C'est vraiment dommage

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Challenge Littéraire des Canteurs n°8 : quand le téléphone sonne

C’est vraiment dommage

Théodule, journal de Léna, commencé le premier janvier 2025.

[...]

Lundi 8 juin 2015

Théodule.

J’ai trop le seum aujourd’hui !

Je me suis tapé un 4 en français. J’avais quand même bien taffé sur ma rédac. Hors sujet… Je méritais mieux.

En sortant de la cantine, j’ai vu Emma et Quentin, genre ils se péchotaient dans un coin à la fraiche. C’est foutu pour moi. Ptn elle fait iéch cette conne.

Trop weird, un connard a renversé un cendrier dans mon sac, si je l’attrape !

Lundi 8 juin 2015 20 h 30

Il s’est passé quelque chose, je flippe à mort. Journée de merde pour journée de merde, ma sœur n’est pas rentrée du lycée. On a appelé là-bas, mais rien. D’après ses potes elle a pris son bus, mais arrivée ici personne n’a vu ou elle allait. Les darons ont pris la voiture ils ont cherché partout. Rien. Ils sont partis chez les flics, ils m’ont textoté pour me prévenir.

Je flippe trop, il lui est peut-être arrivé quelque chose, genre ça peut être n’importe quoi d’horrible.

Lundi 8 juin 2015, 1 h du matin. Minuit est passé, donc mardi.

Théodule, j’en peux plus. Les vieux sont revenus. Ils ont envoyé des patrouilles chercher Océane, mais toujours rien ! Elle est où ptn ?

Mardi 9 juin 2015, 6 h du mat

J’ai pensé toute la nuit à elle. J’ai peut-être un peu dormi, mais je ne suis pas certaine.

Mardi 9 juin 2015, 21 h

Théodule, c’est vraiment la grosse shit. Ça m’a trop grave saoulé, je suis à bout. Aujourd’hui pas de collège, c’était la recherche d’Océane. Je suis complètement perdue, j’ai vraiment trop le seum… Les flics ont sorti les chiens, on ratisse les champs, les forêts. Ils sont aussi pris des bateaux pour voir si elle n’est pas au fond d’un étang, ils ont cherché aussi dans la rivière.

C’est pas possible, c’est ma grande sœur, et même si je lui dis pas, et même si elle me prend trop la tête, je l’aime. Mon Dieu, je te fais une prière, qu’on la retrouve vivante… Je te promets que je te ferais des prières jusqu’à la fin de ma life.

Les keufs ont posé des questions, à nous la famille, mais aussi à ses potes du bahut. Je leur ai dit ce que je savais, c’est-à-dire pas grand-chose. Elle a une vie de lycéenne classique, elle s’est fait plaquer il n’y a pas longtemps, je ne sais même pas le prénom de son ex.

Océane, t’es où ? Putain de merde de merde de con de bordel !

Mercredi 10 juin 2015

Théodule, heureusement que je t’ai. Aujourd’hui on a parlé d’Océane à la télé. Il y avait sa photo. J’espère qu’on pourra la retrouver grâce à des témoignages comme ils disent. D’après les flics, des centaines de gens ont appelé, mais aucun de sérieux.

Dans ces cas-là, il y a des débiles qui croient avoir vu, mais à tous les coups c’est quelqu’un d’autre. Comment est-ce qu’on peut reconnaître quelqu’un qu’on a juste croisé dans une rue. Je vois pas comment je ferais avec une photo que j’ai vu dix secondes à la télé.

Il y a des gens, c’est juste pour faire les intéressants. C’est peut-être à cause de ceux-là qu’on ne la trouve pas.

Mes oncles et tantes sont venus, ils cherchent avec nous. Marie a cherché à me consoler, je crois que ça ne sert à rien, elle m’aurait chanté des berceuses que ça m’aurait fait le même effet.

Jeudi 11 juin 2015

Toujours rien, c’est le vide dans ma tête. Est-ce que je vais la revoir ? Océane, si tu es encore en vie, dis-nous où tu es ! Merde !

Vendredi 12 juin 2015

Oh, Théodule… La nouvelle est tombée, j’en suis tombée le cul sur une chaise. Ça fait mal. J’ai pas les mots, mais je vais essayer quand même. Océane, on l’a retrouvée. Ils disent qu’elle a été assassinée. C’est pas possible ! Ma sœur n’a jamais fait de mal à personne ? Pourquoi elle ? Pourquoi ? Bordel !

