Finalement, je le suis
Durant cette rencontre, pas un seul mot fut échangé. Manifestement, Marie avait anticipé ce face-à-face, ou du moins avait souhaité qu’il se produise. Cela faisait longtemps qu’elle la fantasmait cette jeune femme qui lui avait enlevé son Paul, et elle voulait comprendre pourquoi il avait fait ce choix. Elle retournerait autant de fois qu’il le faudrait devant la stèle jusqu’à ce que Miette dise un mot, n’importe lequel pourvu qu’il soit au moins l’expression d’un remord. Peut-être qu’alors elle la pardonnerait, sans ce petit mot, elle l’assassinerai de sang froid, mais pas sans l’avoir faite souffrir moralement au préalable. En repoussant négligemment Paul, c’était elle qui l’avait jeté dans ce précipice et lui avait fait subir un dernier supplice par les flammes. Elle l’avait précipité dans son enfer personnel car cette femme était toute entière une porte vers une sorte de Tartares.
Le jour suivant la rencontre, Miette avait devancé Marie, et était devant la stèle depuis un temps indéterminé, malgré le froid de la mi-novembre et la pluie qui tombait à verse. Elle avait déposé une autre rose, noire cette fois, symbolisant dans ce contexte la rébellion et la résistance. Manifestement Miette avait bien saisi les intentions de Marie à son encontre, en les ayant lues dans ses yeux trop clairs pour dissimuler un plan visant à lui nuire. Elles se prirent la main comme la veille, celle de Miette était gantée, elles restèrent encore un long moment sans qu’un seul mot ne sorte de sa bouche, au désarroi de Marie qui commençait à perdre de sa belle assurance. Quand elles délièrent leur mains, elle se rendit compte que Miette tenait son autre gant du bout des doigts et le jeta à ses pieds en signe de défi au duel en la fixant dans ses yeux trop clairs. Prise au dépourvu elle ne su comment réagir, même si la fuite semblait s’imposer quand Miette sorti un grand couteau d’une des poches de son ciré noir, mais il était déjà trop tard quand elle senti la lame interminablement longue s’enfoncer dans son ventre avec une violence et une précision inouies. Elle tomba à genoux et pour la première et dernière fois elle entendit Miette parler pour dire une phrase énigmatique : “Finalement, je le suis”, et elle se renversa sur le côté, juste au-dessus du cercueil enseveli de Paul.
Miette avait minutieusement préparé son premier meurtre jusqu’aux gants pour ne pas laisser d’empreintes digitales sur le couteau, et au choix de cette journée d’averses torrentielle décourageant quiconque aurait eu l’intention de venir se recueillir au cimetière, et effectivement il n’y eu pas un chat… La scène du crime ressemblait à s’y méprendre à un suicide. Miette avait pris soin d’utiliser les mains de Marie pour laisser ses empreintes sur le couteau.
Le lendemain, les journaux annonceraient en gros titre : “Le tragique suicide de Maria Zawadzki”
“Le corps de Maria Zawadzki, fille unique de Paweł Zawadzki, le riche homme d’affaires Polonais, a été retrouvé tard dans la nuit, gisant devant la stèle de son prétendu petit ami mort dans un accident de voture deux semaines auparavant. Si les investigations se poursuivent, la thèse du suicide est privilégiée.”
Miette, jusqu’ici ne s’intéressant à rien de spécifique, fut prise d’une passion pour la presse, en particulier les jours qui suivirent le crime. Comme elle l’avait prévu, la police avait conclu à un suicide et avait clôturé l’affaire.
Miette se sentait dégagée d’un poids qui avait toujours pesé sur ses épaules. Finalement l’échec de l’assassina du chat avait trouvé sa conclusion dans le meurtre de Marie, et le fait qu’elle l’ai commis à l’endroit même où repose l’amour de sa vie avait quelque-chose de satisfaisant, un peu comme si elle les avais réunis pour l’éternité. C’était au fond, elle en était persuadée, ce qu’elle souhaitait, et si Miette ne l’avait pas fait à sa place, elle l’aurait fait tôt ou tard tant sa peine était insoutenable, elle l’avait compris le premier jour quand elles se sont tenu la main, la sienne avait des soubresauts et elle retenait des sanglots. Miette n’expliquait ses larmes que par le contexte très particulier de cette situation et par le fait qu’une faille avait été ouverte à ce moment-là, permettant au Mal de se répandre dans son corps tout entier, une libération en somme.
Conformément à ses vœux, Maria Zawadzki sera inhumée dans le même cimetière et à côté de la sépulture de Paul de Maupassant.
Les chats ayant terminé leur repas se dirigèrent tous vers la vieille enfoncée dans son fauteuil. Tous prirent une place qui leur semblait attitrée et s’endormir paisiblement en ronronnant. Quant à elle, elle s’absorbait dans la contemplation de dizaines de coupures de journaux collées au mur. C’était une bien singulière tapisserie formée par tous ces gros titres de meurtres qualifiés d’immondes, ou de suicides “étranges”. Aucune coupure de journal ne parlait de tueur ou tueuse en série, car il n’y avait pas de modus operandi. La vieille ne s’était pas attachée à une célébrité trop facile, tout ce qu’elle avait souhaité était ressentir ce soulagement intense lorsqu’elle prenait une vie, et particulièrement celle d’une personne intelligente et raffinée, et de temps en temps suffisamment riche pour faire les gros titres, le tout pour flatter son égo.
Maintenant, son principal amusement quotidien consistait à se mettre devant sa fenêtre aux heures de sortie et d’entrée de classe pour surprendre et faire peur aux enfants avec son visage grisatre, buriné au grands yeux noir de jais. Quand il lui arrivait encore de sortir, c’était pour aller au cimetière intercommunal de la Courneuve pour se recueillir devant les pierres tombales de Paul et Marie en portant un voile de deuil et pour déposer deux roses noires achetées chez le fleuriste “À fleur de pot” dont elle est devenue une fidèle cliente un peu étrange et ne provoquant pas franchement la sympathie, et n’achetant que des roses noires.
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