ne peux pas vous accompagner. Je vais rester à la maison et je sais que trois ou quatre maisons plus loin sur la rue, habite un chirurgien. J’ai eu l’occasion de discuter avec lui quelques fois. Il pourra me soigner.
  • Tu as raison, chéri. Je vais rester aussi dit Carinne. Nous vous rejoindrons dès que possible. Et si notre fils arrive, nous serons là pour l’accueillir.
  • Alors dans ces conditions, prenez les fruits et légumes que nous avons ramené du marché. Vous en aurez plus besoin que nous, nous nous irons directement les cueillir.
  • Oui, Papi produit même son vin depuis l’année dernière. Quand je l’ai appelé avant-hier, il pensait commencer les vendages. Nous pourrons l’aider ! rajouta Rémi qui tenait en ses mains une tringle à rideaux.

Son père lui demanda :

  • Que vas-tu faire avec cela ?
  • Cela, c’est pour nous défendre si nous sommes attaqués.
  • Tu vas lâcher cela tout de suite. D’abord ça va t’encombrer. Et si nous devons être attaqués ce serait sûrement par une bande nombreuse et bien plus armée que nous. Donc on n’emmène rien qui puisse être pris pour une arme trop visible. Par contre chacun prend un couteau et un briquet, cela peut servir. J'ai aussi pensé au nécessaire en cas de creuvaison.
  • En attendant, nous allons vous accompagner jusque chez vous, dit Anne.

La petite troupe pris donc le chemin de chez Carinne et Bruno. Celui-ci passant en large périphérie de la ville, ils pensèrent qu’ils ne devraient pas avoir de mal à y arriver. Effectivement un quart d’heure plus tard, ils arrivèrent chez leurs amis. Ils ne s’attardèrent pas et reprirent le chemin vers le nord. Jérémie avait retrouvé dans son bureau une ancienne carte du département du Nord. Il la sortit et indiqua au couple la position de la ferme pour qu’il puisse les rejoindre plus tard. Il montra aussi à Anne et aux enfants l’itinéraire qu’ils prendraient. Jérémie l’avait défini en faisant en sorte d’éviter les cœurs de ville et les centres commerciaux autour desquels il présageait que des bandes sévissaient.

Ils s’engagèrent donc sur le chemin. Jérémie ouvrait la route, suivi des deux femmes et de Rémi qui surveillait les arrières.

A un moment ils virent dans les champs de curieux squelettes métalliques desquels des câbles pendouillaient. Ils identifièrent rapidement qu’ils avaient devant eux les restes des lignes à haute tension qui alimentaient la métropole.

  • Mais comment une chose pareille est-elle possible, s’enquit Anne.
  • Je ne sais pas trop, lui répondit Jérémie.
  • Moi je crois savoir, dit Rémi. J’ai lu sur Internet que les éruptions solaires provoquaient d’abord une émission de rayons X qui provoquent les aurores boréales et perturbent les satellites. C’est ce qui s’est passé avant-hier. Mais elles expulsent aussi un nuage de particules qui provoque une tempête géomagnétique qui peut détruire l’ensemble des réseaux électrique de la terre. Celui-ci arrive bien après l’apparition des aurores boréales. Je crois bien que c’est ce qui s’est passé.
  • J’ai lu quelque chose comme cela aussi il y une dizaine d’années, confirma son père. Si c’est bien cela, nous venons de quitter le monde civilisé tel que nous l’avons connu ces dernières décennies.

Chacun mesurait l’importance de ce qui venait d’être révélé. Et c’est en silence qu’ils se remirent à pédaler.

Ils arrivèrent à la ferme en fin d’après-midi, sains et saufs.

Mais leur sort était très enviable comparé à celui d’une majorité de la population…

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P.K. 26 mars 2024

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