Ce soir, les gens qui la cherchaient sont venus chez nous. On s’est mis en cercle et on a rien dit. Il n’y avait rien à dire. C’est là que les flics sont venu nous le dire. Je chialait comme si mes yeux c’était des rivières, d’ailleurs ça recommence maintenant que je t’écris cela.

J’ai vu ses potes, y avait des mecs et des meufs aussi, ils étaient tous complètement à plat. On les a fait rentrer chez nous, on a dit quelques trucs. Ils ont expliqué comme Océanne était une bonne copine. Ils pleuraient tous. Moi je n’ai rien dit, j’ai pas pu.

Il y a Lucas, un de ces amis d’Océane, il est genre timide, ne parle pas beaucoup, mais son visage, il a l’air tout doux. C’était pas son mec, plutôt comme un BFF. Il a bien vu que je n’allais pas bien. C’est le seul qui m’a dit des trucs gentils pour que j’aille mieux.

Demain, mes oncles et tantes rentrent chez eux. Ils ont leur boulot, leurs gosses à s’occuper. Ils reviendront après l’autopsie. Les gendarmes, ils on dit : quand on pourra l’enterrer.

L’enterrer, la mettre sous terre, ma pauvre Océane. Tu demandais rien, juste vivre, respirer le bon air, t’étais toute joyeuse. Moi, je vois pas, je peux pas, je comprend pas, je… rien. Ma daronne, elle dit qu’elle est avec les anges. Si elle pense vraiment ça, alors pourquoi pleure-t-elle autant ? Le vieux, il ne dit rien. Il s’est renfermé et ne parle plus. Depuis la nouvelle, il s’est enfermé dans sa chambre et n’en sort pas.

Un peu comme moi. Ici je rage je peste je gueule je pleure, je tape les murs. Je m’en fous personne m’entend. Théodule me calme un peu.

Samedi 13 juin 2015

Théodule. Je ne sais même pas pourquoi je te donne un nom, tu n’es qu’un carnet pour prendre des notes. C’est une sorte de rituel à la con, alors je vais continuer. Peut-être que ça fait du bien.

Ce matin, les keufs sont venus. Ils m’ont posé les mêmes questions que la dernière fois. Ils m’ont aussi demandé où étaient mes parents à 19 h le jour du drame. Ils étaient à la maison bien sûr, je revenais du collège et ils étaient là. La capitaine et moi avons échangé nos numéros, j’ai écrit « Capitaine Gendarme ». Je la respecte, c’est une femme bien. Ensuite ils ont fait venir mes parents au poste, pour leur poser plus de questions. Je ne sais pas ce qu’ils leur ont demandé. Mais quand ils sont revenus plus tard, ils avaient l’air encore plus triste. Si c’était possible. Pourquoi faut-il faire chier les gens qui sont déjà dans la merde ?

À la télé à midi, ils ont parlé d’Océane. C’est là que j’ai su. Elle avait reçu douze coups de couteau, et elle avait été violée. VIOLÉE. Salopard, fumier, ordure !

Au village, les gens ont tous peur maintenant. Ils l’ont dit à la télé et c’est vrai : les gens ne veulent pas que les gosses aillent à l’école à cause de l’assassin. Demain il y aura ce qu’ils appellent une marche blanche. On va marcher sans parler jusqu’à la mairie avec des fleurs blanches dans les mains. Je vais y aller pour Océane, mais je sais bien que rien ne me la ramènera.

Ma grande sœur, toi qui aimais tant rire, plus jamais je n’irai avec toi dans le champ d’à côté pour faire du cheval, plus jamais nous n’iront nous promener dans les bois, plus jamais… plus jamais quoi ? Plus jamais rien. Que vais-je devenir sans toi Océane ? Celui qui t’as fait ça mérite de mourir.

Si je savais qui c’était j’irais prendre un gros couteau, moi aussi, et je le tuerais, c’est ce qu’il mérite, qu’on lui fasse la même chose qu’il t’a faite. Avant de le planter, je lui couperais les couilles, les deux, et la bite, je le planterais jusqu’à ce qu’il n’ais plus une goutte de sang, je lui ouvrirais le bide à ce gros fumier et je lui arracherais les boyaux.

Lundi 15 juin 2015 le matin.

Théodule, cher Théodule. Je dois tout te raconter, mais dans l’ordre. Avant de t’écrire j’ai fait un brouillon pour mettre mes idée en ordres, mais tu ne vas pas en croire tes oreilles.

Hier après-midi, il y a eu la marche blanche comme prévu. C’était bien, genre, il y avait tous les potes avec qui je traîne et ceux de ma sœur et quasiment tout le village en fait, mais il y avait aussi, je crois bien des gens qui venaient d’ailleurs, juste pour être là, pour dire à Océane que même s’ils ne la connaissaient pas, ils se sentaient solidaires avec nous. Ça fait du bien de savoir ça.

Lucas est venu vers moi, après. Il m’a dit, comme il était son BFF, que si je voulais on pourrait aller se promener, là-bas vers la colline, à la chill. On penserait un peu à Océane, on se raconterait les bons moments avec elle. J’y suis allé, on est passé par la forêt, on a monté la côte, et on est arrivés en haut près de la falaise. On aimait bien y aller avec Océane, je l’ai dit à Lucas, mais il avait le regard dans le vide, il disait rien.

C’est alors que mon téléphone a sonné. Un SMS : « Capitaine Gendarmerie » : « On a trouvé de l’ADN sur Océane. Tes parents te cherchent partout. Son meurtrier, s’appelle Lucas Tournan, si tu le vois, évite-le. »

J’ai pris mon tel, j’ai marqué « Il est là, la falaise ». Je l’ai vite rangé pour pas qu’il me voie, je n’ai rien dit, mais je m’apprêtais à courir de toutes mes forces pour me sauver. Lucas n’a pas paru s’inquiéter. Il est allé près de la falaise, le regard tourné vers la vallée. Et j’ai vu. De sa poche arrière, le grand couteau dépassait.

Difficile de dire ce que je pensais. C’était plus la haine que j’avais c’était la peur. Qu’est-ce qui m’est passé par le crâne ? J’en sais rien. J’ai couru vers lui et je l’ai poussé de toutes mes forces. Dans un grand « aaaah » il est tombé. J’ai entendu son corps rebondir sur des branchages ou des pierres. Puis plus rien. Je me suis avancée. Il ne bougeait plus. Je suis restée là, immobile, je me suis assise et je me suis mise à chialer comme une gamine. Ça a duré, genre, une éternité. Au bout d’un moment, derrière moi, j’ai entendu du bruit. Je me suis retournée, c’était la capitaine de gendarmerie. Elle soufflait fort, elle avait couru.

Elle m’a demandé si ça allait. J’ai pas répondu, mais j’ai tendu le bras là où Lucas était tombé. Elle m’a demandé si c’était lui, j’ai fais oui avec la tête. Elle a fait pareil, avec une tête qui savait ce qui s’était passé, puis elle a dit : « C’est vraiment dommage ! ». Ensuite, elle a rajouté : « Tant pis, on y peut rien. À ta place j’effacerais quand même le message que je t’ai envoyé, ça pourrait paraître suspect. »

Je compris qu’elle avait compris, mais elle ne dirait rien. Elle m’a ramené à la maison. Elle ferait un rapport dans le sens où elle raconterait que c’était un suicide, que je l’avais suivi, et pendant que je m’étais éloigné, il avait décidé d’en finir avec la vie, rongé par le remords. Elle pourrait témoigner, comme si elle était arrivée à temps pour le voir. Personne n’irait s’opposer à son constat, personne ne le voudrait.

Mais voici, mon bon Théodule, j’ai vengé Océane, pourtant je me sens mal. Si je ne l’avais pas fait, peut-être me serait-il arrivé la même chose. Mais je suis une meurtrière. Je n’ai que quatorze ans, mais je porterai avec moi ce secret pour la vie.

Lundi 22 juin 2015

Le rapport de la gendarmerie a bien montré que le couteau était celui qui a tué ma sœur. J’ai été rassurée par cette nouvelle. La capitaine est venue me l’annoncer elle-même. Peut-être que ce que j’ai fait a empêché d’autres gens de mourir s’il avait recommencé. Je dois me dire ça pour tenir le coup.

Vendredi 26 juin 2015

Théodule. Je reviens de l’enterrement de ma pauvre Océane. Je ne la reverrai jamais.

Mon cher journal, tu m’as bien servi, bien aidé. Mais il me semble qu’il va falloir que je te fasse disparaître. Seules la capitaine et moi saurons, tu ne seras pas ouvert par mes parents ni qui que ce soit. Je vais te mettre dans une petite boîte en fer et je vais t’enterrer près du châtaigner

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